Compte-rendu du livre « Les évangiles apocryphes » de Madeleine Scopello
Madeleine Scopello est une spécialiste de l’histoire religieuse des premiers siècles chrétiens et de la fin de l’Antiquité. On la connaît particulièrement pour ses travaux sur le gnosticisme et le manichéisme.
Ce livre est une nouvelle édition « revue et augmentée » du même titre initialement paru en 2007 chez la maison d’édition française Plon, dans la collection « Petite bibliothèque des spiritualités ». Il s’agit d’un livre d’introduction aux évangiles apocryphes qui s’adresse, bien entendu, au grand public. Son introduction prend soin de définir ce que sont les textes apocryphes et elle présente successivement la compréhension de ce qu’est l’apocryphicité de ces textes du point de vue de ceux qui les ont écrits et de ceux qui les ont contestés. Pour les premiers, le terme « apocryphe » renvoie au sens caché de ces textes qui devaient circuler dans des cercles restreints. Pour les seconds, il devient synonyme de faux et de non authentique, surtout avec l’apparition du canon des textes bibliques. Comme son livre s’intéresse plus précisément aux évangiles apocryphes, M. Scopello propose une brève définition de ce qu’est un évangile.
Les trois chapitres de ce livre présentent deux catégories d’évangiles apocryphes que l’auteure nomme respectivement « évangiles apocryphes chrétiens » et « évangiles apocryphes gnostiques ». Au premier chapitre, elle présente une sélection d’évangiles de la première catégorie qui sont le Protoévangile de Jacques, l’Évangile du Pseudo-Matthieu et l’Évangile arabe de l’enfance. Ces évangiles, dont on ne connaît pas les auteurs, sont souvent attribués de façon fictive à des proches de Jésus. On y décèle toutefois la provenance, les influences littéraires, le niveau de culture de leurs auteurs et leur doctrine. Elle présente par la suite une description du contenu de ces trois évangiles.
Les chapitres deux et trois sont consacrés aux évangiles apocryphes gnostiques. L’auteure consacre entièrement le deuxième chapitre aux questions entourant ces textes : elle propose une définition de la gnose, présente les auteurs et les textes, et souligne les découvertes importantes en matière de manuscrits. Elle prend également soin de distinguer les apocryphes chrétiens des apocryphes gnostiques. Les premiers ont pour objectifs de « décrire des faits de la vie de Jésus en les rehaussant par l’imaginaire » (p. 36), tandis que les seconds renferment des doctrines précises et font dans la spéculation intellectuelle. Le troisième chapitre présente une sélection d’évangiles gnosiques et leur contenu : l’Évangile selon Thomas, l’Évangile selon Philippe, l’Évangile de la vérité, le Livre sacré du Grand Esprit invisible, l’Évangile selon Marie et enfin l’Évangile de Judas.
On trouve tout au long du livre des encadrés qui permettent d’approfondir certaines questions, de présenter l’ensemble des textes trouvés à Nag Hammadi, de présenter le regard d’un Père de l’Église sur les mouvements gnostiques, etc.
Ce livre d’introduction aux évangiles apocryphes de M. Scopello a pour but de présenter les grands traits de cette littérature. En ce sens, le livre réussit bien et se veut très accessible aux non-initiés. On remarque aisément, par les résumés des évangiles, par les différentes parties du livre consacrées aux problèmes de définition et par le souci de bien situer dans le temps et l’espace chacune des grandes figures de l’histoire du christianisme dont il est question dans ce livre, que ce livre a tout pour s’adresser adroitement au grand public. L’information est par ailleurs juste et conforme à ce que la recherche moderne a produit à ce sujet. Or, même s’il est encore de mise d’avoir recours à la distinction « chrétiens » et « gnostiques » – le terme gnostique a été remis en question ces dernières années puisque son emploi a été exacerbé par la recherche moderne en comparaison à l’utilisation qu’en ont faite les Anciens – cela fait parfois surgir des expressions pour le moins étonnantes. De fait, on trouve à la page 43 l’expression « religion gnostique ». Or, on peut également défendre le point de vue qu’il n’y a pas de religion gnostique, mais plutôt des mouvements ou communautés gnostiques à l’intérieur de la religion chrétienne, des chrétiens à tendances valentiniennes, ou séthiennes. Cette distinction, entre chrétiens et gnostiques, bien que très répandue au XXe siècle, mériterait d’être nuancée et atténuée sans toutefois disparaître complètement. La division en deux groupes, les évangiles chrétiens d’un côté et gnostiques de l’autre, peut très bien se justifier, pourvu que l’on considère ces deux groupes comme des tendances, des mouvements, des écoles de pensée.
