Compte-rendu de la conférence « Démystifier la réalité des communautés musulmanes au Québec » de Daniel Fradette
Le 21 avril dernier, j’ai assisté à la conférence La situation des musulmans à Québec, une interpellation à notre foi? Dans le tintamarre actuel, faire la part des choses organisée par le Montmartre – Centre de culture et de Foi et présentée par Daniel Fradette, conseiller à la vie spirituelle et communautaire à l’Université Laval. Dans mon billet de blogue « Parlons d’islam, d’islamisme, d’islamophobie », j’ai souligné qu’il existe au Québec à la fois une méconnaissance sur l’islam et les musulmans, une crainte réelle à l’égard des communautés musulmanes, mais également une confusion à l’égard de l’islam et de l’islamisme. Il est vrai qu’un sondage CROP-Radio-Canada (2014) soulignait que près de 53 % des Québécois craignaient la menace intégriste musulmane, un taux qui frise les 62 % dans la population âgée de 55 ans et près de 60 % dans les régions du Québec (48 % à Montréal et 51 % à Québec). Cependant, le sondage ne semble pas mentionner combien, parmi les 1 400 répondants, ont une connaissance réelle de la réalité des communautés musulmanes au Québec (ou dans leur région) ou fréquentent/connaissent des membres ces communautés. Il est fort à parier que la majorité d’entre eux auraient répondu par la négative. C’est à ce manque de connaissances sur la réalité des communautés musulmanes au Québec, plus particulièrement à Québec, que la conférence présentée par D. Fradette a tenté d’apporter quelques éclairages afin de contribuer à les faire mieux connaître aux Québécois et à favoriser un meilleur vivre‑ensemble.
Devant un auditoire attentif et majoritairement âgé, rappelons-nous les statistiques mentionnées précédemment, D. Fradette a tenté de démystifier la réalité des communautés musulmanes au Québec et surtout à Québec en se demandant : qui sont nos concitoyens de confession musulmane? Comment vivent-ils? Quelle est leur réalité religieuse, sociale, professionnelle, économique? Pourquoi et comment ont-ils construit leur vie à Québec? Quelle est leur histoire? Comment faire la part de choses entre les différents niveaux de la réalité et comprendre la réalité vécue par les musulmans de la Ville de Québec? D’emblée, D. Fradette, qui connaît bien les communautés musulmanes de la Vieille Capitale, a insisté sur le fait que les musulmans de Québec sont différents de ceux d’Algérie ou du Maroc, de France ou d’Angleterre, d’Ottawa ou de Toronto, voire même de Montréal (où vivent la majorité des musulmans du Québec), car ils possèdent leurs caractéristiques, leur histoire et leur vécu, malgré le partage d’une foi commune. Il est, par conséquent, absurde de vouloir faire des généralisations hâtives en parlant des musulmans – du Québec comme d’ailleurs – comme s’ils formaient un seul et même groupe monolithique, d’autant plus qu’il n’existe pas une communauté musulmane au Québec, mais des communautés musulmanes (par exemple les sunnites, les chiites, les soufis, etc.). La réalité complexe des communautés musulmanes oblige donc à un regard plus nuancé sur la diversité qui les composent. Or, pour mieux comprendre cette diversité, il convient, selon D. Fradette, de s’intéresser d’abord à ceux et celles – que le conférencier nomme affectueusement mes frères et sœurs de confession musulmane – qui vivent parmi nous et avec nous, car ils sont comme nous des Québécois.
D. Fradette a ensuite souligné avec justesse que le regard que l’on pose sur les communautés musulmanes nous provient de divers canaux qui en offrent des visages très différents : les médias traditionnels et sociaux qui insistent sur certains aspects de l’actualité afin de susciter l’intérêt de leur auditoire; les différents paliers gouvernementaux qui ont des discours plus flatteurs, mais également plus opportunistes; les mouvements/groupes militants, souvent agressifs, qui ne recherchent que les aspects négatifs, puis les mouvements/groupes de défense qui cherchent à contrebalancer les choses. Il existe donc différents canaux qui ont chacun des biais et il faut en être conscient avant de porter un jugement sur ces communautés, surtout lorsque la connaissance que nous avons sur elles est indirecte!
