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Une foi à transporter les bosons !

De passage en Amérique pour le lancement de son nouveau livre, Un Appétit pour le merveilleux : la fabrication d’un scientifique, Richard Dawkins était l’invité de Jian Chomeshi sur les ondes de CBC Radio le 9 octobre dernier. Les toutes dernières minutes de l’échange entre les deux hommes ont particulièrement attiré mon attention. L’animateur de l’émission Q a demandé au biologiste anglais quel était son souhait pour le futur des croyances et de la religion. Richard Dawkins a dès lors répondu qu’il espérait que les gens se tournent vers le raisonnement scientifique, qu’ils fondent leurs connaissances sur des preuves et non sur des croyances et sur la foi. Il a par ailleurs ajouté que le monde se porterait mieux si la religion n’existait pas. Ce genre de déclaration est monnaie courante. Pourtant…

Après avoir entendu Richard Dawkins nous inviter à fonder notre connaissance sur la raison scientifique, je n’ai pu m’empêcher de me remémorer les grandes lignes de l’histoire entourant la confirmation de la théorie du boson de Higgs – dont les auteurs furent récompensés par un prix Nobel de physique quelques jours précédant l’entrevue de Dawkins (j’étais d’ailleurs très heureux de l’apprendre). Pour comprendre pourquoi Dawkins me paraît faire fausse route, il faut faire la petite histoire du boson en question. En 1964, les chercheurs François Englert et Peter Higgs ont publié une théorie selon laquelle une particule serait à l’origine de la masse d’autres particules élémentaires et dont l’idée initiale était de combler de manière hypothétique la pièce manquante au modèle standard de physique. Mais n’entrons pas davantage dans les détails de la physique nucléaire. Soulignons plutôt que cette théorie a été confirmée par les travaux du CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) en juillet 2012. C’est précisément cette confirmation par le CERN, 48 ans après la publication de la théorie, qui a aidé ces chercheurs à obtenir le Prix Nobel. Mais que s’est-t-il passé durant ces 48 années ? Le processus entrepris durant cette période de temps va nous aider à mieux apprécier les propos de Richard Dawkins.

Le processus est simple : des chercheurs mettent au point une théorie et d’autres chercheurs vérifient à l’aide d’expérimentations si elle est vraie. Dans le cas du boson de Higgs, ce sont les chercheurs du CERN qui, à l’aide de leur accélérateur de particules, ont pu confirmer l’existence de ce dit boson. À l’aide de cette histoire de boson, nous pouvons maintenant souligner le fait suivant : 48 ans d’efforts et d’argent ont été utilisés pour prouver cette théorie pour laquelle nous n’avions aucune preuve (une théorie, précisons-le, sur laquelle un système entier reposait). Arrêtons-nous là et revenons à la pensée de Dawkins. Si nous suivons le raisonnement du biologiste anglais, les travaux sur la quête du boson auraient dû s’arrêter brusquement il y a cela près de cinquante ans. Car sans preuve de la théorie proposée par les physiciens, il ne fallait donc y prêter aucune attention. Je m’interroge donc sur les chercheurs qui ont travaillé dur pour prouver cette théorie. Ils n’avaient aucune preuve de la véracité de la théorie proposée ; avaient-ils la foi en cette théorie ? Selon Encyclopedia of Religion, publiée par Macmillan Reference, la définition la plus répandue de la foi est « avoir la certitude dans une chose que l’on n’a pas vue ». Les chercheurs du CERN ont dû avoir quelque chose qui ressemblait à la foi pour déployer autant d’efforts et de temps à prouver une théorie qui parle de quelque chose que personne n’a jamais vue. Heureusement que le fait que personne n’avait jamais vu ce boson ne les a pas empêchés de continuer, car ces scientifiques ont grandement contribué à l’avancement de la connaissance. Mais peut-il seulement y avoir avancement de la connaissance lorsqu’on pense comme Richard Dawkins ? On s’étonne qu’il soit lui-même issu de la communauté scientifique ; on peut par ailleurs supposer qu’il sait très bien qu’il existe un grand nombre de théories pour lequel nous ne possédons pas encore de preuve. Faute d’avoir mieux, on affirme que « l’on pense que » et cela sert de base pour une réflexion scientifique. Sauf que dans le monde d’aujourd’hui, on oublie trop souvent de souligner qu’il ne s’agit là que de supposition et l’on accepte tout. À titre d’exemple, le modèle était incomplet et ne fonctionnait pas sans le boson de Higgs durant un demi-siècle ; pourtant personne n’a pensé le mettre à l’index. On l’acceptait et l’enseignait sans avoir toutes les preuves et cela n’est pas sans rappeler le monde religieux décrié par Richard Dawkins.

