Charte 2.0 : lorsque les arguments ne justifient pas les moyens
Cette semaine, le député de Marie-Victorin et candidat à la course à la chefferie du Parti québécois, Bernard Drainville, a réitéré son intention de proposer une Charte de la laïcité ou de valeurs québécoises. Il propose dix changements ou ajouts à l’ancien projet de loi 60 qui, en 2013 et 2014, avait fait couler beaucoup d’encre. Un des points les plus problématiques de la Charte était bien entendu le port des signes religieux. Le candidat à la chefferie a pris en compte les inquiétudes face à cette mesure qui vise à interdire le port des signes religieux et, si l’on peut parler ainsi, propose un amendement à son défunt projet de loi. Il explique que la plupart des Québécois réfractaires à cette Charte ne pouvaient soutenir un tel projet en raison que certains employés de l’État seraient contraints de quitter la fonction publique. En d’autres termes, la population n’aimait pas l’idée de voir des gens perdre leur emploi pour cette question. Il a dès lors créé une clause « grand-père » afin que l’interdiction du port de signes religieux ne touche que les nouveaux employés de l’État. De plus, on peut lire sur le site Internet de Bernard Drainville que « les universités et les municipalités sont dorénavant exclus [sic] du champ d’application » de cette mesure. Toutefois, certaines fonctions, comme les agents coercitifs de l’État, ou certains domaines d’emploi, comme le milieu scolaire et de la petite enfance, seraient toujours assujettis à l’interdiction du port de signes religieux. Au sujet des éducatrices en garderie qui portent en ce moment des signes religieux, Drainville affirme sur les ondes de Radio-Canada que « les enfants n’ont pas à être exposés à une influence religieuse ». On ne peut faire autrement que d’entendre ici le champ sémantique d’« exposer » qui signifie « être placé sous la menace ».
Essayons de comprendre ce que cela veut dire. Si on se replace dans le débat sur la Charte qui a enflammé les médias du Québec à l’automne 2013, on se rappellera que les propos tenus par Bernard Drainville associaient le port de signes religieux au prosélytisme. Mentionnons toutefois qu’aucun lien dans le projet de loi 60 n’associe clairement « prosélytisme » et « port de signes religieux ». Cette association vient plutôt des arguments pour convaincre les Québécois d’accepter la Charte. Dans le discours drainvillard, ce lien entre les deux était clairement affirmé. Mais quels liens existent-ils entre les deux ? Pour ma part, je n’en vois aucun et le député de Marie-Victorin, s’il désire réanimer ce débat, se doit d’en faire la preuve. Quoi qu’il en soit, c’est en raison de ce lien que je ne peux faire autrement que de comprendre « exposer les enfants à l’influence religieuse » dans un sens péjoratif, très péjoratif. Pour ma part, ayant des enfants qui ont été dans des garderies où certaines éducatrices portaient le voile, cela m’apportait une satisfaction, car je me disais « c’est bien, mes enfants vont être initiés à la diversité ». Je pense que mes enfants doivent savoir que l’on vit dans un monde pluraliste et que tous ne partagent pas les mêmes croyances. En d’autres termes, le rejet de l’Autre vient trop souvent de l’ignorance et « exposer » les enfants à la diversité n’est pas une si mauvaise chose.
Concernant le prosélytisme, notons que les juifs qui portent la kippa ou les femmes musulmanes qui portent le voile ne le font pas dans le but de convertir les Québécois à leur religion. Si c’était le cas, l’aversion naturelle des Québécois à l’endroit des signes religieux ferait de cette mesure de marketing l’une des plus mauvaises de l’histoire. On doit plutôt comprendre que la religion est un vecteur de l’identité et que les signes religieux sont des marqueurs identitaires et non un moyen de convertir l’Autre à sa religion ; on porte un signe religieux pour soi, non pour l’Autre. Interdire à l’Autre une partie de son identité et vouloir que tous soient identiques nous indique plutôt un malaise identitaire québécois qu’un problème de neutralité de l’État.
Un autre point que le député de Marie-Victorin devrait clarifier est ce lien entre l’égalité des hommes et des femmes et l’interdiction du port du voile. Encore une fois, il n’y a pas de lien explicite entre les deux, ni dans le projet de loi 60 ni dans les nouvelles propositions de Bernard Drainville. Toutefois, l’esprit du projet de loi et les arguments du député du parti québécois mettent de l’avant cette égalité pour justifier la Charte ainsi que l’interdiction de port de signes religieux. Que l’esprit de la Charte soit orienté vers l’égalité entre hommes et femmes pour ce qui est des accommodements religieux, cela va de soi. Mais on ne saurait voir le lien qui existe entre le port de signes religieux et l’égalité entre hommes et femmes. En effet, bien que le débat se soit cristallisé autour de cette égalité, et que par ailleurs il se soit également concentré sur le port du voile, le projet de loi ainsi que les nouvelles propositions parlent d’interdiction de signes religieux et pas uniquement de l’interdiction du voile. Rappelons que cela touche également d’autres signes religieux comme la kippa et le turban pour ne nommer que ceux-là. Encore une fois, le député de Marie-Victorin doit faire la preuve qu’un médecin juif de Montréal qui porte la kippa contrevient à l’égalité entre les hommes et les femmes, preuve qui sera difficile à démontrer.
On me répondra bien entendu que le projet de loi ou les dernières propositions visent les musulmans plus que quiconque, mais comme personne qui soutient ces idées n’ose l’admettre, on ne peut faire autrement que de souligner l’impossibilité de soutenir une interdiction de tout signe religieux fondée sur l’égalité entre hommes et femmes. Ce projet de Charte ne mérite donc pas seulement quelques ajustements, il mérite, selon moi, que l’on revoit l’esprit dans lequel il est créé.