Témoignage: pèlerinage en Gaspésie Reviewed by Odile Tremblay on . Si le pèlerinage de longue randonnée ne date pas d’hier, l’ampleur et la popularité croissantes de ce phénomène dépassent aujourd’hui largement le besoin de fav Si le pèlerinage de longue randonnée ne date pas d’hier, l’ampleur et la popularité croissantes de ce phénomène dépassent aujourd’hui largement le besoin de fav Rating: 0
Vous êtes ici:Accueil » Dossiers » Témoignage: pèlerinage en Gaspésie

Témoignage: pèlerinage en Gaspésie

Odile Tremblay - Témoignage: pèlerinage en Gaspésie

Si le pèlerinage de longue randonnée ne date pas d’hier, l’ampleur et la popularité croissantes de ce phénomène dépassent aujourd’hui largement le besoin de favoriser la promotion du christianisme qui l’a fait naître[1]. Pour en distinguer les différents enjeux et interpréter les structures de cet exercice spirituel contemporain si populaire, diverses études des sciences humaines et sociales se sont intéressées depuis quelques années à tenter d’en traduire l’effervescence et d’éclaircir les motivations qui mettent en marche le pèlerin actuel[2]. C’est dans ce contexte que je me suis prêtée au jeu d’une expérience spirituelle catholique en rupture avec ma zone de confort, le temps de goûter une pratique physique révélatrice d’un itinéraire insolite, vers un sanctuaire qui mène bien au-delà d’un lieu à visiter[3].

Odile Tremblay et le Rocher Percé au loin.
Odile Tremblay et, au loin, le Rocher Percé. Été 2018.

Contextualisation

Dans le contexte d’un cours d’été en théologie, j’ai eu l’opportunité d’étudier le phénomène Compostelle. Ce cours se donnait en Gaspésie, où la marche pèlerine n’était pas que théorique, mais aussi pratique. Pause buissonnière dans mon cheminement au baccalauréat à l’Université Laval, l’expérience permettait, en plus d’accumuler trois crédits, de nourrir ma foi et mon amour de la nature. Bien que l’idée du groupe et l’absence d’un but religieux (puisqu’il s’agissait d’un cours universitaire) me laissaient perplexe au départ, l’aventure m’a interpellée au plus profond de moi.

Le pèlerinage

Le jour de mon départ pour la Gaspésie, je me situe dans un espace de rupture. Rupture d’un projet, rupture de sens; je suis devant un où vas-tu? Au cœur de mon inconfort, je vois l’occasion de rompre avec les préoccupations qui m’accablent pour donner libre cours à mon désir de m’abreuver à cette source vivifiante qu’est l’immensité du sanctuaire estival gaspésien. Un sentiment d’excitation m’habite déjà lorsque je monte à bord de l’autobus en direction du Bas-Saint-Laurent, convaincue que cette aventure fera rejaillir en moi, la fontaine de ma propre source!

À mon arrivée à Rivière-au-Renard, l’accueil chaleureux des organisateurs affermit ma confiance et même si le sommeil se fait attendre ce soir-là, je savoure d’avance la promesse du lever du soleil sur la première journée de marche. Le lendemain, le parfum matinal propose un mélange d’air salin, de café frais et d’appréhension; cette aventure est pour moi aussi nouvelle qu’ambitieuse. Généreusement, un pèlerin largué dans le même projet que moi accepte de me tenir compagnie pour quelques pas, histoire de calmer mon insécurité. Celui-ci m’abandonne rapidement, il a oublié son portefeuille à l’hôtel… Je prie pour qu’il le retrouve miraculeusement et avec un léger sentiment de culpabilité, je décide d’aller de l’avant. À chacun son rythme, on va se recroiser. J’apprécie au loin les récifs de Pointe Forillon puis je m’engage avec d’autres pèlerins par un raccourci à travers un sentier de galet sur la grève. Je termine cette courte première étape avec une ampoule aux pieds qui m’obligera à quitter mes chaussures de marche pour accomplir les 23 kilomètres du lendemain, en sandales.

De l’Anse au Griffon à l’Auberge Internationale Forillon, Cap des Rosiers, Cap Bon Ami, les paysages grandioses coupent le souffle, la biodiversité émerveille. Les falaises vertigineuses qui abritent les oiseaux marins et le bruit des vagues qui frappe les rochers font oublier l’épreuve digne des pèlerins séniors. Si mes mollets survivent, je ne peux m’empêcher de penser à l’étape suprême des 30 km jusqu’à Gaspé prévue le lendemain. L’intensité de l’expérience va plus vite que ma capacité d’adaptation. La morue fraiche du restaurant Le Baleinier, au souper, aura raison de mon estomac accablé et le sommier grinçant de l’auberge de jeunesse, de mes premières courbatures.

