Robert Boyle et la preuve physico-théologique de la résurrection
Dans l’eschatologie chrétienne, la mort est indissociable de la vie. En ce sens, lors du Jour du Jugement dernier, tous les humains ayant vécu sur Terre se verraient ressuscités par Dieu afin de subir leur jugement : la damnation ou la rédemption. Cette croyance chrétienne, que Dieu ramènerait les morts à la vie, fut l’une des interrogations les plus communes aux philosophes de l’époque moderne. Un exemple particulièrement intéressant de ce questionnement est celui de Robert Boyle durant la Révolution scientifique – c’est-à-dire durant un moment de discontinuité dans les paradigmes scientifiques entre les XVIe et XVIIIe siècles, qui mena à l’émergence des sciences dites modernes.
Dans les années 1675, le philosophe anglo-irlandais Robert Boyle (1627-1691), notamment connu pour sa contribution à la chimie moderne et à la philosophie naturelle, mais aussi comme l’un des membres fondateurs de la Royal Society of London, publie un texte au titre non moins étrange : Some Physico-Theological Consideration about the Possibility of the Resurrection. Dans un texte d’environ quarante pages, R. Boyle s’interroge sur la possibilité de la résurrection : « The question about which my thoughts are desired being this: Whether to believe the Resurrection of the the Dead, which the Christians Religion teaches, be not to believe an impossibility ? » (p. 167 [1]). Son objectif est loin de vouloir se positionner de manière hétérodoxe envers la doxa chrétienne. S’il avance qu’il aurait douté lui-même de la possibilité d’un tel pouvoir sans la révélation des Écritures saintes, R. Boyle affirme toutefois que les hommes ne peuvent comprendre qu’une infime partie de la complexité d’un tel phénomène et que de recréer la résurrection en utilisant les agents chimiques de la science moderne est une quête vouée à l’échec (p. 168 [2]). En fait, ce que le philosophe anglo-irlandais tentait de démontrer par son discours scientifique, c’est qu’il serait cependant bel et bien possible à une force omnipotente de ressusciter les êtres humains après leur mort et que des preuves de cette possibilité peuvent se trouver dans notre monde physique.
Il faut comprendre que ce texte, publié en supplément à l’ouvrage Some Considerations About the Reconcileableness of Reason and Religion, se veut une tentative de montrer comment il est possible de faire des inférences sur la nature divine de Dieu en usant de la raison humaine. Ces deux écrits sont des illustrations, parmi d’autres, d’un projet d’activisme beaucoup plus grand, dans lequel R. Boyle s’est dédié à inculquer à ses contemporains que la science expérimentale du XVIIe siècle permet de se rapprocher des vérités théologiques du christianisme. Or, Some Physico-Theological Consideration ne déroge pas de ce projet, R. Boyle cherchant dans celui-ci à comprendre les processus physiques qui pourraient peut-être prendre place dans le corps humain pour permettre la résurrection.
Le plus grand problème que R. Boyle doit résoudre est celui de la putréfaction des organismes morts, qui vraisemblablement ne permettrait pas une résurrection aussi « parfaite » que l’avance la Bible. Selon le dogme chrétien, tous reviendraient à la vie lors du Jour du Jugement avec leur propre corps en parfait état. Or, c’est cette perfection des corps qui est problématique, puisque les êtres vivants se décomposent avec le temps, se transforment et se transmutent en autre chose. Si Dieu, de son omnipotence, redonnait vie à tous les « restants » humains, ce sont d’innombrables monstruosités qui seraient figurantes dans l’acte final de l’humanité. Un scénario non sans rappeler nos œuvres contemporaines du genre post-apocalyptique – une illustration ne concordant définitivement pas avec les révélations des Écritures saintes. De ce fait, comment pourrait-on récupérer toutes les parties nécessaires à la résurrection parfaite?
À cette interrogation, R. Boyle offre une solide réponse dans Some Considerations About… : « [the] humane body is not a statue of brass or marble […] but is in a perpetual flux or changing condition, since it grows in all its parts […] from a Corpusculum, no bigger than an insect, to the full stature of man » (p. 182 [16]) . Ainsi, les êtres humains sont en constante transformation, depuis leur création sous la forme d’un embryon à leur décrépitude lors de leur mort. Loin d’être des entités stables, nous ingérons de la matière, telle que de la nourriture, ce qui active le phénomène de transformation. R. Boyle renchérit son argumentation en affirmant que, puisque les humains ne sont pas définitifs dans leurs propres particules, rien n’empêche le vieillard de retenir une partie, aussi infinitésimales qu’elle puisse être, de l’identité de l’embryon duquel il a commencé sa vie – il possède dès lors toujours certaines des composantes et qualités de celui-ci (p. 183 [17]). Dans cet ordre d’idée, une force divine capable de l’absolu pourrait altérer l’état du vieillard et le ramener à sa forme embryonnaire, et vice-versa, en se basant sur l’identité ou la mémoire de sa matière.
Afin d’illustrer plus scientifiquement son propos, le philosophe offre à ses lecteurs quelques procédés chimiques permettant de recouvrir un corps ayant été amalgamé à un autre. La transmutation est au centre de la preuve scientifique de l’inférence qu’il fait sur les pouvoirs de Dieu. En mélangeant de l’acide sulfurique à du camphre, par exemple, toutes les propriétés du camphre disparaissent dans le mélange : sa forte odeur, sa couleur blanchâtre, sa texture fragile et sa capacité inflammable ne sont plus présentes. Aux yeux de R. Boyle, le camphre est définitivement disparu, il est « mort », et c’est une substance complètement différente qui résulte de l’opération. Pourtant, en ajoutant tout simplement de l’eau, le camphre « renaît », se précipitant en dehors de la solution chimique avec toutes les propriétés de sa nature mentionnées ci-dessus. Le camphre est apparemment ressuscité dans un état parfait grâce à l’intervention chimique – la restauration d’une substance ayant été altérée (p. 191 [25]). Cet exemple est pour R. Boyle une preuve que Dieu serait en mesure de recréer une expérience similaire, mais dont la complexité échappe l’humanité, à l’échelle planétaire et transcendant les cadres spatio-temporels. Dieu, en utilisant un procédé divin, pourrait faire renaître des humains toutes les caractéristiques de leur nature physique, et ce à partir d’un minuscule fragment contenant l’identité totale de leur matière.
R. Boyle nous offre ici un amusant prélude de notre science contemporaine, voire de la science-fiction, puisqu’il est aujourd’hui possible de procéder au clonage des êtres vivants à partir de minuscules fragments organiques, révélant toutefois le précieux ADN essentiel à la procédure. On ne peut que se demander comment R. Boyle réagirait à ce « pouvoir de résurrection » de l’identité uniquement physique et non mentale. Au final, la mort, selon la philosophie de R. Boyle, serait un simple état duquel on pourrait extraire la vie, tel qu’il est possible de faire renaître un composé organique ayant été transmuté comme le camphre dans l’acide sulfurique. Une vie qui obtiendrait par la suite son jugement pour l’éternité.
Références
Boyle, Robert. Some Considerations About the Reconcileableness of Reason and Religion, annexée par Some Physico-Theological Consideration about the Possibility of the Resurrection, H. Herringman, London, 1675, 210 pages.
Boyle, Robert. Some Considerations About the Reconcileableness of Reason and Religion, H. Herringman, London, 1675, 126 pages.
Boyle, Robert. Some Physico-Theological Consideration about the Possibility of the Resurrection, H. Herringman, London, 1675, 39 pages.