Symposium international sur les Études Pèlerines: qu’est-ce que le pèlerinage?
Du 6 au 8 octobre derniers se tenait le 6e symposium portant sur les Pilgrimage Studies à Williamsburg, en Virginie. Ce symposium a vu le jour en 2012 et est issu de l’Institut pour les Études Pèlerines, mis sur pied par George Greenia en 2011. Professeur retraité (2016) de l’Université William & Mary, linguiste et spécialiste de l’Espagne médiévale, son intérêt pour l’Espagne ne pouvait passer sous silence les célèbres Chemins de Compostelle; des chemins qu’il a parcourus en long et en large. Après avoir marché plus de 6000 km et écrit bon nombre de pages sur le sujet, George Greenia est aujourd’hui une autorité dans le domaine. Il a d’ailleurs été le principal consultant d’Emilio Estevez dans la réalisation du film The Way, sorti en 2013.
Les Pilgrimage Studies sont très récentes dans le paysage universitaire. Elles ont vu le jour en 2011 et offrent une perspective interdisciplinaire aux questions pèlerines. Il n’aurait pu en être autrement. La nécessité de multiplier, d’entrecroiser, les angles d’approches s’imposait. Ethnologues, anthropologues, linguistes, kinésiologues, psychologues, théologiens, sociologues des religions, spécialistes de l’éducation et de la santé, et bien d’autres, y sont rassemblés[1]. D’ailleurs, cette année, le symposium demandait « What is Pilgrimage? »; une question plus complexe qu’il ne le parait…
Le pèlerin marche sur plusieurs frontières. Il fréquente des espaces liminales qui ne le situent jamais exactement en un lieu précis. Il marche en marge de la société. Il va de villes en villages, traverse provinces, états ou pays. Au cours de ce long parcours, il est à la fois : pèlerin, touriste et randonneur. Sa démarche se situe autant sur le plan social que culturel, que sur le plan sportif ou spirituel. Eileen Moore-Quinn, socio-anthropologue de l’Université de Charleston, et panelliste invitée, nous renvoyait à cette réalité : le pèlerinage n’est jamais exactement là où on l’attend. Elle disait : « While they move, they are creating meanings. Pilgrims are meanings makers ». Cette observation n’est pas sans rappeler la mouvance religieuse décrite par Danièle Hervieu-Léger[2].
Les grands thèmes proposés pour approfondir la question oscillaient entre histoire, analyse littéraire, psychologie, sociologie, théologie et pédagogie: « Pilgrims in body & Spirit »; « Pilgrims in pain: Walking it off »; « Pilgrims of the Past »; « Pilgrimage Pedagogy »; « Catholic Traditions »; « Myths of Place and Movement »; « Pilgrims Paradigms »; « Negotiated Faith »; « The Power of Walking »; etc. De nombreuses présentations faisaient également état des différentes organisations visant à encourager la pratique pèlerine. Que ce soit comme démarche personnelle, en soutien aux étudiants, comme méthode de réinsertion sociale ou encore dans une perspective de guérison spirituelle, le pèlerinage se dévoile comme exercice et outil particulièrement aidant. À ce sujet, Pablo Pastran-Pérez, professeur associé de la Western Michigan University, nous faisait remarquer qu’il est tout nouveau dans la culture populaire de considérer le mouvement comme porteur de guérison. Jusqu’ici, guérison avait toujours été associé à repos.
Parmi tous ces projets, le plus ambitieux est celui du professeur Anthony Bale de l’Université de Londres. Bale travaille à l’élaboration d’une bibliothèque contenant tout matériel écrit par et pour les pèlerins. Son intérêt : documenter l’expérience pèlerine de l’intérieur autant que de l’extérieur. Quels sont les écrits sur lesquels les pèlerins appuient leur expérience? Qu’est-ce qui inspire leur pèlerinage? Que racontent-ils de leur expérience? Un projet qui est loin d’être achevé, confiait-il.