Au jour 3, la douleur aux pieds s’accentue, le sac à dos s’alourdit, la circulation sur la 132 menace ma performance. Ma détermination est soutenue par les encouragements des Gaspésiens en bordure de route. Mais peu à peu, l’adversité crée une faille dans mon parcours initial idéalisé, rupture qui m’oblige à méditer sur le but que je m’étais fixé. Dans quoi me suis-je embarquée? Vivre, c’est marcher, se mouvoir, devenir. Accepter l’aventure de la vie, c’est rompre avec la sécurité, risquer l’inconfort, le déséquilibre, exigences du dépassement.

Je me reçois à travers un chemin qui s’apprend, une rencontre bienfaisante, à la recherche de moi-même, d’un lieu saint qui attire, d’une transcendance qui interpelle. Dans cette dynamique qui ébranle mes résistances, c’est la tension entre le chemin sur lequel je me suis engagée librement et mon désir d’aller toujours plus loin qui rythme ma marche. L’expérience chrétienne suggère que « c’est sur le chemin que l’on fait la rencontre bouleversante avec Jésus »[4], puisque c’est en marchant qu’Il annonce la Bonne Nouvelle. La Parole circule et cherche à se dire. Le chemin devient espace privilégié du langage et de l’écoute. L’éveil du regard déploie une figure du sanctuaire qui se déplace, se transforme, m’invite à la mouvance créatrice, me révèle mon propre mouvement. L’expérience pèlerine ne peut enfermer le sanctuaire dans un bâtiment; celui-ci se laisse continuellement redéfinir, interpelle, révèle le Royaume de Dieu par la transformation du chemin, du moi, du monde.[5]

Le groupe d'étudiants devant le Rocher Percé, en Gaspésie.
Les participants de l’École d’été 2018, en Gaspésie.

L’expérience spirituelle

Alors que je redoutais l’expérience de groupe, c’est finalement la présence des autres randonneurs et les échanges autour des repas du soir qui m’ont permis d’entrevoir des alternatives pour me rendre jusqu’au bout du chemin. Difficile pour moi de perdre le contrôle, de m’abandonner dans l’inconnu, mais le plaisir est pur de ressentir l’énergie relationnelle qui circule dans cette petite communauté nouvelle aussi diversifiée en âge, statut social et confession religieuse. Une impression inusitée, presque perceptible, manifeste la « Cité sainte descendue de chez Dieu », comme décrite dans le livre de l’Apocalypse (Ap 21,2), lieu idyllique où les humains vivent en harmonie entre eux et au centre d’une création intacte où fraternité, partage et entraide pointent un sanctuaire qui s’apprivoise. Le quotidien de l’aventure bouleverse mes repères, ouvre l’espace à la rencontre. La Révélation chrétienne est d’abord une histoire d’alliance, de relations. Le chrétien est un être en transformation, en tension, cheminant d’un état initial vers un ailleurs, un Autre. La parole entendue passe par la parole donnée. Le Verbe habite en moi, en l’autre.

Hors des sentiers battus, se déploie une réalité spirituelle perceptible, mais insaisissable pour moi. Le chemin tracé par un autre, parcouru dans une collaboration commune, ouvre l’espace de mes vulnérabilités relationnelles et m’oblige à me mettre à l’écoute du Dieu de l’Alliance qui se révèle toujours dans la faiblesse. Le passage suivant du Nouveau Testament illustre bien mon sentiment dans le contexte de cette expérience : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse, […] lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Cor 12 :9-10).

À mon avis, il est illusoire d’évoquer un endroit ou une vérité palpable pour identifier précisément le lieu de la présence de Dieu. La rencontre du désir avec le vécu devient lieu de transcendance, de croissance spirituelle, d’ouverture vers l’infini, sans le définir véritablement. L’espace de la venue de Jésus sur terre, bouleverse, illumine, transforme l’itinéraire de celui qui marche en sa présence, mais sans toutefois lui permettre de le saisir définitivement.

