Compte rendu du livre Les résidents de Maurice G. Dantec
Les Résidents de Maurice G. Dantec : un roman angéologique
Ce qui frappe d’emblée, après la lecture de ce roman, c’est la prédominance d’une structure sur l’histoire. S’il n’y a peu ou pas d’intrigue, en revanche, une grille apparaît et c’est cette grille ou ce schéma qui doit être apprécié à sa juste valeur sur le plan esthétique. Premièrement, cette structure n’émerge pas à la surface, à l’instar de ce que l’auteur appelle le réel. Elle sous-tend à la fois le roman et le monde. En ce qui a trait au roman, il conviendrait de parler d’un quadrillage ou plutôt d’un trillage, d’un plancher sous-jacent trigonal qui rappelle à la fois la Croix et la Trinité. Quant au pallier inférieur du monde – accessible par la science –, Maurice G. Dantec l’appréhende également, non pas comme un binôme, mais comme une figure triple. Retour sur un roman métaphysique.
Corpus Christi
C’est donc une triade de personnages qui forme la base de cette construction désignée sous l’appellation de roman. Sharon, Vénus et Novak, les trois protagonistes principaux sont liés par des symboliques chrétiennes, à savoir l’angéologie, la croix, la trinité, le corps, et – de façon très éclatante –, le Mal. Suivant la structure du roman, et non pas l’histoire qui est pratiquement inexistante, les trois incarnations, les trois chairs, sont intimement jetées en pâture aux démons de l’America ex inferis. La première femme se voit violée pendant toute une nuit par un groupe sanguinaire. La seconde, sorte de jumelle ontologique de la première, le double inversé de l’autre, est kidnappée par son père, puis séquestrée des années durant sous la coupe pédophilique paternelle. Les deux sœurs dans le martyre forment les bras de la Croix quand la troisième entité, Novak, un gamin de lycée, ouvre le feu sur ses camarades de classe. Il constituera par conséquent la tête de ce pilori structurel qui entend crucifier, par la littérature, l’Amérique. Pour ajouter à la complexité du schéma, l’auteur laisse entendre que les trois personnages pourraient bien être des anges, des envoyés, des messagers mal reçus dont le but serait d’avertir Sodome-les-États-Unis de sa destruction prochaine. Aux dires de Dantec, ce qui n’était qu’un phénomène isolé dans les années soixante-dix, Charles Manson, l’inceste, la violence suraigüe, s’est répandu graduellement pour former la culture même, le social même des années 2010. En sont témoins Cleveland, Newtown, le Columbine High School, Cho, le Marathon de Boston.
Les trois figures principales du roman forment donc un triptyque disposé en croix. Elles subissent chacun une violence christique. Prises séparément, leur nature même, c’est-à-dire leur identité, se divise en trois. Dantec élabore effectivement une psychologie, une science de l’âme dans laquelle l’individu est formé de trois stases, le corps-truqué, le corps-miroir et le Nom. On pourrait traduire en des termes chrétiens : la matière, l’âme et l’esprit. Dans toutes ces structures tripartites, c’est toujours une troisième composante, floue et difficilement discernable, qui vient opérer la jonction entre les deux autres.
Unus Mundus
Après le roman lui-même, c’est le monde qui comprend une trame souterraine, psycho-physique ici. Pour inspecter ces couloirs – les sentiers quantiques –, l’auteur a imaginé une base, un complexe militaro-scientifique implanté au Montana. Dans ce Jardin d’Éden technicien, il est question d’un savoir hors-normes permettant à certains des hommes les plus consacrés de programmer mentalement des individus (projet Monarch), de se téléporter dans le temps et l’espace, d’augmenter la réalité par holographie. Peut-être est-ce justement l’apanage des anges que de voyager ainsi et d’opérer des hallucinations ciblées sur des individus auditivement et visuellement. Quoi qu’il en soit, le professeur Sinclair, sorte d’horloger de la comète ou d’Arsène Lupin revisité, allié de ses comparses triadiques Flaubert et Montrose, sont établis près d’une zone particulièrement féconde en rencontres du troisième types, non loin du Devil’s Tower, où ils nous mijotent le transfert de toute l’humanité dans une autre dimension.
Sinclair a accès à la trame même du monde, l’Immanence, l’Unus Mundus, qui est à la fois triple et un, ce par quoi il chemine comme dans les tubes de verres imaginés par les astrophysiciens. Au demeurant, selon les scientifiques conventionnels, le monde est dualiste, fait d’esprit et de matière en interconnexion. Toujours selon ces dialecticiens tributaires d’Aristote, il ne doit pas y avoir de contradiction dans la logique formelle. C’est le principe du tiers-exclu. Dantec les prend à revers et pose le principe du tiers-inclus, étalon mystique, axiome d’incertitude, véritable clé du roman et qui fait dériver son auteur du pseudo-Denys et des chrétiens en général. Ce n’est que par le principe du tiers-inclus, dixit Dantec, que la science peut trouver son issue, quand une tierce composante, fantomatique, vient sceller les deux autres. Par exemple, les deux branches d’ADN à la base de toute la biologie moléculaire ne peuvent être comprises que si l’on en admet une troisième, invisible, qui vient justifier les deux premières. On le voit, chez Dantec, la science n’est pas incompatible avec la théologie trinitaire, pour peu qu’on modifie son regard. Toutes les avancées techniques, même les plus dangereuses et les plus malignes en apparence, comme les drones militaires à intelligence artificielle, trouvent leur place dans l’économie divine. Elles font parties du Plan et auront un rôle à jouer lors du Jour du Jugement. Le Livre de Vie, que feuillettent vers la fin du roman les trois protagonistes dans une voiture holographique, annonce cette providence technique : la fin du monde réel par les réseaux sociaux, une nucléarisation des individus toujours plus prononcée qui anticipe la fin de l’Ordre terrestre.
Maurice G. Dantec, Les résidents, Paris, Inculte, 2014, 651 p.
ISBN : 9791091887984
39,95$
Tigrou
Les « tubes de verre » des astrophysiciens? Ne s’agirait-il pas plutôt des « trous de vers » ? La confusion a l’air fréquente sur les forums de vulgarisation scientifique mais le nom de la théorie fait bien référence aux galeries creusés par ces petits invertébrés (analogie avec les passages théoriques reliant 2 points de l’espace-temps).
Ma petite pierre à l’edifice.
enzooo
L’émergence des méta-réseaux peut aussi sonner le début de l’ère de la grande régulation …