Compte-rendu de L’Ahmadiyya : un islam interdit. Histoire et persécutions d’une minorité au Pakistan
La diversité des traditions religieuses est telle qu’il nous est impossible de toutes les connaître. À peine pouvons-nous prétendre en avoir une vue d’ensemble et connaître certaines traditions un peu mieux que d’autres. Aussi, il arrive régulièrement que les conflits qui éclatent un peu partout nous révèlent l’existence de groupes, qu’on pense seulement aux Yazidis d’Irak ou aux Rohingyas de Birmanie, qui étaient jusqu’à récemment encore parfaitement inconnus à la majorité d’entre nous. D’autres, malgré les conflits, demeurent dans l’ombre soit en raison de notre propre apathie, soit en raison tout simplement de l’indignation sélective des médias. L’islam ahmadiyya s’inscrit dans cette dernière catégorie.
Avec L’Ahmadiyya : un islam interdit. Histoire et persécutions d’une minorité au Pakistan, Asif Arif veut porter à notre conscience le sort de cette communauté en proie à la persécution en raison de ses croyances religieuses. Il nous présente un vibrant plaidoyer pour que l’humanité entende les cris de cette communauté et intervienne pour que justice soit faite et que leurs croyances soient respectées, un plaidoyer pour la liberté de conscience.
L’auteur propose un parcours en quatre parties. La première partie relate l’origine des Ahmadis à partir de son initiateur, Ahmad de Qadian, sur la base de la révélation divine. Si le style hagiographique y tient une large place qui peut désorienter le lecteur occidental, cette partie demeure par ailleurs l’une des plus intéressantes du livre en ce qu’elle présente les éléments de lecture pour comprendre la singularité de la communauté ahmadiyya au sein de l’islam. Ainsi le parcours d’Ahmad de Qadian l’amène d’abord à se découvrir comme un défenseur ardent de l’islam pour le voir tour à tour se présenter comme réformateur, puis comme le messie promis pour finalement se désigner comme prophète de Dieu. Déjà, ceux connaissant minimalement l’islam entreverront les nuages à l’horizon et les conflits d’interprétation qui ne manqueront pas de survenir. Cette partie se clôt effectivement sur les trois éléments qui forment contentieux auprès des tenants d’un islam plus rigoriste et qui sont à la base des conflits les opposant aux autres tenants de l’islam, à savoir : le rejet du jihad armé pour le jihad de la plume, non violent; l’affirmation de la mort physique de Jésus, à 120 ans, au Kashmir; et finalement la revendication de la fonction de prophète par Ahmad de Qadian, ce dernier point engendrant le plus de répercussions, si tant est que Mohammad soit considéré dans tout l’islam comme étant le Sceau des prophètes. On comprendra dès lors qu’il y ait là matière à dissension au sein de la communauté musulmane. Certains en appelleront à la mise à mort, d’où les persécutions violentes que subit cette communauté, principalement au Pakistan, alors que les Ahmadis, eux, ne réclament que leur droit à la liberté de conscience et à la libre interprétation. L’auteur ne précise cependant pas davantage sur le contenu théologique de ces interprétations inédites. Le lecteur qui souhaiterait approfondir davantage ce contenu est invité à lire Invitation to Ahmadiyyat: Being a Statement of Beliefs, a Rationale of Claims, and an Invitation, on Behalf of the Ahmadiyya Movement for the Propagation and Rejuvenation of Islam du deuxième calife, Hadrat Mirza Bashir-ud-Din Mahmud Ahmad, qui développe de manière éclairante chacun de ces points.
La seconde partie de l’ouvrage poursuit sur l’évolution historique de la communauté ahmadie suite au décès d’Ahmed de Qadian alors qu’une structure de gouvernance, le califat, est mise en place pour assurer la direction de la communauté. Les califes successifs y sont présentés, principalement sous deux angles : celui du développement de la communauté et celui de la guidance de celle-ci face aux assauts des autres musulmans. L’opposition au mouvement grandit, lentement mais sûrement, sans toutefois atteindre les niveaux qui seront ceux d’après l’indépendance du Pakistan.
La troisième partie est, avec la première, la plus intéressante. Elle décrit la rapide et dramatique évolution que connaît la communauté à partir de la création du Pakistan actuel en 1948. Le jeu politique des autres factions musulmanes plus rigoristes allié à l’instrumentalisation du religieux par le gouvernement central – qui au départ se voulait laïque – ont entraîné une dégradation épouvantable des conditions de vie des Ahmadis. Depuis l’amendement de la Constitution en 1974 qui les déclare comme non-musulmans, ainsi que l’adoption de l’Ordonnance XX en 1984, les Ahmadis ne peuvent se dire musulmans, ni même poser quelque geste que ce soit qui les identifie comme musulmans. Interdiction même leur est faite d’effectuer le pèlerinage à La Mecque, un interdit reconnu par le gouvernement d’Arabie saoudite. Cette répression contraindra même le califat à l’exil à Londres, en 1984. La situation résultante actuelle de la communauté ahmadie est la persécution et l’apartheid.
Finalement, la dernière partie du livre expose moult exemples de la tragique réalité à laquelle fait face actuellement la communauté ahmadie. Les tracasseries sans fin dont elle est l’objet, depuis le harcèlement, l’interdiction d’embauche, jusqu’à l’agression physique et l’assassinat sont abondamment documentées.
Le style d’écriture est inégal et les longueurs rendent la lecture laborieuse par moments. Pluriel, cet ouvrage, souvent à caractère hagiographique, laisse transparaître souvent la profession d’avocat de son auteur, mais dans l’ensemble demeure fidèle au récit historiographique du périple des Ahmadis. Malgré cela, et c’est l’essentiel, il parvient bien à transmettre la gravité de la situation de ses coreligionnaires et à faire sentir l’urgence de dénoncer les exactions dont ils sont l’objet. Et à ce titre, son plaidoyer est réussi. Les Ahmadis méritent définitivement notre appui à leur cause.
Le livre demeure particulièrement intéressant à deux autres chapitres. Tout d’abord, il constitue un magnifique exemple, à notre époque contemporaine, de la dynamique particulière qui survient lorsqu’au sein d’un groupe de nouvelles interprétations se font jour, particulièrement lorsque celles-ci se cristallisent autour de la figure centrale d’une tradition ou que de nouvelles figures apparaissent ayant la prétention de porter à son accomplissement la tradition en question. Une situation qui nous renvoie à la triade judaïsme-christianisme-islam. Il est intéressant aussi de constater, les bahá’ís sont issus d’un développement semblable ayant eu lieu à la même époque et qu’ils font encore face aujourd’hui à une destinée semblable, toujours persécutés en Iran. À un dernier titre, l’histoire des Ahmadis illustre aussi comment le politique et le religieux, si tant est qu’on puisse distinguer les deux sphères, ne constituent pas pour autant des domaines qu’il serait possible de séparer si aisément et que leurs interactions possèdent toujours un potentiel…
Un ouvrage qui est donc à lire…
Daniel Fradette
Conseiller à la vie spirituelle et communautaire
Bureau de la vie étudiante
Direction des services aux étudiants
Université Laval
Asif Arif L’Ahmadiyya : un islam interdit. Histoire et persécutions d’une minorité au Pakistan, préface de Céline Bardet, Paris, L’Harmattan, 302 pages.
ISBN : 9782343038971
28,65 $