Concernant la sélection des évangiles, l’auteur note bien qu’elle a dû opérer un choix en fonction des intérêts de son lectorat (p. 20). On note toutefois que le choix s’est tourné essentiellement vers les évangiles de l’enfance pour ce qui est des textes chrétiens. Dans ce contexte, on comprend que l’Évangile de Pierre a été retranché, mais, considérant son importance, on s’explique mal son absence. On remarque également la présence, parmi les évangiles gnostiques, du Livre sacré du Grand Esprit invisible, mieux connu sous le nom de l’Évangile égyptien. Or, ce texte n’a d’évangile que le nom et l’on comprend mal sa présence parmi les autres textes. Cela renvoie à la définition qu’elle propose du mot évangile : elle en retient une définition plutôt large qui est « le message du royaume de Dieu qu’annonce Jésus » (p. 18). Il est vrai que cela constitue une définition très près de celle qu’utilisaient les premiers écrivains chrétiens, notamment les auteurs des évangiles canoniques et Paul, mais cela fait en sorte que l’on a du mal à voir, par la description qui en est faite, comment le Livre sacré du Grand Esprit invisible se classe parmi les évangiles.
Il s’agit d’une « Nouvelle édition revue et augmentée » et, de fait, le texte a été retravaillé à maints endroits, ce qui rend certaines tournures plus heureuses, certains passages plus fluides et ajoute parfois de courts compléments utiles à la compréhension du non-initié. Par ailleurs, le glossaire a été allongé et la bibliographie a été mise à jour. On note également, à la page 88, un désir de s’adresser au grand public puisque l’on a changé le terme « pronoia » dans l’édition de 2007, pour « la volonté du Père » dans la nouvelle édition. Bien entendu, « pronoia » signifiait peu de choses pour le public visé.
Concernant les évangiles chrétiens, on a corrigé et uniformisé certaines références aux textes en renvoyant le lecteur à la page de l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade, prestigieuse collection des éditions Gallimard. Ce travail n’a pas été fait pour les évangiles gnostiques. En 2007, lors de la première parution de ce livre, il était impossible de renvoyer le lecteur à l’édition de la Pléiade sortie la même année. L’auteure utilisait donc les éditions de la collection « Bibliothèque copte de Nag Hammadi » des Presses de l’Université Laval-Peeters. Or, dans cette édition révisée, on remarque que les titres des ouvrages ont été révisés pour correspondre à ceux du volume de la Pléiade – ce qui facilite la compréhension pour le grand public, car on comprend mieux Livre des secrets de Jean que l’Apocryphon de Jean. L’auteur aurait pu du même coup renvoyer le lecteur à la référence complète du texte de la Pléiade puisque l’on comprend mal, aujourd’hui, la nécessité de la référence au codex – très liée à la recherche et aux publications de haut niveau comme la « Bibliothèque copte de Nag Hammadi » – qui se trouve par ailleurs erronée à la page 61.
Il existe une autre différence entre l’édition des Presses de la Renaissance et celle de Plon : la mise en page. L’édition de 2007 comprenait beaucoup de clichés en lien avec le texte. Cela agrémentait considérablement la lecture. La typographie était plus soignée et l’on jouait même avec les encres d’impression pour les citations longues et les encadrés. L’édition de Plon était dès lors marquée par un souci d’offrir au lecteur non seulement un texte de qualité, mais une présentation du texte plus esthétique et agréable. La version des Presses de la Renaissance, tout en étant d’une plus grande qualité pour ce qui est du texte, est imprimée sur un papier de moins grande qualité, sans image, et l’on ne sent pas le même soin pour l’esthétisme que dans la version antérieure, un choix difficile à justifier à une époque où l’on se doit d’ajouter une plus-value à l’expérience du livre matérialisé.
Un compte-rendu de Jeffery Aubin
Madeleine Scopello, Les Évangiles Apocryphes, Paris, Presses de la Renaissance, 2016, 110 p.
ISBN : 978-2-7509-1280-2
Prix: 13 € | 22,95 $CAN