Compte rendu du livre Soumission de Michel Houellebecq Reviewed by Charles Gariépy on . Blague patentée ou thèse sérieuse ? Difficile de dire, après lecture, en quoi consiste cette nouvelle histoire de Michel Houellebecq. Chose certaine, c’est que Blague patentée ou thèse sérieuse ? Difficile de dire, après lecture, en quoi consiste cette nouvelle histoire de Michel Houellebecq. Chose certaine, c’est que Rating: 0
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Compte rendu du livre Soumission de Michel Houellebecq

Blague patentée ou thèse sérieuse ? Difficile de dire, après lecture, en quoi consiste cette nouvelle histoire de Michel Houellebecq. Chose certaine, c’est que l’auteur emploie la théorie adoucie du choc des civilisations comme prétexte à la littérature, à la création de personnages, à la mise en place d’une intrigue. François, le spécialiste blasé d’un poète abscons du dix-neuvième siècle, devient témoin d’un bouleversement gouvernemental jamais vu dans l’histoire récente : le remplacement des élites républicaines de France par un Conseil musulman. Il s’en suit l’islamisation de la Sorbonne, où il travaille, et la perte de son poste au sein de cette même université. Le professeur déchu retrouvera peu à peu ses lettres de noblesse en s’initiant à la religion d’Allah, bénéficiant au passage des « bienfaits » de la polygamie. De l’ironie partout ? Rien n’est moins sûr. Houellebecq investigue littérairement, par l’entremise de son personnage principal, sur la nature du dogme mahométan. Le procédé n’est pas nouveau chez lui, puisqu’il l’avait employé dans La possibilité d’une île, pour explorer la scientologie, et dans La carte et le territoire, pour aborder l’Église de Rome. Quoi de mieux que l’incarnation d’une figure romanesque pour entrer intimement dans un mouvement cultuel et le connaître. En cela l’auteur se repent peut-être de cette allégation tant décriée en 2001 où il disait que « la religion la plus con, c’est quand même l’islam ». Dans Soumission, Houellebecq défend les musulmans jusqu’au bout, mais par le biais de la littérature, s’entend, la littérature qui est toujours une forme de négativité, d’ironie, de jeu.

L’hypothèse de l’arabisation de l’Europe est invraisemblable, mais là n’est pas la question. Nous pourrions trouver aisément tous les arguments, toutes les preuves, et tous les contre-exemples que c’est le monde arabe qui s’occidentalise et pas l’inverse. Ceux qui sont tombés dans le piège, c’est qu’ils ont un point de vue à défendre, Houellebecq non. Ce dernier change seulement de perspective et engendre de ce fait toute une fresque. Dans son précédent ouvrage, c’était la théorie du Grand Chinois, et dans l’avant-dernier bouquin, l’Occident des Lumières finissait par l’emporter… On peut cependant noter une constante chez l’écrivain français le plus prisé de l’heure, c’est l’appréhension de la problématique du désir. Depuis la parution d’Extension du domaine de la lutte, en 1994, jusqu’à aujourd’hui, l’auteur n’a eu de cesse d’élaborer autour de ce dilemme qu’est l’appétit amoureux. Appétit d’une part, puisqu’il s’agit de pulsions sexuelles ; amoureux d’autre part, en ce sens qu’une dimension supérieure – transcendant les simples mécanismes aveugles – est envisagée. Et c’est en cela que Houellebecq est un écrivain véritablement religieux. Toutes les sectes, les mouvances religieuses, les bastions de spiritualité, ont leur mot à dire sur la sexualité. On pourrait affirmer qu’à chaque nouveau roman, notre auteur a cherché une piste de solution – jamais définitive – à ce problème posé initialement dans Extension du domaine de la lutte. Considérant le libéralisme sexuel, ce système qui nous est contemporain, il fait de l’individu une particule élémentaire créant des liaisons, s’entrechoquant avec d’autres molécules, engendrant ou fissionnant au gré du hasard des couples, des mariages d’amour, toutes sortes de relations instables. Survient alors la question du bonheur dans ce chaos ambiant. La religion apparaît ainsi pour l’auteur comme un baume sur la plaie. Le bouddhisme préconise l’extinction du désir par une thérapeutique, le christianisme une consolation pour tous les réprouvés du giron sensuel. Enfin, la religion scientifique d’Auguste Comte offre un espoir pour l’avenir des hommes quand la Technique pourra suppléer aux souffrances morales et physiologiques. Selon Michel Houellebecq, l’Amour se solde toujours par un échec. Véronique, Annabelle, Valérie, Esther, Olga, et enfin Myriam dans Soumission, autant de filles qui disparaissent pour laisser le héros seul, morfondu et dans le noir. En allant voir les prostituées, le personnage principal ne fait que vérifier sa propre ténèbre affective. Les héros romanesques de Houellebecq sont tous des érotolâtres en ce sens qu’ils font de l’objet d’amour une sorte de dieu qui apporte la sanctification. En perdant cet objet d’amour, ils tombent en enfer. Est-ce vraiment l’auteur qui pense cela, ou bien ne serait-ce pas plutôt l’époque ? Difficile de tracer la ligne.

