Les incohérences entourant le débat sur la laïcité au Québec
Ces dernières années, le Québec a eu son lot d’incohérences en matière de laïcité. En pleine campagne de promotion de la Charte des valeurs québécoises, qui, même si son nom n’évoque pas la laïcité, était en fait une tentative pour rendre à l’État québécois une apparence laïque, on avait eu droit à un débat parallèle sur la prière au conseil municipal de Saguenay. On se souviendra que Bernard Drainville – le père de la Charte -, interrogé au sujet de la prière, avait fait figure de Ponce Pilate et avait répondu qu’il laisserait aux juges le soin de décider. Il y a eu aussi les problèmes entourant les crucifix à l’Assemblée nationale et à la mairie de Québec. Dans les dernières semaines, nul autre que Charles Taylor a changé d’avis concernant le port de signes religieux pour certains fonctionnaires en position d’autorité, et ce, dans la foulée du projet de loi 62. Et cette semaine, un crucifix a été retiré d’une salle d’attente de l’Hôpital du St-Sacrement.
Les évènements entourant le « crucifix gate » – c’est maintenant comme cela que l’on appelle le retrait du crucifix à l’Hôpital du St-Sacrement – soulignent encore une fois l’incohérence entourant la laïcité au Québec. Soyons clair, ce n’est pas la décision de l’administration de l’Hôpital qui est incohérente, en fait, c’était la bonne décision à prendre. Les lignes directrices de l’administration de l’hôpital, c’est-à-dire d’enlever le mobilier religieux lorsque possible et de laisser les éléments architecturaux religieux en place, constituent une approche raisonnable à la laïcité. C’est plutôt la réaction du public qui montre que l’on approche la laïcité de la mauvaise manière.
Les chroniqueurs et le public recourent au passé religieux du Québec pour infirmer la décision de l’Hôpital. Il est vrai que la contribution des religieux dans le développement du Québec a été considérable. Paul-Émile Roy pense même que sans ces communautés religieuses, on ne parlerait plus français au Québec[1]. De fait, quand l’État ne s’occupait pas de ses citoyens, c’est l’Église qui s’occupait de leur éducation et les soignait dans ses hôpitaux. On ne doit donc pas oublier cet apport très significatif de l’Église dans l’histoire du Québec. Mais on ne peut en revanche garder le crucifix dans la salle d’attente uniquement pour cette raison. En tout premier lieu parce que la Cour suprême du Canada, dans son jugement rendu dans le cas Simoneau contre la Ville de Saguenay, rappelle que « si, sous le couvert d’une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l’État adhère à une forme d’expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité »[2]. L’État ne doit en aucun cas favoriser une forme d’expression religieuse, même si elle est catholique et qu’elle a été importante dans l’histoire des hôpitaux québécois. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille enlever le crucifix, mais à tout le moins, il faut le désacraliser. Affiché de cette manière, le crucifix se présente comme un signe religieux et l’on est en droit de se demander ce qu’il fait accroché au mur d’un bâtiment de l’État. La solution est pourtant très simple : en plaçant une plaque explicative sous le crucifix, on lui retire son statut de signe religieux pour lui donner un statut d’artéfact. Ce faisant, il n’apparaît plus à personne comme un objet sacré – Bernard Drainville accepte d’ailleurs cette solution[3] ainsi que le Diocèse de Québec[4].
Même si cela paraît simple, la confusion se répand néanmoins dans le grand public. Sur les médias sociaux par exemple, certains ont souligné l’incohérence du père de la Charte des valeurs québécoise, Bernard Drainville. L’idée est que tandis qu’il voulait débarrasser les employés de l’État de tout signe religieux, il supportait néanmoins la prière à Saguenay et défend aujourd’hui la place du crucifix à l’Hôpital du St-Sacrement. Or, cela n’a malheureusement rien d’illogique pour deux raisons.
La première est que l’on prend souvent, au Québec, une approche qui vise à déresponsabiliser l’État et à transférer le poids de la laïcité vers le citoyen – une attitude malheureusement adoptée dans bien d’autres sphères. C’est ce que l’on constate dans le débat au sujet des signes religieux. D’une part, on veut que l’État laisse le crucifix sur le mur, négligeant par là ses responsabilités en matière de neutralité, mais, d’autre part, on demande aux citoyens qui travaillent pour l’État de retirer tout signe religieux. On se demande bien, dans cette logique, pourquoi la façon de s’habiller d’un individu retire davantage l’apparence de laïcité de l’État que ne peut le faire un crucifix sur le mur. L’autre raison est la fibre identitaire. La religion, qu’on le veuille ou non, fait partie des valeurs, des mœurs, de la culture, de la vision du monde que l’on hérite de ses ancêtres[5]. On remarque, à travers le monde, que la religion est souvent instrumentalisée lorsque l’on veut créer un sentiment identitaire fort. C’est la deuxième raison qui vient perturber la gestion de la laïcité au Québec. C’est la raison qui explique par exemple que le père de la Charte des valeurs québécoises voulait voir le voile disparaître – rappelons qu’il tolérait les crucifix d’une certaine grandeur –, mais était plutôt timide au sujet de la prière à Saguenay et maintenant au sujet du crucifix à l’Hôpital du St-Sacrement.
[1] Paul-Émile Roy, La crise spirituelle du Québec, Montréal, Bellarmin, 2012.
[2] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/715812/veille-decision-priere-cour-supreme
[3] http://www.tvanouvelles.ca/2017/02/28/crucifixgate-ca-met-le-feu-au-derriere-dun-paquet-de-gens
[4] http://www.tvanouvelles.ca/2017/02/23/les-crucifix-des-hopitaux-proteges
[5] Bien que les individus choisissent leur religion, l’identité québécoise a hérité du catholicisme et n’en a pas fait le choix.