La Société missionnaire canadienne-française et l’Église unie du Canada
Le protestantisme québécois
– Partie 6 –
La fin de la Société missionnaire canadienne-française et la formation de l’Église unie du Canada : le passage d’un type d’unité à un autre
De l’arrivée d’Henry Olivier, premier missionnaire protestant envoyé au Québec par la société évangélique de Lausanne (Suisse) en 1834, jusqu’à la création de la société missionnaire méthodiste en 1954, les confessions protestantes se sont installées au Québec avec leur propre société missionnaire indépendante. Malgré cette multitude de confessions dans le champ missionnaire, un certain climat d’unité arrivait à régner.
On doit à la Société missionnaire canadienne-française, fondée en 1839, une certaine unité dans le paysage multiconfessionnel du protestantisme québécois du 19e siècle. On peut d’ailleurs parler de l’une des grandes périodes missionnaires du protestantisme franco-québécois. Après la fin des activités de cette société en 1880 et avec les changements sociaux qu’apportait le 20e siècle, l’unité des forces protestantes a pris un autre visage avec la formation de l’Église unie du Canada en 1925. Cet article propose un survol historique pour ainsi mieux comprendre cette importante période du protestantisme québécois.
La Société missionnaire canadienne-française, source d’unité du protestantisme franco-québécois
La Société missionnaire canadienne-française (SMFC), ayant débuté en 1839, a été l’organe d’unité liant les diverses confessions protestantes au Québec. La SMFC n’était pas nécessairement soutenue officiellement par toutes les confessions, mais on retrouvait néanmoins parmi les ouvriers de cette mission des représentants de chaque confession. Les baptistes avaient leur propre mission qui fonctionnait de façon assez indépendante à la Gande-Ligne et l’Église Anglicane ne se montrait pas particulièrement favorable au prosélytisme de la SMCF (voir « Les débuts d’un protestantisme durable au Québec »), mais malgré cela, des individus membres d’Églises baptistes et anglicanes s’impliquaient dans la SMCF au côté de congrégationalistes, de presbytériens et de méthodistes.
D’un point de vue qualitatif, la SMFC était source d’unité parce qu’elle était officiellement non confessionnelle et que des membres de diverses églises protestantes s’y retrouvaient. Elle était aussi unificatrice au point de vue quantitatif, car elle était la société regroupant le plus grand effectif de missionnaires. Au début des années 1870, la moitié des missionnaires protestants œuvrant auprès des francophones le faisait au sein de la SMCF.
Fin de la Société missionnaire canadienne-française
L’indépendance confessionnelle de la SMFC a certainement été à la source de son succès, l’image d’unité que cela pouvait projeter était nécessaire à une mission protestante en milieu catholique. L’éclectisme de la diversité du protestantisme a souvent été pointé du doigt par les catholiques afin de discréditer le protestantisme devant la structure ecclésiale catholique considérée comme garante d’unité.
Par contre, n’étant pas rattaché à une Église en particulier, son financement n’était pas automatique. Pour arriver à fonctionner, la SMFC devait faire des collectes de fonds à travers les diverses églises protestantes en Europe, aux États-Unis et dans le Canada anglophone.
Avec les ralentissements économiques de la fin du 19e siècle, les différentes confessions ont été moins généreuses envers la SMFC, préférant investir le peu qu’ils avaient dans les missions de leur propre confession. Ainsi, après plusieurs années de dur labeur, la SMFC est dissoute en 1880 et met ainsi fin à ses activités.
Cette même année, au Québec, « on peut envisager une population [de franco-protestants] de peut-être 4000 convertis »[1]; ceux-ci étant repartis en une vingtaine de paroisses bien établies et une soixantaine de petites communautés ou de points de missions. Le nombre de convertis est considérable vu qu’une cinquantaine d’années auparavant il n’y avait pas plus que quelques individus protestants de langue française. Cependant, la mission franco-protestante a rencontré un défi de taille, c’est que la plupart des convertis finissaient par quitter le Québec. Le pasteur méthodiste Louis Beaudry raconte qu’« en neuf ans, [il a] reçu 291 personnes dans la communauté dont plus de la moitié sont parties aux États-Unis »[2]. Dominique Voght Raguy a dénombré que les trois quarts des convertis ont déménagé aux États-Unis et au Canada anglais[3]. Les communautés n’arrivaient donc jamais véritablement à croitre en sol québécois.
Daniel Coussirat et les débuts d’une éducation théologique protestante et francophone
L’une des stratégies missionnaires des Églises franco-protestantes était l’éducation. On fondait des écoles pour les jeunes et on apprenait à lire aux adultes. Plus la communauté franco-protestante grandissait, l’éducation des futurs pasteurs et missionnaires commençait à devenir un enjeu de taille. La première génération d’ouvriers missionnaires au Québec était originaire d’Europe ou des régions anglophones de l’Amérique. Pour rendre les communautés franco-protestantes autonomes, on devait pouvoir former des pasteurs sans que ceux-ci aient besoin de s’exiler. Il s’agit en quelque sorte du même processus qui poussa Mgr François de Laval à fonder le Séminaire de Québec bien des années auparavant, en 1663, rendant ainsi l’Église catholique autonome en Nouvelle-France.
