Compte-rendu du collectif «Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451»
« Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451 »
Présentation publique de Bernard Pouderon à la Librairie Guillaume Budé (Paris)
Le 7 février 2017, la librairie Guillaume Budé, située à Paris, a eu le plaisir de recevoir Bernard Pouderon, éminent spécialiste de la patristique grecque, professeur à l’Université François-Rebelais de Tours et membre senior de l’Institut Universitaire de France. Pour l’occasion, Bernard Pouderon a présenté les deux premiers volumes d’une série de six tomes consacrée à l’histoire de la littérature grecque chrétienne des origines, soit de Paul de Tarse, jusqu’au concile de Chalcédoine, en 451 de notre ère, et publiée dans la collection « L’âne d’or » aux éditions des Belles Lettres. Cette nouvelle édition, dont les premiers volumes sont codirigés par Bernard Pouderon et Enrico Norelli, reprend dans une version revue, corrigée et mise à jour les deux premiers tomes d’abord parus aux éditions du Cerf en 2008 et 2013 dans la collection « Initiation aux Pères de l’Église ». Comme l’a souligné Bernard Pouderon lors de sa conférence et dans la seconde préface de la présente édition que nous avons eu le plaisir de consulter, certains aléas ont fait en sorte que le projet initial a dû changer d’éditeur, mais il ne s’agit pas ici d’une simple reprise de l’édition antérieure. En effet, cette nouvelle édition comporte une importante mise à jour de la précédente, notamment en ce qui concerne la bibliographie qui prend en considération les nouvelles éditions et publications parues jusqu’en 2016, de même que les nouveaux instruments de travail « liés à la généralisation de l’usage des outils informatiques » (Tome I, p. 12). Les nombreux contributeurs internationaux (principalement des chercheurs allemands, canadiens français, italiens et suisses) qui ont participé à ce projet ont également apporté parfois des changements notables et significatifs, d’autres fois plus minimes, à leur contribution respective, car la recherche continue de s’enrichir de nouvelles hypothèses et perspectives, de nouveaux outils et résultats. Bernard Pouderon souligne finalement qu’« il s’agissait pour nous de fournir un manuel commode, complet et à jour, destiné à devenir un compagnon de travail indispensable pour la décennie à venir » (Tome I, p. 12) et s’adressant à un public cultivé, mais permettant également à tous ceux qui s’intéressent à la littérature chrétienne ancienne de s’en servir.
Cette conférence nous sert donc de prétexte afin de revenir sur les deux premiers tomes de cette histoire de la littérature grecque chrétienne que nous allons brièvement survoler. Sans reprendre dans le détail le contenu des différentes contributions parues dans ceux-ci, nous nous contenterons d’indiquer certains aspects qui ont mérité notre attention et qui ont également été soulignés par Bernard Pouderon lors de sa présentation. D’abord, mentionnons que cette histoire de la littérature grecque chrétienne ne s’est pas limitée à la traditionnelle étude des textes reçus par ce qui deviendra, durant l’Antiquité tardive, la « Grande Église », mais s’est intéressée à l’ensemble de la production littéraire chrétienne des premiers siècles chrétiens en abordant à la fois les écrits « canoniques », « apocryphes », « patristiques », « hérétiques » et « gnostiques » pour ce qu’ils sont, soit des œuvres chrétiennes issues des diverses communautés se réclamant de la figure de Jésus – peu importe le statut qui lui était donné – et qui ont contribué, à leur manière, à la naissance et à l’évolution du christianisme ancien, à la construction de l’« identité chrétienne » de même qu’à la réflexion et aux développements christologiques, théologiques, dogmatiques. Ainsi, résume Bernard Pouderon lors de sa conférence, « aucun milieu d’origine, aucune provenance, aucun courant et aucune communauté chrétienne ne furent écartés », permettant ainsi d’aborder, dans le Tome II, la totalité des écrits chrétiens de langue grecque des Ier et IIe siècles qui nous sont parvenus. Cette série s’inscrit donc dans les nouvelles perspectives de la recherche sur le christianisme ancien qui tend désormais à considérer l’ensemble des milieux, des communautés et des courants chrétiens qui cohabitaient, parfois de manière très polémique, dans l’Antiquité afin d’aborder de façon globale et plus critique les origines et les développements du christianisme ancien.