Fait intrigant, le peu de présence des théologiens et chercheurs des sciences des religions. Le contexte dans lequel évolue le pèlerinage ne peut faire fi des questions religieuses et spirituelles. Comment se fait-il que théologiens et sociologues des religions soient si peu présents? Il va pourtant de soi que le pèlerinage est plus qu’une randonnée, sinon il aurait été question de trekking ou hiking. Par ailleurs, les chercheurs rencontrés à l’Université William & Mary s’entendent sur les fondements de l’expérience pèlerine dans ses aspects religieux/spirituels. Jamais ces dimensions ne sont niées. Ils en discutent avec une telle aisance, que celle-ci peut sembler surprenante pour le Québécois attentif aux irritations du Québec face à son passé religieux. L’ouverture constatée est très stimulante et fait du bien à entendre. Elle est à l’image du modèle qui émerge de Compostelle. Toutes ces pratiques religieuses et spirituelles cohabitent dans un respect mutuel, dans un désir d’échanges et de partage, cela afin d’en apprendre davantage et aller plus loin que Compostelle.
Enfin, un seul bémol à ce rassemblement qui aborde la question pèlerine de manière parfois trop technique. Trop peu de recherches font état de ce que le pèlerinage suscite comme expérience. Plusieurs occasions de vivre l’expérience y sont présentées, mais aucune ne s’est réellement penchée sur le processus et le soutien à offrir dans une telle démarche. Beaucoup d’observations terrains sont faites sur des pratiques quantifiables (qui fait quoi, visite quoi, utilise quoi?), des statistiques sur le rapport entre blessures et pratique religieuse ou non du pèlerinage, des projets qui réinvestissent la métaphore du pèlerinage dans différents cadres, même le thème Pilgrimage Pedagogy n’arrivait pas à dégager quelque chose qui mette réellement en lumière cette « pédagogie pèlerine ». Peut-être est-ce un volet trop récent des Études Pèlerines? On commence à peine à voir surgir le pèlerinage dans le champ pédagogique des transformative learnings ou encore sous le concept allemand de bildung[3]. Les seuls à être pleinement entrés dans la question du symposium sont les trois panellistes. George Greenia nous avertissait d’ailleurs de prendre garde à cette tentation, car il y a danger d’instrumentaliser le pèlerinage en cherchant absolument un produit final : « will pilgrimage get something done? ». Le pèlerinage est avant tout affaire de mouvement, de déplacement, dont la destination est en perpétuel construction.
Malgré cela, ou peut-être grâce à cela, le pèlerinage aura encore beaucoup à dire pour notre époque. La présence interconfessionnelle et interspirituelle des participants de ce symposium porte en elle l’espérance du Camino. Affranchi d’un modèle exclusivement catholique, il ouvre l’espace pour que le fait religieux puisse s’exprimer et se réfléchir autrement. De plus en plus le pèlerinage de longue randonnée pointe comme symptôme d’une société en mal de vivre, surgissant parmi tous les mouvements migratoires et autres backpackers. La heilige Wanderlust[4] est de retour! De quoi est-elle annonciatrice? De quel désir est-elle porteuse? Les paroles de George Greenia laissent entrevoir dans le pèlerinage la possibilité de réactiver une culture communautaire défaillante : « Pilgrimage is reinitiating a culture of need and hospitality. » Une opportunité qui parle haut et fort à l’heure actuelle.
Éric Laliberté[5]
Doctorant en théologie – Université Laval
Spécialisé en études pèlerines.
[1] Des spécialistes de partout aux États-Unis, de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Australie et du Canada; plus particulièrement du Canada anglais, participaient au symposium. Nous n’étions que deux québécois : le théologien et Jésuite, André Brouillette, qui enseigne à la Faculté de théologie du Boston College, et moi-même, doctorant en théologie de l’Université Laval.
[2] Hervieu-Léger, Danièle. 2003. Le pèlerin et le converti: la religion en mouvement. Paris: Flammarion.
[3] Le concept de bildung fait référence à la tradition allemande de « self-cultivation » qui n’a rien à voir avec la « croissance personnelle ». Ce concept a été, en bonne partie, élaboré par le philosophe Wilhelm von Humboldt et a bien évolué depuis.
[4] L’expression allemande « heilige Wanderlust » signifie « sainte bougeotte ». Elle est l’expression utilisée par l’Église pour condamner le pèlerinage au XVIe siècle. Plusieurs quittaient femme, parents et amis pour se lancer sur les grands chemins de pèlerinages et on questionnait la piété de leur ambition. Était-ce pour fuir un monde trop accablant, trop contraignant? Une réalité lourde à porter?
[5] Dans le cadre de ce symposium, Éric Laliberté présentait une communication intitulée : « The Way: a “post-religious” pilgrimage? ». Il est possible de se procurer cette communication en format PDF en cliquant ici.