C’est ainsi que le français Daniel Coussirat, alors âgé de 26 ans, est recruté en 1867 par l’Institut de Pointe-aux-Trembles de Montréal pour enseigner la théologie. Deux ans plus tard, il transféra sa classe de théologie au Collège Presbytérien de Montréal qui venait tout juste d’amorcer ses activités. Coussirat devenait ainsi le premier conférencier du département français du Collège Presbytérien.
Après être retourné en France pendant 5 ans, en 1880, Coussirat revint au Canada et fut nommé professeur de la chaire française de théologie au Collège Presbytérien. Il avait alors une charge d’enseignement assez vaste, couvrant, entre autres, l’apologétique, l’homélitique, la philosophie, la littérature et l’histoire. Deux ans plus tard, l’Université McGill le nomma conférencier. Puis, en 1887, il devient professeur titulaire de la Chaire de littérature orientale de l’Université McGill.
Coussirat a été l’un des réviseurs de l’édition de 1881 de la Bible Ostervald[4]. En 1885, il s’est vu décerner les titres d’Officier de l’Académie puis d’Officier de l’Instruction publique par le gouvernement français. Enfin, en 1893, on lui décerna un doctorat honorifique de l’Université Queen’s, en Ontario. Le premier théologien du protestantisme franco-québécois s’est surtout consacré à l’enseignement. Il n’a pas publié d’ouvrage de théologie. Par contre, il a laissé quelques publications dans le journal L’Aurore, et les textes de ses prédications ont été conservés dans les archives paroissiales de son église.
L’enseignement de Daniel Coussirat a très rapidement été associé au Collège presbytérien. Ainsi, la majorité de ses étudiants ont toujours été des presbytériens, mais malgré cela, quelques méthodistes et congrégationalistes ont préféré se former à Montréal chez les presbytériens plutôt que de s’exiler pour recevoir un enseignement propre à leur dénomination.
Vers l’unité des Églises protestantes au Canada
Vers la fin du 19e siècle, le protestantisme canadien est en plein bouleversement. D’abord, les méthodes d’évangélisation auparavant utilisées sont à revoir. Le colportage qui jusque-là avait été la méthode priorisée par le missionnaire protestant n’est plus efficace. Cette méthode jugée trop prosélyte est mal perçue par la société. La mission protestante passera donc maintenant presque seulement par l’éducation. De plus, la tendance à la multiplication des Églises protestantes qui depuis la Réforme au 16e siècle avait toujours vu le nombre de dénominations protestantes augmentées commence à se renverser.
En 1821, les différentes Églises presbytériennes de Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard se fusionnent en une seule Église. Mettant ainsi fin, en sol canadien, aux divisions qui sévissaient au sein des Églises presbytériennes d’Écosse. Du côté des méthodistes, c’est en 1829 que la première union voit le jour. Ces premières unions, qui étaient encore assez locales, en ont inspiré d’autres pour voir finalement apparaître, en 1875, une union des forces presbytériennes partout au Canada. Ensuite, en 1884, une union méthodiste voit le jour et, en 1907, une union Congrégationaliste.
Dès qu’une union entre des Églises était conclue, on envisageait déjà une union plus large. Ce mouvement d’Églises d’union a culminé en 1925 lors de l’inauguration de l’Église Unie du Canada qui voyait fusionner les presbytériens, les méthodistes et les congrégationalistes de tout le Canada sous une seule et même Église.
Toutes les Églises franco-protestantes de confessions presbytériennes, méthodistes ou congrégationalistes – à l’exception de la paroisse presbytérienne de Grenville, dans les Laurentides – sont entrées dans l’Église Unie du Canada. Par contre, les anglicans et les baptistes se sont tenus à l’écart de ce mouvement d’union et ont continué à opérer de façon indépendante.
Si la majorité des presbytériens francophones joignent l’Église Unie, un bon nombre de presbytériens anglophones fondent une Église presbytérienne indépendante de cette dernière. Ces Églises veulent rester fidèles à la tradition calviniste, selon les décrets de la Confession de foi de Westminster de 1646, et jugent l’Église Unie du Canada trop libérale d’un point de vue théologique. Ce refus de certains presbytériens d’entrer dans l’Église Unie se situe historiquement dans le vaste conflit qu’on a souvent appelé la « crise moderniste », aux États‑Unis. Ce conflit a, entre autres, poussé la branche orthodoxe des presbytériens états-uniens à quitter le séminaire presbytérien de l’Université de Princeton, aux États-Unis, pour fonder, en 1929, le Séminaire théologique de Westminster, une institution qui se veut fidèle à la Confession de foi de Westminster et qui refuse le libéralisme théologique.
