Compte rendu de la bande dessinée «Comment je ne suis pas devenu moine» de Jean-Sébastien Bérubé
Tout juste parue chez Futuropolis (2017), la BD de Jean-Sébastien Bérubé, « Comment je ne suis pas devenu moine », touche un sujet sensible et peu discuté, soit l’acculturation de l’étranger au bouddhisme d’expression tibétaine. Le format, des tableaux dépeints en deux tons, et un tracé comme à main levée, capture l’essentiel d’un décor dans lequel l’habitué se retrouve aisément, au travers de croquis épurés capables de capturer l’essentiel d’une ambiance exotique et souvent chaotique qui, sous un autre médium, se véhicule difficilement. L’odeur, la texture ou la sonorité sont généralement perdues, alors que le jeune artiste, lui, parvient habilement à en rendre l’affect, tout au moins. Bref, côté esthétique, à travers 226 pages, le lecteur en a pour ses yeux.
Pour ce qui est du contenu, qui pourrait se résumer à un pénible désillusionnement, celui d’un jeune homme fragile, naïf et impuissant devant la souffrante réalité qui détruit, petit à petit, chacune de ces espérances, celles de rencontrer enfin le monde idéal, l’homme pur, un humain qui ne vit que de sagesse et de spiritualité, le lecteur se retrouve perplexe. Le jeune Bérubé recherche l’utopie depuis l’adolescence, un lieu dont la culture humaine s’établirait dans les plus profonds contrastes face à un Québec catholique autrement stupide et méchant, un monde où l’homme mi-bête s’est toujours moqué des plus faibles, comme de l’auteur, aux prises avec un problème de bégaiement qui mine son amour propre et qui aiguillonne son désir d’être enfin compris et accepté. Le lecteur a peine à croire qu’une telle naïveté soit possible, que personne n’ait jamais dit au Bérubé qu’à proprement parler, une utopie ne se visite pas et ne se trouve nulle part. Mais aurait-il simplement écouté ?
D’un côté, l’auteur arrive à susciter la sympathie pour ses idéaux humanistes et pour la franchise avec laquelle il livre ses états d’âme, abusés et désabusés. D’un autre côté, sa naïveté déroutante, sinon agaçante, ajoutée à une susceptibilité en peau de lait, qui explose chaque fois que la réalité trahit ses illusions quant au « bouddhisme », laisse le lecteur inconfortable. Le Bérubé se présente en héros d’une religion qu’il croit mieux comprendre que ceux qu’il rencontre, mieux surtout que ces ignares de Tibétains et de Népalais qu’il sermonne à quelques reprises. Un tel extrémisme, mélange explosif d’ignorance convaincue et de nostalgie des origines, s’il véhiculait le message d’un autre credo que celui plutôt niait d’un « bouddhisme » édulcoré, ne ferait certainement pas bonne presse aujourd’hui. Doit-on châtier, réprimander ou encore louanger ce courage aventurier né d’un idéalisme qui déroute la raison ? Le ferait-on si Bérubé était parti faire le « djihad » en Méditerranée ? Mais voilà, c’est peut-être aussi une force de la BD, puisqu’elle dépeint à vif un état d’esprit qui n’est certainement pas unique au Bérubé et qui est renforcé chaque jour par les nombreux mythes religieux, comme ceux du nouvel âge et de la spiritualité bon marché, celle qui se vend, entre escales, sur les étalages d’aéroport.
Parce qu’il s’agit bien de cette littérature vaporeuse que le jeune homme a trop longtemps consommée et malheureusement confondue avec le « bouddhisme ». Il le dit lui-même : « Je lisais tout ce que je pouvais trouver sur le sujet. Les livres du Dalaï-Lama, les voyages d’Alexandra David-Neel, le Troisième Œil de Lobsang Rampa, les bandes dessinées le Lama Banc, Jonathan et, bien sûr, Tintin au Tibet. » La liste est longue en ésotéristes chanteurs de mythes et trop courtes en auteurs proprement « bouddhistes », mis à part le Dalaï-Lama, peut-être, qui dans tous les cas rédige très peu des livres publier en son nom. On s’imaginerait mal quelqu’un prétendre étudier le journalisme en lisant les aventures de Superman. Mais le jeune, comme de nombreux autres, y a cru.