L’accomplissement du chemin a fait clairement apparaitre en moi cette tension entre mon désir de toucher Dieu et l’intuition d’un moment qui peut être porteur d’une mission, d’un appel, d’une conversion. La recherche de vérité peut être le point de départ d’un cheminement, mais l’itinéraire ne peut se définir avec précision puisque le but indéfini surprend les désirs qui l’annoncent.[6] Le mouvement vers l’avant oblige un risque vers la continuité du désir, élan qui peut propulser jusqu’au don de soi-même. Le chrétien se trouve en se donnant, nait dans son au-delà en mourant. Dans le dernier souffle du tout est accompli de Jésus sur la croix est née, l’Église, Corps du Christ ressuscité. L’Esprit me permet de pressentir une Présence, mais c’est la foi qui me fait avancer.

L’au-delà échappera toujours de façon complète à ma conscience humaine. Mais, comme Jésus qui ne pouvait pas vivre sans sa relation à son Père, sans ses amis appelés à le suivre, je ne peux pas vivre isolée. Chaque expérience, chaque itinéraire, chaque rencontre trouvent son sens dans ce qui me manque, dans ma relation à l’autre. Chaque personne doit s’ouvrir à l’infini pour se recevoir; finalité collective, union existentielle avec ce qui ne cesse de manquer.

Arrivée à la fin du chemin, le dernier jour à Percé, j’ai ressenti un sentiment de plénitude. Expérience d’absolu, d’accomplissement, de fierté, mais moment inséparable de ce qu’il ne dit pas. Ce moment, sans toute l’expérience vécue sur le chemin, sans les relations avec chaque membre du groupe, sans la perspective d’un retour sur l’expérience, perd de sa qualité d’expérience spirituelle, de moment privilégié, d’absolu. L’articulation de tous les éléments de l’expérience est nécessaire et oblige à la recherche de l’union existentielle avec l’Autre qui ne cesse de manquer, si je veux parler d’expérience mystique ou spirituelle.

Odile Tremblay en Gaspésie.
Odile Tremblay lors de l’École d’été 2018 organisée par la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval.

Conclusion

L’aventure de groupe a transformé mon objectif initial. En ce temps d’ultramodernité, l’enjeu n’est-il pas de réussir un vivre-ensemble dans cette multitude d’aspirations, de convictions et de croyances? Le sanctuaire intérieur du pèlerin ultramoderne fait figure de lieu d’interprétation, de recherche de sens, de libération, d’écho à des manques. C’est le désir de mieux-être et de croissance personnelle qui interpelle sur le chemin dans le but de libérer ce qui doit mourir pour mieux revivre, ressusciter.

Puisque la conception même de la spiritualité et de la religion interpelle sur ce même chemin de transformation, l’enjeu n’est-il pas de rester à l’écoute d’une parole qui libère et ouvre sur un au-delà redéfinissant sans cesse de nouveaux horizons de vivre-ensemble, de projets communs et harmonieux. Sous cet éclairage inédit, le terme sanctuaire se voit libéré de son enfermement objectivable pour emprunter une vocation de résolution, de mouvement, de guérison. Il m’interpelle à changer mon regard sur la compréhension de l’accompagnement spirituel du pèlerin-randonneur du 21e siècle[7] et m’invite à la contemplation du chemin.

Odile Tremblay

Retourner au dossier thématique

Références

De Certeaux, Michel, Revue Christus, no 68, 1970.

Laliberté, Éric, Seigneur, où vas-tu? L’accompagnement spirituel du pèlerin de longue randonnée : une dynamique relationnelle ternaire, Essai, Éditions Bottes et vélo.

Thomassin, Aline, Le pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle : histoire et actualité, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Zapponi, Elena, Le pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle, Archive de sciences sociales des religions 149, (janvier-mars 2010).


[1] Aline Thomassin, Le pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle : histoire et actualité, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, p. 5.

[2] Éric Laliberté, Seigneur, où vas-tu? L’accompagnement spirituel du pèlerin de longue randonnée : une dynamique relationnelle ternaire, Essai, Éditions Bottes et vélo, p. 13-14.

[3] A. Thomassin, Le pèlerinage…, p. 9 à 11.

[4] É. Laliberté, Seigneur…, p. 40.

[5] É. Laliberté, Seigneur…

[6] Michel de Certeaux, Revue Christus, no 68, 1970, p. 2 à 6/7.

[7] Approche d’inspiration sémiotique, É. Laliberté.

A propos de l'auteur

Nombre d'entrées : 1

Commentaires (1)

Laisser un commentaire

Retour en haut de la page