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Une histoire d’eau impure condamne à mort Asia Bibi, une femme catholique au Pakistan

          Le 16 octobre 2014 était un jour funeste pour Asia Bibi, le tribunal pakistanais ayant refusé son appel à la suite d’une condamnation de peine de mort pour blasphème, il y a de cela quatre ans. Mais qu’a bien pu faire une mère de famille pakistanaise catholique de cinq enfants pour mériter un tel sort? Pour comprendre la situation, il faut remonter jusqu’au 14 juin 2009, alors qu’elle ramassait des fruits en compagnie de femmes musulmanes. L’action se déroule dans la province du Pendjab située à l’est du Pakistan et au nord-ouest de l’Inde.

Asia Bibi

Asia Bibi

Une histoire d’eau impure

Deux versions des faits circulent dans l’actualité concernant la peine de mort d’Asia Bibi et toutes deux mettent en avant une accusation pour blasphème à cause d’une histoire d’eau impure. La première stipule que deux des consœurs d’Asia Bibi auraient refusé de boire de l’eau dans un verre que cette dernière leur aurait tendu pour qu’elles se désaltèrent. Son contenu étant jugé impur, suite à l’usage personnel qu’elle venait d’en faire en tant que chrétienne. La seconde version avance qu’elle se serait servi quelques verres d’eau dans un puits commun jusqu’à ce qu’une femme lui reproche en criant qu’elle venait de souiller l’eau destinée aux musulmans.

Un verdict sans appel

Quoi qu’il en soit, cet incident est le prélude d’un débat sur les différences entre le prophète Mahomet et Jésus qui aboutira à une condamnation à mort pour Asia Bibi , dans ce pays composé à 97 % de musulmans  dont la grande majorité est sunnite [1]. Effectivement, pour obtenir gain de cause, les deux voisines d’Asia Bibi ont relaté les faits à l’imam [2] local quelques jours plus tard. Sans aucune preuve à l’appui, ce dernier incrimine finalement Asia Bibi en prétextant une insulte envers le prophète  Mahomet de la part de la femme. Cette accusation infondée est pourtant aussitôt démentie par Asia Bibi, ce qui ne l’empêche pas d’être accusée  de blasphème, délit hautement répréhensible au Pakistan. En conséquence, le tribunal de Sheikhupura condamne Asia Bibi à la peine de mort par pendaison le 8 novembre 2010, en se basant sur les critères de la charia [3]. Dans une lettre qu’elle adresse au pape  François au lendemain de Noël  2013, Asia Bibi évoque les conditions de détention extrêmes dans la prison pour femmes  de Multan où elle est écrouée jusqu’à ce jour :  vivant dans une cellule sans fenêtre, dans une pièce non chauffée et glaciale, avec pour seule distraction une bible qu’elle est bien incapable de lire,  étant analphabète.

Des minorités religieuses pakistanaises réduites au silence

Depuis la condamnation d’Asia Bibi, deux politiciens pakistanais ont pris publiquement sa défense dans l’espoir qu’elle soit acquittée. Le premier d’entre eux, Salman Taseer était gouverneur du Pendjab et d’obédience musulmane. Il était favorable à l’amendement de la loi contre le blasphème en plus d’avoir pris la défense de cette mère pakistanaise. Il est finalement tombé sous les balles de son propre garde du corps le 4 janvier 2011. Le second, aujourd’hui mis au rang de martyr chrétien par les catholiques pakistanais, n’est autre que le ministre fédéral des minorités religieuses au Pakistan,  Shahbaz Bhatti. Son tort, en plus d’être le seul catholique au sein du parlement pakistanais, est d’avoir réclamé l’amendement d’Asia Bibi. Il est assassiné le 25 mars 2011 par quatre hommes qui déclarent appartenir à la mouvance des talibans pakistanais. Ces assassinats perpétrés par des islamistes radicaux ont réduit au silence tout opposant à la condamnation d’Asia Bibi. Ainsi, il est devenu presque impossible pour les juges d’innocenter cette catholique, sous peine d’être eux aussi l’objet d’attaque de la part des musulmans intégristes.