Alors qu’il semble avoir étudié le tibétain, assez du moins pour dire bonjour et demander son chemin, afin de pouvoir éventuellement communiquer avec les êtres de ses fantaisies, on ne voit nulle part mentionner qu’il ait lu les grandes œuvres qui ont façonné la pensée bouddhique, pas plus que les soutras du Bouddha lui-même. Tout de même étrange pour quelqu’un qui défend la « pureté » de l’esprit bouddhique. Il est vrai que ces textes sont en général moins amusants que les déboires grotesques de Rampa. Mais le jeune perdu est-il à blâmer ? Il faut comprendre que, depuis quelques décennies, une certaine littérature fait imposture en se positionnant comme l’intermédiaire mandaté entre l’Occident et l’Orient, alors qu’elle ne révèle en fait rien de plus qu’un reflet gauchement maquillé des vieilles fantaisies de chez nous. Bref, une fois au Népal, l’écran de fumée s’est vite envolé pour Bérubé, qui a déchanté.
Il mentionne tous les symptômes du choc culturel susceptible de frapper celui qui part en Asie sans s’informer de sources fiables sur les conditions du pays d’accueil. Le Népal n’est pas l’éden. La liste des preuves contraires est péniblement longue : corruption, pollution, intimidation, maladie, insalubrité, chiens errants bruyants et agressants, mendicité, prostitution, ignorance crasse, mensonge, arnaque, tout y passe. On y voit tous les stéréotypes que véhiculent et reproduisent par mimétisme les jeunes touristes « backpackers », comme ces Israéliens qui finissent leur service militaire en allant se perdre aux Indes, les problèmes de Visa et j’en passe. Bérubé a tout de même été chanceux, le Népal de l’époque était encore moins pollué qu’il ne l’est devenu aujourd’hui, et les prix significativement moins élevés. Mais, à force de vouloir économiser, il ne faut pas s’étonner de perdre en qualité et de se retrouver à genoux aux toilettes.
Ce qui surprend, par contre, est que celui qui voulait tant devenir moine ne semble passer aucun temps en monastère, autre que ceux qu’ils visitent ici et là en entrant toujours par la porte de derrière, pour éviter de payer. Une générosité toute bouddhique… Or, il aurait été tout à fait possible, à cette époque, pour Bérubé, de s’installer au monastère de Kopan ou de Pullahari, par exemple, à Katmandou, pour étudier aussi longtemps qu’il le désirait, seul ou en suivant les programmes offerts sur place. Peut-être serait-il arrivé aux mêmes conclusions après tout. Les moines ne sont que des hommes. Certes une révélation qui éveille. Ou peut-être aurait-il pu approfondir sa connaissance de la démarche bouddhique et monastique en compagnie de personnes capables de l’orienter, voire de rencontrer des individus comme lui, qui puissent lui refléter la grossièreté de ses illusions. Mais non, étrangement, il ne fait que se balader entre le Népal et le Tibet à la recherche des fantômes de son esprit. Et il se fâche de ne pas les rencontrer ! On se prend donc à douter, comme lui, de lui. Le pauvre, comme nombre de ses contemporains, se cherche lui-même, et rien d’autre. Et il a placé toute sa foi dans des personnages de bandes dessinées.
Est-il nécessaire de rappeler ici que le « bouddhisme » monolithique n’existe pas et que, contrairement à Bérubé, partout où il s’est installé il s’est acculturé et adapté aux traditions locales, s’enrichissant ainsi de nouveaux symboles et de pratiques à même de communiquer et de répondre aux besoins des communautés d’accueil. Tout n’est pas doré au royaume du Bouddha, mais l’inverse est tout aussi irréel. La critique exprimée par Bérubé est toutefois un premier pas qui vaut la peine d’être partagé, surtout auprès des jeunes que l’on a saoulés de mythes pseudo-religieux. Mais elle appelle à une synthèse plus mature, plus nuancée. Un deuxième tome ?
Jean-Sébastien Bérubé, Comment je ne suis pas devenu moine, Paris, Futuropolis, 2017, 240 p.
ISBN : 978-2-75481-676-2