On peut toutefois se réjouir de vivre à une époque où plusieurs personnes s’élèvent pour nous rappeler d’avoir un sens critique à l’égard de la religion. On peut seulement espérer que l’on appliquera ce même sens critique au raisonnement scientifique qui bénéficie en ce moment d’une grande immunité et mériterait pourtant d’être examiné. Rappelons ici les mots de Socrate : « une vie qu’on n’examine pas ne mérite pas d’être vécue » : il en va de même pour le raisonnement scientifique. Après examen, on se rend bien compte que la religion n’est pas seule à avancer sans évidence – on s’attend à cela puisqu’elle traite du sens de la vie, non pas de son fonctionnement – et que la science requiert parfois de continuer son chemin en attendant les preuves : qui donc de la science ou de la religion a plus d’appétit pour le merveilleux?

A propos de l'auteur

Cofondateur

Jeffery Aubin est diplômé en Études anciennes et a obtenu un doctorat en sciences des religions à l’Université Laval. Il est chercheur postdoctoral à l’Université d’Ottawa au Département d’études anciennes et de sciences des religions. Il travaille sur les Pères de l’Église, les textes apocryphes chrétiens et les hérésies. Il s’intéresse aux rapports entre les récits cosmologiques et l’éthique, aux rapports entre les religions et la société et, enfin, à la philosophie de la religion. Passionné par ces questions, il aime également analyser les questions actuelles portant sur ces thèmes.

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Commentaires (1)

  • Charles

    Dans ce billet, il me semble que la « foi » scientifique et la foi religieuse sont identifiées l’une à l’autre d’une façon un peu rapide, peut-être à la blague, comme le laisse croire le titre et la chute de l’article, bien que le reste du billet ait un ton assez sérieux.

    La « foi » du scientifique en une hypothèse est subordonnée, bien qu’elle la précède, à la vérification expérimentale de ladite hypothèse. Cette subordination, il me semble que le billet la nie, peut-être en confondant antériorité et prédominance. En effet, bien que l’hypothèse précède sa vérification expérimentale, comme dans le cas du boson de Higgs, elle n’en détermine pas pour autant le résultat ; de fait, elle est subordonnée à ce résultat, qui peut tout aussi bien la briser que la consolider. C’est ici une différence fondamentale entre foi religieuse et « foi » scientifique : la première est une fin et se veut résiliante ; elle porte, comme vous le dites si bien, sur le sens de la vie et est, de ce fait, invérifiable et irréfutable ; la seconde, quant à elle, est essentiellement un instrument et se veut plastique ; qu’elle soit réfutée ou confirmée a le même résultat : l’avancement de la science. Et c’est pourquoi l’affirmation suivante me semble rapide, celle où vous dites : « Si nous suivons le raisonnement du biologiste anglais, les travaux sur la quête du boson auraient dû s’arrêter brusquement il y a cela près de cinquante ans. Car sans preuve de la théorie proposée par les physiciens, il ne fallait donc y prêter aucune attention. » Il fallait au contraire, selon le raisonnement de Dawkins et de la démarche scientifique, prêter toute son attention à cette théorie hypothétique mais fondée en raison et qui pouvait servir à faire avancer la connaissance humaine et, ajouterai-je, à purifier la foi religieuse des éléments qui lui sont externes, ceux précisément qui sont vérifiables par la science.

    Là toutefois où je vous suis, et je terminerai là-dessus, est qu’il faut critiquer les scientifiques qui opposent foi et science comme deux pouvoirs antagonistes. Il est vrai qu’historiquement l’Église s’est opposée malencontreusement aux développements de la science. Le contrecoup de ces erreurs répétées et regrettables est qu’aux yeux de certains la foi s’oppose aux avancées de la science, ce qui, évidemment, ne fait aucun sens, l’objet de l’une et de l’autre n’étant tout simplement pas le même. Je crois toutefois qu’il serait tout aussi dommageable à la foi qu’à la science de confondre la foi religieuse à la foi et/ou à la croyance temporaires en une hypothèse à vérifier.

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