Réaction internationale contre la condamnation à mort d’Asia Bibi

Pour remédier à cette situation, le pape Benoît XVI en personne a appelé la libération de cette mère de famille le 8 novembre 2010. L’ONU  de son côté a lancé une pétition le 13 mars 2012 à Genève, en demandant au gouvernement d’Islamabad de libérer Asia Bibi. Celle-ci a même été présentée par une personnalité médiatique, la journaliste de France 24 Anne-Isabelle Tollet. Elle est l’auteure  de la biographie d’Asia Bibi dans un petit livre qui porte le nom idoine de Blasphème[4]  et qui retrace l’histoire de son injustice. En outre, suite à la demande du conjoint d’Asia Bibi,  la France en 2011 et l’Espagne en 2012 se sont proposées comme terre d’asile politique. Malgré les efforts conjugués de ces deux pays ainsi que de l’Union européenne en défaveur de la peine de mort, l’appel d’Asia Bibi a été rejeté par la Haute Cour de Lahore, le 17 octobre dernier. Les réactions en France ne se font pas attendre, une manifestation soutenue par des associations chrétiennes est organisée le jeudi 23 octobre à Paris contre la pendaison d’Asia Bibi. Néanmoins, cette initiative religieuse n’est pas encouragée par tous les défenseurs de la cause, qui privilégieraient une action plus laïque afin de ne pas attiser les conflits religieux. C’est en tout cas l’avis de la journaliste Anne-Isabelle Tollet, qui encourage des interventions plus neutres dans la résolution de cette affaire, et ce, dans le but de ne pas renforcer les positions religieuses du Pakistan. C’est dire que ce jeune pays a été dès sa création l’enjeu de rivalités religieuses continues, auxquelles la dictature du général  Muhammad Zia-ul-Haq (1977-1988) a donné un nouvel essor.

Une manifestation de soutien sur le Parvis des droits de l'homme, Paris le 29 octobre 2014 | Photo : M. Bureau (AFP)

Une manifestation de soutien sur le Parvis des droits de l’homme, Paris le 29 octobre 2014 | Photo : M. Bureau (AFP)

Une loi anti-blasphème en défaveur des minorités religieuses pakistanaises

Promulguée en 1986 sous la dictature de Zia-ul-Haq, dans une tentative d’islamiser le pays, la loi anti-blasphème n’a toujours pas été abrogée. En réalité, c’est une vieille loi issue du Code pénal britannique de l’Inde de 1860 qui n’a cessé de se durcir suite à la partition des Indes qui est entrée en vigueur le 15 août 1947. Celle-ci est à l’origine de la création de deux états indépendants répartis selon la démographie religieuse de l’Empire colonial britannique : le Pakistan islamisé et l’Inde à majorité hindoue. Le Pendjab qui est, rappelons-le, la province où s’est déroulée la querelle entre Asia Bibi et les femmes musulmanes est divisé entre ces deux pays.  L’ouest de la Province du Pendjab, dont la ville de Lahore a rejoint le Pakistan, forme aujourd’hui le Pendjab pakistanais tandis que l’est de la province, dont la ville d’Amritsar a rejoint l’Inde, correspond aujourd’hui au Pendjab indien.

Or, il est important de garder à l’esprit cette frontière géographique afin de se faire une meilleure idée du sort des chrétiens au Pendjab pakistanais. Effectivement, au moment de l’islamisation de l’ouest  de la Province, bon nombre d’hindous  ont été contraints  d’immigrer vers l’est du Pendjab pour éviter d’être stigmatisés  par les musulmans. Ce qui est fort compréhensible lorsqu’on connaît  les nombreux massacres perpétrés à l’encontre des minorités religieuses au Pendjab au moment de la création du Pakistan.  En revanche, une fraction des Intouchables [5] qui se situaient sur le territoire, se voyant stigmatisés d’un côté comme de l’autre, a choisi délibérément de se convertir au christianisme tout en demeurant au Pakistan. De nos jours, les chrétiens pakistanais sont donc majoritairement les descendants de  basses castes hindoues et c’est cette identité religieuse spécifique qui demeure très vivace dans l’esprit des musulmans radicaux. Il n’est donc guère étonnant si l’histoire d’Asia Bibi débute par une histoire d’eau impure, lorsqu’on sait que les Intouchables en Inde ont l’interdiction de puiser l’eau aux mêmes sources que les autres castes.  Cette loi anti-blasphème sous couvert d’une insulte contre le prophète, réactualise donc une querelle religieuse ancienne entre musulmans et hindous  et la condamnation à mort d’Asia Bibi est actuellement la figure emblématique de cette rivalité séculaire, tout en cristallisant les tensions incessantes entre les musulmans et les minorités religieuses du Pakistan. Les chrétiens constituent en effet 2 % de la population pakistanaise, soit près de trois millions de personnes. C’est une minorité religieuse discriminée depuis la crispation identitaire du Pakistan au XXe siècle. Cependant, ils ne constituent pas la principale cible des attentats et ségrégations puisqu’il existe deux autres grandes minorités religieuses importantes : les musulmans chiites et la secte musulmane des Ahmadis. Cette dernière connaît au Pakistan le sort le moins enviable des minorités religieuses. En effet, bien qu’issue d’un syncrétisme religieux entre islam  et hindouisme , elle ne peut d’aucune façon revendiquer sa foi musulmane. Les Ahmadis, relégués au rang d’apostats [6] ne bénéficient donc d’aucun privilège et doivent constamment se défendre contre les nombreuses plaintes pour  blasphème qui leur sont régulièrement adressées.

