Compte-rendu du film La passion d’Augustine
Le film La passion d’Augustine est le dernier film de la réalisatrice Léa Pool. Il s’agit d’un drame qui met en vedette Céline Bonnier, dans le rôle de Simone Beaulieu, devenue Mère Augustine, et Lysandre Ménard dans le rôle de sa nièce Alice. Ce film met également en vedette Diane Lavallée, Valérie Blais, Marie Tifo et plusieurs autres comédiennes de talent. Il est en salle depuis le 20 mars dernier. Il a été produit par le studio Lyla Films et distribué par les Films Séville.
L’histoire se déroule dans un couvent au bord du Richelieu. La Mère supérieure, Simone Beaulieu, passionnée de musique, a tout misé sur l’éducation musicale de ses élèves, qu’elle appelle affectueusement « ses filles ». Sa nièce, Alice, une talentueuse pianiste, vient la rejoindre au couvent lorsque sa mère éprouve des difficultés et ne peut plus s’en occuper. Or, non seulement l’arrivée d’Alice viendra bousculer La Mère supérieure, mais des changements profonds de l’Église catholique et de la société québécoise viendront lui ajouter des soucis et des problèmes. Dès l’arrivée de la nièce, l’intrigue commence et le public est quelque peu fixé sur le dénouement du film. La scène finale se fait, dès lors, très discrète : on y voit ce que l’on attend. On ne peut que saluer la réalisation de ce film qui ne met justement pas l’accent sur le dénouement. L’essentiel du film ne tient pas seulement à l’intrigue et à la reconnaissance, mais plutôt à la psychologie des personnages.
Deux changements importants surviennent à cette époque. D’une part, l’Église catholique cède à l’État la responsabilité d’éduquer et de soigner ses citoyens. D’autre part, les évènements se situent au lendemain du Concile Vatican II, qui a pris place entre 1962 et 1965. Céline Bonnier, qui tient le rôle principal, a affirmé dans une entrevue diffusée à Tout le monde en parle, sur les ondes de Radio-Canada, que le film n’a rien de religieux. Il est vrai que les thématiques abordées ne sont jamais situées dans une réflexion religieuse ou spirituelle. L’intérêt ne porte pas sur le fait de savoir si ces changements affectent le croyant dans sa foi, c’est-à-dire comment il doit donner un sens à la nouveauté suite à l’abandon d’une partie de la tradition. Le film aborde plutôt ces expériences de transformations sous l’angle psychologique. On peut, dès lors, suivre la réaction des personnages face aux changements, comme la menace de la disparition du couvent en raison de la prise en charge de l’éducation par l’État et les changements brusques dans l’organisation de l’Église. Voyons quelques exemples.
Premièrement, abordons les importantes transformations de l’Église. Le Concile Vatican II eut pour effet de changer la liturgie : les messes, qui étaient autrefois en latin, sont, dès lors, célébrées en français. Ensuite, le prêtre qui, traditionnellement, tournait le dos aux fidèles durant les célébrations religieuses leur fait maintenant face et la musique est remplacée par un style plus actuel. O misera mater superior[1]! Bien évidemment, une scène dans le film montre toute l’horripilation des sœurs lorsqu’elles se retrouvent devant un groupe populaire, composé de prêtres, venu agrémenter la messe de sa musique. Or, les sœurs du couvent s’efforcent d’amener les jeunes filles vers une culture plus élevée : Bach, Chopin, Beethoven, Litszt, etc. Elles se retrouvent, en leur mur, confrontées à une musique moins édifiante : face à tous ces grands compositeurs qui se succèdent dans la trame sonore du film. Ainsi, le public ne peut que constater un certain nivèlement vers le bas lorsque ces prêtres viennent louanger Dieu à la manière de « Dave Clark Five ». Par contre, un changement encore plus brutal survient par la suite : le renoncement aux habits traditionnels. Si la transformation musicale de la liturgie peut être vue selon l’aspect culturel, c’est sous l’aspect psychologique qu’intervient le port de nouveaux habits. On revisite l’abandon des habits selon diverses réactions de la part des sœurs. Certaines ont hâte de les voir et de les enfiler, tandis que d’autres sont outrées, car le fait d’enlever ces longs et traditionnels habits noirs est synonyme de se faire violence. On réinterprète donc cette métamorphose du point de vue des sœurs. On peut en effet bien s’imaginer que, pour certaines, l’abandon de ces habits signifiait le renoncement à une partie de leur identité, leur protection en ce bas monde. C’est du moins sous cet angle que la réalisatrice a choisi de dépeindre cette scène. Quoi qu’il en soit, la séquence est très touchante, mais une fois passé les tourments de la métamorphose, on sent que ce changement en valait le coup.
Nous n’entrerons pas, ici, dans le deuxième point concernant les changements provoqués par le passage de l’éducation aux mains du gouvernement québécois. Cet élément mériterait en soi d’être discuté, car l’on sent bien que la vision du film n’est pas manichéenne (vision selon laquelle le Bien et le Mal s’opposeraient et l’où on verrait l’enseignement par le ministère de l’Éducation comme meilleur que l’enseignement par les religieux). Cette perception soulève d’intéressants questionnements sur l’éducation et cela, au même moment où des grèves d’étudiants font rage présentement au Québec. Bien entendu, c’est un aspect important de la trame narrative du film et, on a parfois l’impression que, selon la réalisatrice, on regrette les couvents qui étaient associés à la rigueur dans leur éducation.
Par contre, le film apporte des nuances. Bien qu’on y voit un évêque contrarié de « perdre du pouvoir » dans la société québécoise, la critique de la religion et du travail des religieuses, est, selon nous, assez positif. Bien entendu, on sent parfois la critique de la place de la femme dans la religion. Par exemple, lorsqu’une enseignante parle, au sujet des sœurs, de « main d’œuvre bon marché » ou encore, lorsque certaines sœurs voient leurs habits comme des vêtements d’un passé lointain. Tout cela est de bonne guerre. Le film montre aussi qu’on ne peut faire autrement que de regretter la rigueur, la culture, l’engagement de ces sœurs. Ce qui constitue une contrepartie beaucoup plus élogieuse à leur égard. En somme, le film nous fait revisiter un passé pas si lointain de notre histoire avec un regard moins accusateur que l’on a l’habitude d’avoir.
Un compte-rendu de Jeffery Aubin
[1] Je prends la liberté de transformer un vers de ce bon vieux Catulle pour les mettre dans la bouche de Simone Beaulieu.