Contrairement à ce qu’il serait normalement attendu, le Tome I (Introduction : problèmes et perspectives) n’offre pas une introduction à la littérature chrétienne ancienne, mais une véritable réflexion méthodologique et épistémologique qui aborde de manière transversale toutes les dimensions possibles des problématiques propres à ce genre de littérature. C’est pourquoi il est considéré, avec raison, par Bernard Pouderon comme étant « sans équivalent dans la recherche patristique actuelle » et comme un « outil irremplaçable de documentation et de recherche, dont l’intérêt dépasse largement les seuls écrits chrétiens. » En premier lieu, il aborde quatre aspects importants à prendre en considération lorsqu’on s’intéresse à la littérature chrétienne ancienne – et plus largement à la littérature antique gréco-romaine –, soit (1) la notion même de « littérature » (E. Norelli), (2) les questions de l’histoire de la littérature ou, en d’autres termes, de la tradition des histoires littéraires (P. Siniscalco), (3) de la transmission des textes (R. Gounelle) de même que (4) des formes et des modèles littéraires existants dont se sont inspirés les auteurs chrétiens, mais également par rapport auxquels ils ont innové (G. Dorival). En second lieu, sont également abordées les questions de l’évolution dogmatique et son expression, notamment dans l’élaboration de la christologie et de la théologie trinitaire de même que du vocabulaire pour les exprimer (M.‑A. Vannier), et de l’importance accordée à l’esthétisme littéraire par certains auteurs chrétiens dans l’habile composition de leurs œuvres (M.‑A. Calvet-Sebasti). En dernier lieu, une importante section du Tome I est consacrée à la question de l’édition des textes patristiques (M. Wallraff) de même qu’aux nombreux et forts utiles instruments de travail pour l’étude de la littérature grecque chrétienne (B. Gain), que ce soit les ouvrages de référence, les revues et collections savantes, les nombreux outils informatiques qui se sont considérablement développés au cours des dernières années ou les plus importantes bibliothèques scientifiques en pays francophones. Par son apport significatif aux réflexions épistémologiques, théoriques et méthodologiques, ce premier tome constitue une solide assise pour les néophytes qui amorcent leur étude de la littérature chrétienne ancienne, mais également une mine riche et profitable pour les spécialistes du domaine.
Le Tome II (De Paul de Tarse à Irénée de Lyon) aborde plus directement les divers textes qui composent le corpus de la littérature chrétienne des Ier et IIe siècles. Les différentes contributions qu’il regroupe sont divisées en neuf parties qu’il nous sera impossible de reprendre dans le détail tant l’éventail des textes abordés est vaste, ce qui illustre d’ailleurs très bien l’importante diversité des tendances et des courants chrétiens, pour ne pas dire des communautés chrétiennes, mais également les mutations doctrinales et structurelles qui caractérisent le christianisme durant cette époque de même que les nombreux débats et polémiques qui opposent entre elles les communautés chrétiennes. Parmi les contributions, notons particulièrement celles de G. Dorival et M. Alexandre dans la première partie consacrée à la réception de la Septante (LXX) – la traduction grecque des textes de la Bible hébraïque – et de la littérature juive, et à leur réappropriation, directe ou indirecte, par les auteurs chrétiens. Ces deux contributions, qui totalisent 161 pages, montrent bien qu’il est désormais essentiel de considérer la littérature chrétienne ancienne à la lumière de son héritage juif. Tour à tour, sont ensuite abordés les écrits « canoniques » et « apocryphes », « hérétiques » et « gnostiques » – qu’il s’agisse d’évangiles, de lettres ou d’épîtres, d’actes, d’homélies, d’hymnes, de dialogues, d’oracles ou de révélations, de traités, etc. – dont la rédaction est attestée à cette époque. Sont ainsi traités à nouveaux frais des dossiers bien connus, pensons aux écrits néotestamentaires, et d’autres, encore trop souvent méconnus, pensons notamment aux oracles montanistes (C. Pennacchio) ou sibyllins (J.-M. Roessli) de même qu’aux premières collections chrétiennes de textes poétiques (T. Nicklas) ou aux premières attestations d’une littérature martyriale (P. Bobichon). La sixième partie est pour sa part exclusivement consacrée aux écrits apologétiques (B. Pouderon) qui se multiplient particulièrement au cours du IIe siècle et qui permettent de montrer une certaine prise de conscience de la spécificité chrétienne de la part de leur auteur respectif, pensons à Justin de Naplouse, Athénagore d’Athènes ou à Tatien pour ne nommer que quelques exemples. L’enquête sur cette littérature grecque chrétienne des Ier et IIe siècles se clôt sur l’œuvre d’Irénée de Lyon (Y.-M. Blanchard et J. Leal) et sur une réflexion d’E. Norelli sur la formation du canon du Nouveau Testament dont les bases se mettent progressivement en place durant cette période. Ce dernier précise toutefois que « dans les premiers temps du christianisme, il n’y a finalement jamais eu de sola Sciptura, l’Écriture (du Nouveau Testament) étant née de manière inséparable de l’affirmation des autres instances d’autorité dans l’Église » (p. 848).
Bien évidemment, dans le cadre de cette contribution, nous n’avons pu qu’esquisser l’immense richesse que renferment les 1 280 pages des deux premiers tomes de cette Histoire de la littérature grecque chrétienne. Malgré ce survol rapide, il apparaît indéniable qu’une fois complétée, cette série en six volumes deviendra une référence majeure en histoire de la littérature chrétienne ancienne qui comblera à la fois les besoins des jeunes chercheurs comme des plus avérés. Le Tome III de cette série est d’ailleurs prévu pour le printemps ou l’été 2017.
Rappelons, en terminant, que vient également de paraître sous la direction de Bernard Pouderon un important volume dans la collection de la Pléiade qui collige des extraits des premiers textes chrétiens rédigés entre le Ier et le début du IIIe siècle. fut mentionné dans notre liste de suggestions de cadeaux de Noël 2016.
Pouderon – E. Norelli (dir.), Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451. Tome I. Introduction : problèmes et perspectives (L’âne d’or, 59), Paris, Belles Lettres, 2016, 410 p.
ISBN : 978-2-251-42064-6
Prix : 35 €
Pouderon – E. Norelli (dir.), Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451. Tome II. De Paul de Tarse à Irénée de Lyon (L’âne d’or, 60), Paris, Belles Lettres, 2016, 870 p.
ISBN : 978-2-251-42064-6
Prix : 55 €