Dans le conte à saveur politique Soumission, l’écrivain sophistique Michel Houellebecq nous apporte une nouvelle pseudo-solution au problème du désir qui est liée comme toujours à la sphère religieuse. François perd sa petite-amie dont – en tant qu’homme faible – il avait faite une idole et se retrouve dans la géhenne de feu. Il cherche à contrer ses carences amoureuses en faisant appel aux agences d’escortes. Puis il découvre l’islam qui vient de s’installer dans son pays en prenant la place du vieux libéralisme sexuel inhérent au régime républicain. La logique de l’« amour libre » proposait aux individus atomisés des unions libres ou des mariages d’amour. En fait, toute cette liberté et cet enthousiasme érotique tendaient à cacher une misère sexuelle croissante. Soumission fait un pied de nez à cette logique : qu’elle crève ! On assiste à un retour en force du mariage de raison. Des marieuses musulmanes font en sorte que les nouveaux convertis ne croupissent pas dans un célibat malsain, mais qu’ils aient accès à une femme, même à deux, à trois, à quatre suivant la loi islamique. François y trouve son compte. Pour ce qui est de la sincérité de sa conversion, on lui explique à coup d’arguments créationnistes que l’univers ne peut pas être le fruit du hasard. Il y croit. François sera-t-il heureux ? Le livre ne nous le dit pas. Si soumission il y a, c’est finalement celle de l’individu qui cesse de lutter pour l’existence, qui arrête son combat quotidien athée, et qui se laisse prendre en charge par le monothéisme. Au demeurant, notre héros hésitait entre se laisser bercer par une vie monastique et cette vie-là. À tout prendre, rien ne sert de critiquer cette nouvelle réponse apportée au dilemme amoureux qui est, comme toutes les précédentes, trop facile à ébranler. Mais François, c’est avant tout l’homme occidental moyen qui a fait des études moyennes sur un auteur moyen – Huysmans. Son rapport au désir n’est pas non plus héroïque. Houellebecq se concilie ainsi le plus grand nombre de gens, et c’est en cela qu’il est populaire. Il n’est pas Bloy et il le revendique ouvertement dans son ouvrage. Aucune innovation stylistique. Pas la moindre justesse géopolitique. Apportant une solution qui est loin de régler le problème du désir, et qui peut-être même contribue à maintenir son public dans l’ignorance, il se veut lui aussi moyen, à l’image de l’époque.

Michel Houellebecq, Soumission, Paris, Flammarion, 2015, 300 p.

ISBN : 9782081354807

32,95 $

A propos de l'auteur

Collaborateur

Charles Gariépy a obtenu un baccalauréat en études anciennes et poursuit présentement sa maîtrise en études anciennes. Il étudie principalement la Cité de Dieu d’Augustin. Il a publié en 2011 une nouvelle pour la revue littéraire Zinc. Il est membre du groupe de recherche en christianisme ancien GRECAT. Ses intérêts sont en majeure partie littéraires.

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