Le dialogue interreligieux, pourquoi donc?
Le 3 mai dernier se déroulait la 13e édition des 12 heures de spiritualité, la plus importante activité de dialogue interreligieux organisée annuellement dans la ville de Québec. Certains me demandent parfois, et avec raison, quelles peuvent bien être les motivations de monsieur et madame Tout-le-Monde pour passer 12 heures en rencontre avec des représentants et des fidèles d’autres religions, alors que plusieurs Québécois peinent encore à tenter de se départir des traces « culturelles » de la tradition catholique ? Un jour, un homme m’a fait remarquer avec un brin d’humour : « j’ai toutes les misères du monde à me départir des bondieuseries de l’Église qu’on m’a imposée, pensez-vous sérieusement que je vais m’intéresser à celles des autres ? ».
L’interreligieux, clef de la paix sociale?
Soyons honnêtes, la diversité culturelle et religieuse est devenue incontournable, à moins de déployer de grands efforts pour se replier et s’isoler. Comme le dit Mouttapa dans son livre Religions en dialogue, il n’est plus possible de croire en son Dieu comme si celui de l’autre n’existait pas. Depuis des millénaires, nos sociétés ont appris à gérer la mixité culturelle et religieuse, développant mille et une stratégies d’acculturation, d’inculturation, de conversion, de métissage… Les situations qui émergent aujourd’hui diffèrent plus en termes de quantité que de qualité : le marché international, la libre circulation des individus et le réseau d’information ont transformé notre petite planète en une véritable Babel. L’Autre est omniprésent et nos sociétés ne peuvent plus se permettre le luxe de ne pas réfléchir à la gestion de la différence, élaborant ce que Gérard Leroy appelle avec humour des « pratiques cordiales de l’altérité dans une société délétère ». Parce que la diversité pose, apparemment, problème.
Il existe un joli proverbe en Afrique qui dit : « celui qui ne rend jamais visite à son voisin pense que sa mère est la seule cuisinière au monde ». Le premier problème à soulever est celui de l’ignorance et le premier pas pour le surpasser est de reconnaître a priori la valeur de ce qui est autre. Une position presque métaphysique, si l’on y songe bien, qui fait en sorte de relativiser notre point de vue sur les choses et d’accorder crédit à celui des autres. À défaut de cette position d’ouverture, l’ignorance nous maintient dans la peur, l’intolérance et éventuellement la violence. En position d’ouverture à l’Autre, je puis le reconnaître comme irréductible à ma propre réalité, inassimilable, radicalement étranger, et c’est à ce prix seulement que le véritable dialogue peut commencer.
Pourquoi entrer en dialogue avec l’Autre?
Un début de réponse à la question se retrouve dans cette lutte contre l’ignorance. Mais comme le souligne Gérard Leroy, le dialogue n’est pas une fin en soi, il est un moyen en vue d’autre chose. Cette autre chose n’est parfois rien d’autre qu’un simple vivre ensemble dépourvu de violence. Tolérer l’autre dans une coexistence passive ne suffit pas. Trouver une solution à un problème commun, faire des choix de société, cheminer vers une meilleure compréhension du monde, tout cela n’est rendu possible qu’à force de dialogues. Soit, diront certains, dialoguer avec l’Autre, mais la religion reste du domaine privé et ne concerne ni la politique ni les mouvements sociaux dans une société laïque. Pourrons-nous rester dupes bien longtemps encore et croire que le religieux peut être confiné à ce point? Le raisonnement ne passe pas le test de la perspective individuelle : une religion qui teinte les valeurs, les choix, les aspirations, la manière de concevoir le monde et le sens qu’ont les choses ne saurait faire autrement qu’influencer la manière d’être en société. La dimension religieuse et spirituelle est indissociable de l’individu, et une société est constituée d’individus. Cette idée ne va pas à l’encontre d’un projet de société laïque où l’État est dissocié du religieux pour l’exercice du pouvoir, mais elle souligne l’importance de la prise en charge de cette dimension à travers d’autres avenues afin d’éviter l’aliénation.
Du vivre ensemble à la croissance personnelle
Les pratiques interreligieuses sont en train de se déplacer sur un terrain laïc et public, tant au niveau international que local. Le dialogue interreligieux se pratique plus que jamais à partir de la base (grassroot dialogue) et quitte le terrain purement théologique sous l’influence de Vatican II, entre autres, qui fit la promotion des rencontres entre croyants de différentes religions. La perspective sociale du dialogue interreligieux se situe principalement dans le domaine du vivre ensemble pacifique. Les exemples d’initiatives interreligieuses qui vont en ce sens sont nombreux et bien médiatisés (rencontres d’Assises, association Coexister, etc.). Certaines initiatives interreligieuses visent plus précisément des revendications sociales communes à de nombreuses traditions spirituelles, mais aussi des initiatives interreligieuses spontanées autour de crises sociales telles qu’on a vues par exemple lors de l’attentat de Boston, ou plus près de nous, lors des agressions subies par certains groupes religieux au cours de cet hiver à l’ombre de la Charte des valeurs québécoises.
Nous aurions tort cependant de réduire les pratiques interreligieuses à leur surface sociale et utilitaire, au risque de nous satisfaire de rencontres de complaisance frisant l’hypocrisie. La rencontre de l’Autre dans sa religion et sa spiritualité peut devenir, à certaines conditions, une véritable expérience existentielle. Les adeptes du dialogue interreligieux vous parleront avec enthousiasme de l’approfondissement de leur propre foi, de l’élargissement de leur vision du monde et de ses mystères ou du profond sentiment de communion qui découle de leurs expériences interreligieuses. Au-delà de la déstabilisation que l’autre peut provoquer en soi se trouve un immense territoire à explorer, un voyage entre humains qui se reconnaissent comme tels. Cependant, comme toutes belles aventures humaines, elles exigent du temps, de l’espace et beaucoup de bonne volonté. Le dialogue interreligieux est une pratique exigeante. Il faut créer un espace libre et respectueux, donner le temps d’apprendre à écouter et à se dire, provoquer des expériences qui ouvrent des portes sur l’inconnu…
Bien que ce type d’expérience puisse s’élaborer au quotidien avec un minimum de bonne volonté, les pratiques organisées permettent de fournir l’environnement nécessaire aux rencontres de qualité. Participer à ce type d’évènement peut être considéré comme un investissement, tant individuel que social. Il faut oser essayer.
Références
Jean Mouttapa, Religions en dialogue, Paris, Albin Michel, 2002.
Gerard Leroy, « perspective du dialogue interreligieux », Questions en partage, https://www.youtube.com/watch?v=XcUkhnkcW5U