Le protestantisme comme religion officielle : Sous le Régime militaire (1759-1764)
Le protestantisme québécois
– Partie 3 –
Le protestantisme comme religion officielle : Sous le Régime militaire (1759-1764)
Nous avons mentionné, dans les articles précédents, que la situation en Nouvelle-France avait permis aux protestants d’y séjourner l’été et même parfois d’y passer l’hiver à condition de « ne pas porter scandale », c’est-à-dire de vivre sans professer publiquement la foi reformée. Pour ceux qui voulaient s’y installer définitivement, posséder une terre et se marier, il était nécessaire d’abjurer et de se faire catholique. Après la prise de Québec, il en ira tout autrement. Depuis la brève, mais non pas moindre, bataille des plaines d’Abraham en septembre 1759, le protestantisme est autorisé et l’anglicanisme devint la confession chrétienne officielle.
Lorsque la gouvernance de Québec est tombée sous le régime militaire britannique, il n’y avait alors aucun lieu de culte protestant dans la ville. C’est la chapelle des Ursulines qui servira de premier lieu de culte protestant à Québec. Les autres églises avaient presque toutes été ravagées par la guerre. Au lendemain de la bataille de Québec, les funérailles du général James Wolfe s’y célébrèrent. Le premier sermon y fut prêché le 27 septembre 1759 par le révérend Eli Dawson, un aumônier militaire. À partir du Psaume 18, il prêcha sur le thème de la providence divine en temps de guerre[1]. Ce jour-là, le capitaine John Knox raconte que « plusieurs marchands français, que l’on dit de la religion réformée et appelée communément huguenots, y assistèrent tout en ne sachant pas notre langue[2]. » Il s’agissait là d’une première pour ces marchands huguenots qui n’avaient jamais pu assister à un culte public protestant dans la ville de Québec. On fit également usage d’un certain nombre de lieux catholiques pour exercer le culte protestant dans les autres villes conquises en Nouvelle-France.
Bien qu’il y ait quelques francophones qui aient assisté à ce premier culte protestant, il s’est déroulé en anglais. Le premier culte réformé en langue française fut célébré par Jean-Michel Houdin, un ancien prêtre récollet qui était arrivé à Québec en 1734. Neuf ans plus tard, il se sauva dans une communauté huguenote de Nouvelle-Angleterre, accompagné de sa future épouse Catherine Thunay. L’apostasie d’Houdin causa quelques remous dans son ancienne communauté. En 1749, il fut reçu dans l’Église d’Angleterre avec les fonctions de ministre du culte. À partir de 1757, il fut au service de l’armée en tant qu’aumônier. C’est cette charge d’aumônier qui le fit revenir à Québec aux côtés des troupes du général James Wolfe. Ce n’est pas par hasard que l’on demanda à Houdin d’accompagner les troupes. Si on se fie à la récompense qu’Houdin réclama par la suite au gouverneur James Murray, l’ancien habitant de Québec a probablement été fort utile lors de la prise de Québec de par sa connaissance du terrain. Murray réussit à retenir Houdin à Québec environ un an, mais il semble que ce dernier préférait retourner dans sa communauté du New Jersey plutôt que d’agir à titre d’interprète et de ministre du culte anglican parmi ses anciens confrères catholiques.
Dans une lettre du 26 octobre 1764, le gouverneur James Murray dénombre 200 foyers protestants à Québec et à Montréal. Dans cette liste, on ne retrouve pas plus de dix noms à consonance francophone[3]. Parmi ceux-ci, on retrouve le nom d’Alexandre Dumas, un huguenot qui avait abjuré sous le Régime français. Il semble que son abjuration n’avait pas été faite pour des raisons de conscience, puisqu’il a réintégré une communauté protestante dès qu’il en eut l’occasion. Il semble, par contre, être le seul des anciens huguenots à revenir à son ancienne religion lors du changement de régime. Il ne semble vraisemblablement pas y avoir beaucoup de protestants francophones établis à la fin du Régime militaire. Une majorité des protestants qui séjournaient en Nouvelle-France le faisait pour le commerce. Ceux-ci ne furent plus actifs après le changement de régime. La couronne cherchera par la suite à ce que la nouvelle province britannique du Bas-Canada s’assimile au protestantisme. Malgré le faible nombre de protestants francophones, on y fera tout de même venir des pasteurs protestants de langue française.
Dans le prochain article, nous aborderons la situation franco-protestante au Canada durant le régime britannique en nous concentrant sur les trois premiers pasteurs francophones de l’Église anglicane, soit David-François de Montmollin, Jean-Baptiste-Leger Veyssière et David Chabrand Delisle.
Pour aller plus loin
Trudel, Marcel, L’Église canadienne sous le régime militaire, 1759-1764, Québec : Presses universitaires Laval, 1957
[1] Voir la prédication complète ici : http://static.torontopubliclibrary.ca/da/pdfs/37131055444152d.pdf
[2] John Knox, Historical Journal, II: p.229. Traduit dans : Marcel Trudel, L’Église canadienne sous le régime militaire, 1759-1764, Québec : Presses universitaires Laval. 1957, p.176.
[3]Historical Records of the Church of England in the Diocese of Québec, Series D, Q2, p.332-335.