Les Églises d’union dans le monde
Les protestants canadiens ont été parmi les précurseurs du mouvement d’union, mais ce mouvement dépasse largement les frontières du Canada. Aux États-Unis, en 1931, quatre associations d’Églises congrégationalistes s’unissent pour former The Congregational Christian Churches. Par la suite, en 1934, deux Églises ayant des origines réformées et luthériennes s’unissent pour former The Evangelical and Reformed Church. Et enfin, en 1957, les deux Églises fondées en 1931 et 1934 s’unissent pour former The United Church of Christ.
En Australie, en 1902, cinq églises Méthodistes se sont unies pour former the Methodist Church of Australasia. En 1901, les Églises presbytériennes des différents états fédérés australiens se sont regroupées pour former The Presbyterian Church of Australia. Enfin, en 1977, Méthodistes et Presbyteriens se sont joint à The Congragational Union of Australia pour former The Uniting Church in Australia.
Ces Églises d’union à travers le monde ont toutes adopté une ecclésiologie de type presbytéro-synodale, c’est-à-dire que la gestion de l’église locale se fait par un Conseil presbytéral élu par les membres et que chaque Conseil presbytéral est représenté dans un synode national qui prend les décisions de l’ordre de la discipline et de la doctrine de l’Église. C’est l’ecclésiologie qu’ont originellement adoptée les Églises réformées et presbytériennes. Elle se situe à mi-chemin entre l’organisation hiérarchique de type épiscopalienne de certaines églises luthériennes et méthodistes et l’organisation centrée sur l’église locale des Églises congrégationalistes. Ces églises d’union ont adopté une théologie se distanciant des doctrines d’infaillibilité et d’inerrance de la Bible pour embraser pleinement les méthodes d’exégèse historico-critique de la Bible.
La FCMS et Église unie du Canada : deux types d’union différents
Pour terminer, il est nécessaire de noter la différence entre l’unité interconfessionnelle de la FCMS et l’unité de l’Église Unie du Canada. La première relève d’une unité basée sur un sentiment d’urgence d’agir pour sauver les âmes. Face à cette urgence, on préfère mettre l’accent sur les doctrines essentielles et communes afin de parler d’une même voix. On s’accorde surtout sur le besoin que chaque personne doit reconnaitre son état de pécheur et doit se repentir devant Dieu afin de vivre une vie transformée par le Saint-Esprit. La FCMS a aussi œuvré dans des domaines sociaux comme l’éducation, mais il faut comprendre ses œuvres comme un moyen pour arriver à la conversion plutôt que d’une fin en soi.
L’unité de l’Église Unie relève davantage de la conviction que les doctrines qui étaient source de division dans l’Église ne sont pas nécessairement pertinentes. L’Église Unie ne s’occupe pas des débats qui ont traditionnellement divisé le protestantisme. Par exemple, au lieu de reléguer le débat entre calvinisme et arminianisme au rang secondaire, ils l’ont plutôt évacué. Le regroupement formé par l’Église Unie, quoiqu’il ne nie pas le besoin de repentance dans la vie chrétienne, a plutôt visé à mettre l’accent sur un évangile social et à être une Église au service de la communauté et de la nation canadienne. Cette Église a davantage visé à être une voix pour se porter à la défense des pauvres, des marginalisés, et ce, afin d’unir la société canadienne plutôt que d’unir la société canadienne par la conversion personnelle de chaque individu.
Bien que ces deux types d’unité ne soient pas en opposition, il faut souligner que les motifs menant aux rapprochements n’en sont pas les mêmes. Ainsi on peut voir des précurseurs plus directs à l’Église unie au Canada, dans des mouvements comme les sociétés de tempérance et les YMCA ou les YWCA que dans la FCMS. Et ce, même si les revivalistes se sont aussi impliqués dans les œuvres à caractères sociaux.
Pour aller plus loin
- Jean-Louis Lalonde, Des loups dans la bergerie : Les protestants de langue française au Québec : 1534-2000, Québec : Fides, 2002.
- Dominique Vogt-Raguy, « Les communautés protestantes au Canada : 1834-1925 », Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, 1996.
- Phyllis D. Airhart, A Church with a Soul of a Nation: Making and Remaking the United Church of Canada, Montréal: McGill-Queen’s University Press, 2014.
[1] Jean-Louis Lalonde, Des loups dans la bergerie : Les protestants de langue française au Québec : 1534-2000, Québec : Fides, 2002, p. 366.
[2] Dominique Vogt-Raguy, « Les communautés protestantes au Canada : 1834-1925 », Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, 1996, p. 517.
[3] Dominique Vogt-Raguy, « Les communautés protestantes au Canada : 1834-1925 », p. 929.
[4] En 1744, Jean-Frédéric Ostervald a proposé une traduction révisée de la Bible. La « Bible Ostervald » tire donc son nom de ce théologien protestant (1663-1747). [NDLR]