La condamnation à mort d’Asia Bibi fait nécessairement écho à d’autres violences auprès de la minorité religieuse chrétienne ces dernières années. Il n’y a qu’à se rappeler les  sept chrétiens qui avaient été brûlés vifs par des musulmans radicaux en 2009, dans ce même Pendjab aux rivalités religieuses perpétuelles. Cette tuerie s’appuie sur une simple rumeur qui accusait une Pakistanaise d’avoir arraché une page du Coran à l’occasion d’un mariage chrétien. Plus récemment, au Pendjab toujours, un couple de chrétiens a été brûlé vif le 4 novembre dernier, en réponse à l’accusation non vérifiable d’un musulman qui leur reprochait une fois encore d’avoir arraché une page du Coran. Comme on le voit, la loi anti-blasphème est une arme redoutable contre les minorités religieuses pakistanaises, puisqu’elle repose sur le principe de la dénonciation.  Une personne peut donc être mise en détention sans aucune preuve à l’appui, uniquement à cause d’un témoignage. N’importe qui peut donc s’en servir pour régler une affaire personnelle ou une querelle de voisinage comme ce fut le cas pour Asia Bibi. Il est inadmissible que cette loi de nature féodale fasse encore autorité au Pakistan et il serait peut-être judicieux d’améliorer l’éducation dans  ce pays afin d’assouplir son système juridique.

La condamnation à mort d’Asia Bibi peut encore être évitée !

C’est en tout cas ce pour quoi se bat le prix Nobel de la paix, une jeune fille pakistanaise de 17 ans, Malala Yousafzay. Elle a été victime d’une tentative d’assassinat sur le chemin de son école, dans la vallée du Swat , (proche de l’Afghanistan) où elle a reçu une balle dans la tête. Par chance, elle a survécu à cet attentat et n’a cessé depuis lors de défendre l’éducation des jeunes filles et de lutter contre l’intégrisme islamiste. Son combat est celui de tout un peuple et elle semble être l’espoir du dialogue interreligieux de demain sous l’égide de la tolérance. C’est pour cette raison qu’Anne-Isabelle Tollet et la famille d’Asia Bibi souhaitent la faire intervenir auprès du président pakistanais Mamnoon Hussain afin qu’il accorde à cette mère de famille « la grâce présidentielle ».

Il reste aussi à espérer que la communauté internationale et le Vatican se mobilisent pour faire pression auprès du Président, qui craint encore l’opprobre de la population pakistanaise.  Mais la situation presse, car il ne reste plus qu’une semaine à Asia Bibi pour déposer un ultime recours auprès de la Cour suprême, à la suite de quoi elle risque d’être exécutée immédiatement. Or, Asia Bibi et ses avocats placent moins d’espoir envers les magistrats de la Cour Suprême que du côté du Président, le seul qui, semble-t-il, a le pouvoir de la gracier sans risquer sa vie. À cet égard, la communauté internationale jouerait donc un rôle décisif dans cette affaire.

 

 

 

[1] Sunnisme : Le courant religieux majoritaire de l’Islam que l’on peut concevoir comme la voie orthodoxe de cette religion. Son particularisme est qu’elle se base sur la sunna, la ligne de conduite de Mahomet. Elle reconnaît les quatre premiers califes comme successeur de Mahomet, contrairement aux chiites qui réservent ce titre à Ali et sa descendance.

[2] Imam : C’est un chef musulman qui dirige la prière dans une mosquée et qui possède la connaissance des rites islamiques.

[3] La charia est la loi canonique islamiste régissant la vie religieuse, individuelle, sociale et politique d’un musulman.

[4] Asia Bibi, Blasphème, Étitions Oh!, Paris, 2011.

[5] Intouchable : Par définition, ce terme désigne ceux qu’on ne peut pas toucher et qui sont impurs au point de souiller ce qu’ils touchent par contact physique. Ils se situent en dehors des castes hindoues et se trouvent donc au plus bas de l’échelle de la population indienne.

[6] Apostat : Abandon volontaire et public d’une religion.

A propos de l'auteur

Gaëlle Brunelot diplômée en psychologie, poursuit actuellement un Doctorat en Sciences religieuses. Elle tente d’allier ces deux disciplines dans une vision holistique de l’homme qui trouve son aboutissement dans la psychologie transpersonnelle. Néanmoins, ses recherches académiques touchent davantage la philosophie et l’ésotérisme, puisqu’il est question de la représentation du temps dans le discours ésotérique du XXe siècle. Par extension, elle s’intéresse aussi aux nouvelles spiritualités et aux systèmes de croyances contemporaines qui façonnent les individus et les sociétés.

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