Persistance protestante tout au long du régime français (Nouvelle France: 1627-1760)
Le protestantisme québécois
– Partie 2 –
Persistance protestante tout au long du régime français
Dans le dernier article de ce dossier dédié à la présence du protestantisme québécois, nous avons mentionné quelques personnages importants des premiers instants de la colonie française en Amérique. Nous continuerons notre marche dans le temps en explorant la situation subséquente. Le présent article dressera un aperçu de la présence protestante allant jusqu’à la fin du régime français en 1760.
Sous la Compagnie des Cent-Associés (1627-1663)
Les premiers instants de la colonie semblent avoir été assez accueillants pour les protestants. Cependant, leur situation commence à changer dès 1627 avec la création de la Compagnie des Cent-Associés. La Compagnie reçut alors le monopole de la traite et devint responsable du peuplement. On avait pris soin d’inscrire à l’article II de sa charte que la Nouvelle-France devait être réservée aux « naturels français catholiques ». Cette mesure prise pour contrer un protestantisme en Nouvelle-France eut quelques succès, puisqu’on ne retrouve plus aucun témoignage mentionnant la présence de ministres du culte réformé comme il y en eut pour les premières années.
Ce désir de ne plus voir de protestants venir en Nouvelle-France se poursuivit. Dans les archives de la Congrégation pour la propagation de la foi se trouvent deux actes, datés de 1635 et 1637, insistant sur le fait que les protestants ne devraient pas avoir le droit de séjourner au Canada. En 1670, François de Laval fit parvenir un mémorandum à la couronne française se plaignant des désagréments que causent les protestants par « leur discours séduisant ». Il fit même instaurer un règlement de police interdisant aux réformés de se regrouper pour célébrer le culte.
Ces tentatives de contrer le protestantisme en Nouvelle-France suggèrent qu’il y avait encore des protestants dans la colonie à ce moment, du moins en nombre suffisant pour représenter un danger du point de vue des autorités catholiques. Malgré un désir de voir disparaître les protestants, on finissait souvent par adopter une politique plus souple que le proposaient les documents officiels. En effet, on acceptait que le protestant passe l’hiver au Canada s’il ne professait pas haut et fort sa foi sur la place publique. On avait aussi espoir qu’en acceptant certains protestants, ils finiraient par être assimilés à la majorité catholique. À ce sujet, Mgr de Laval rapporte qu’il reçut une lettre de Jean-Baptiste Colbert, ministre de la Marine, lui rappelant que « la république de Rome était au commencement un amas de brigands ».
La volonté de fonder une colonie pleinement catholique est donc présente, mais il s’agit d’un rêve difficilement réalisable. Devant cette difficulté, on semble avoir opté pour une certaine tolérance laissant les protestants y séjourner à titre individuel, sans qu’ils puissent former d’églises ni de communautés.
Sous le règne de Louis XIV (1643-1715)
Si la formation de la Compagnie des Cent-Associés avait fait reculer le protestantisme en empêchant à des protestants d’être à la tête de la compagnie et en interdisant la présence de ministres du culte pour un plein exercice de la religion, c’est sous Louis XIV que le protestantisme atteindra son plus bas niveau en Nouvelle-France. Les conflits engendrés par la révocation de l’Édit de Nantes (1685), qui assurait une certaine tolérance aux protestants français, firent diminuer, voire même disparaître, la présence de protestants en Nouvelle-France. Si ces temps de persécutions ont surtout favorisé l’exil des protestants hors du royaume de France, on peut aussi attribuer la quasi-absence de protestants en Nouvelle-France à la situation économique de l’époque. Il s’agit d’une période très faible en ce qui a trait aux entreprises d’affaires et de colonisation. Puisque les protestants en Nouvelle-France étaient surreprésentés chez les nobles, les bourgeois et les artisans, il est tout à fait compréhensible qu’en cas de situation économique précaire, leur présence diminuât.
Le retour des protestants (1720-1760)
Si les marchands protestants s’étaient retirés de la Nouvelle-France sous Louis XIV, ils n’avaient pas complètement rompu les liens avec la colonie; le financement des quelques entreprises marchandes catholiques fut souvent financé par des protestants. Ayant conservé un certain contact avec la Nouvelle-France par le financement outremer, il leur fut possible de réintégrer pleinement le marché de la Nouvelle-France une fois les conflits atténués. Ainsi, durant les 40 années précédant la Conquête, la Nouvelle-France connut son plus haut taux de protestants impliqués dans le commerce.
On sait qu’il y eut des gens d’origines protestantes qui ont participé à l’histoire de la Nouvelle-France. Il est par contre difficile de connaître la réalité d’un quelconque protestantisme, qui n’a jamais pu faire Église. La situation nous force à considérer notre sujet comme ayant une origine protestante souvent retracée par un baptême dans un temple protestant, mais il est très difficile de différencier le nouveau catholique du protestant de convictions ou du protestant discret. L’estimation chiffrée de cette présence d’individus d’origines protestantes se situe souvent autour de 1000 personnes[1] pour l’ensemble de la période de la Nouvelle-France. Prenant en considération que les conflits religieux français ont fait quitter entre 180 000 et 200 000 personnes de la France, il est clair que l’on ne peut pas considérer la Nouvelle-France comme une terre de refuge pour le protestant fuyant les persécutions. On peut certainement y voir une terre où la tolérance religieuse était davantage présente qu’en France; une sorte de compromis entre la perte de sa culture et la perte de sa religion qui fut le choix d’une infime minorité.
À lire aussi : Le protestantisme comme religion officielle : Sous le Régime militaire (1759-1764)
Pour aller plus loin
Choquette, Leslie. 2001. De Français à paysans, modernité et tradition dans le peuplement du Canada français. Québec : Septentrion.
Poton, Didier et Mickaël Augeron. 2005. « La Rochelle, port canadien : le négoce protestant et la Nouvelle-France », dans Joutard, Philippe et Thomas Wien (dir.), Mémoires de Nouvelle-France : De France en Nouvelle-France. Rennes : Presses Universitaires de Rennes. p.107-121.
Larin, Robert. 2009. «La monarchie française et l’immigration protestante au Canada avant 1760. Un contexte social, politique et religieux», dans Lemaître, Nicole (dir.), La mission et le sauvage : huguenots et catholiques d’une rive atlantique à l’autre, XVIe-XIXe siècle, Paris : Éditions du CTHS ; Québec : Presses de l’Université Laval, p. 55-69.
[1] Trois chercheurs ont travaillé à l’évaluation quantitative de ces protestants : Leslie Choquette, 2001. De Français à paysans, modernité et tradition dans le peuplement du Canada français. Québec : Septentrion ; Marc-André Bédard, Les Protestants en Nouvelle-France, Cahiers d’Histoire no. 31, La Société Historique de Québec, 1978; J. Jaenen, Cornelius. 1988. « Persistance de la présence protestante en Nouvelle-France : 1541-1760.» La vie chrétienne, juillet/août. p.4-7