Le conseiller à la vie spirituelle et communautaire a ensuite tenté de déconstruire le mythe persistant au Québec – et qui suscite de vives inquiétudes dans la population – qui considère que les musulmans vont nous (les Québécois) envahir et qu’ils sont une menace pour nos valeurs et notre culture, car ils veulent qu’on adopte leur culture et leur religion. Or, a-t-il insisté, il existe trois principaux facteurs qui favorisent une croissance de la population musulmane au Québec : l’immigration, la natalité et la conversion. S’appuyant, entre autres, sur les travaux de Frédéric Castel, chargé de cours au Département des sciences des religions à l’Université du Québec à Montréal, D. Fradette a d’abord rappelé qu’il n’y a jamais eu de véritable vague de conversion à l’islam depuis l’arrivée des premiers musulmans au Québec au tournant des années 1970, au moment où se produisait la révolution iranienne, ni de grands mouvements de prosélytisme (contrairement, par exemple, aux Témoins de Jéhovah). Le taux de conversion à l’islam au Québec demeure donc très faible. De plus, comme dans bien d’autres religions, le taux de pratiques quotidiennes des musulmans, notamment la fréquentation régulière des mosquées, est en baisse. Par conséquent, plusieurs musulmans le sont d’appartenance et de culture beaucoup plus que de pratiques, comme beaucoup de Québécois se définissent encore comme d’appartenance et de culture catholiques sans pratiquer sur une base régulière leur religion, tout en continuant d’assister à la messe de minuit. Il a ensuite précisé que, contrairement à l’idée reçue, le taux de natalité des musulmans du Québec avoisine ceux des autres Québécois, ce qui s’explique, selon lui, par le fait que les musulmans qui vivent au Québec adoptent un mode de vie similaire à ceux de leurs concitoyens : ils ne procréent pas plus, pas moins!
Finalement, il a abordé la question de l’immigration musulmane au Québec en rappelant que les politiques d’immigration au Québec et au Canada sont très sévères et que le nombre de migrants par année est limité. Par conséquent, il n’y a jamais eu, et il n’y aura probablement jamais, une immense vague migratoire musulmane au Québec, car les politiques gouvernementales en la matière sont restrictives. D’ailleurs, précise-t-il, la population musulmane au Québec est actuellement estimée à 243 000 personnes, soit moins de 3 % de la population (ils représentaient environ 1,5 % de la population en 2001, un taux de croissance normal sur une période de 15 ans), un taux comparable au reste du Canada si on se fie au recensement de 2011 de Statistique Canada (mettre image2). D. Fradette a également rappelé qu’il existe des différences majeures entre les musulmans vivant au Québec et les musulmans vivant en Europe, notamment en France. En raison des règles sévères de la politique canadienne et québécoise d’immigration, la population musulmane – comme les autres populations immigrantes – au Québec est majoritairement plus scolarisée et diplômée que la population musulmane d’Europe, ce qui s’explique, notamment, par des facteurs historiques et économiques. De plus, 97 % des jeunes musulmans du Québec fréquentent l’école publique, un taux qui est relativement plus élevé qu’en France, et la quasi-totalité des musulmans vivant à Québec parle français, ce qui s’explique encore une fois par les politiques d’immigration du gouvernement québécois qui favorisent les immigrés francophones. Finalement, contrairement à la France, il n’existe pas de « ghettos sociaux » au Québec, communément appelés « les Cités », ce qui contribue à l’intégration de la population musulmane plutôt qu’à leur marginalisation. Certes, il existe un taux plus important de chômage dans la population musulmane au Québec, comme c’est le cas d’ailleurs dans l’ensemble des communautés ethnoculturelles du Québec, mais les proportions sont de loin inférieures aux taux de chômage des communautés ethnoculturelles françaises.
Pour terminer, D. Fradette a souligné la vitalité des communautés musulmanes de Québec depuis les années 1970. Actuellement, il existe cinq mosquées à Québec, dont la plus importante est celle du Centre culturel islamique de Québec qui est située sur la Route de l’Église (Sainte-Foy) auxquelles s’ajoute la Chapelle Marie-Guyard (multiconfessionnelle) de l’Université Laval qui est également fréquentée par des étudiants de confessions diverses. Il a également précisé qu’il existe un important contrôle de la part des différents comités des communautés musulmanes de Québec en ce qui concerne l’engagement et la prédication des imans (qui est webdiffusée en simultané), ce qui permet d’assurer un suivi régulier et d’éviter toute forme de discours jugés radicaux. Comme il l’a lui-même souligné, si de telles prédications existaient dans les communautés musulmanes de Québec, il serait aisé de les repérer, car elles sont faites au vu et au su de tous.
De ton respectueux et pédagogique, cette présentation de D. Fradette sur la réalité des communautés musulmanes de Québec a permis d’offrir un regard différent de celui qui est véhiculé dans certains discours plus alarmistes. Malgré tout, certaines questions posées au conférencier à la fin de sa présentation par des membres de l’auditoire – rappelons qu’il s’agit d’un auditoire composé majoritairement de personnes âgées de 55 ans et plus, donc qui appartient au groupe des 62 % qui craignent la menace intégriste musulmane – montrent qu’une inquiétude demeure devant ces inconnus que représentent les membres des communautés musulmanes. Néanmoins, le nombre de personnes qui se sont déplacées pour assister à cette conférence – la salle était comble – montre également que cette tranche de la population de Québec a un réel désir de mieux connaître la réalité musulmane de leur ville et on ne peut que les en féliciter. Si, comme le disait Averroès, « l’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence », ce genre de conférence de vulgarisation permet d’amenuiser l’ignorance et par le fait même la peur. On ne peut que remercier le Montmartre – Centre de culture et de Foi de l’avoir organisé et D. Fradette d’avoir accepté d’y participer.