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La mort dans l’islam : un point de non retour

Dans les religions abrahamiques, aussi appelées les religions du Livre, la conception du monde s’inscrit dans une perspective d’existence linéaire. D’un point initial – qui peut être désigné comme le commencement ou la création du monde –, l’histoire des hommes suit son cours jusqu’à un point final, conçu à la fois dans le judaïsme, dans le christianisme et dans l’islam, comme le jour où chaque individu devra être jugé devant Dieu pour ses actes. Autre similarité entre ces trois religions monothéistes : préalablement au jugement, chaque individu devra mourir. Toutefois, la mort ou même l’existence posthume sont comprises et justifiées de différentes manières. Cet article propose de survoler la conception de la mort d’après l’islam.

Tout d’abord, l’origine et la nature de la mort en islam seront brièvement expliquées. La mort fait-elle partie d’un plan prévu initialement à la création du monde par Allah, où est-ce la conséquence d’un événement particulier, voire d’un moment fondateur pour l’histoire de l’humanité ? Ensuite, la vie sur terre, qui s’inscrit dans une conception du monde linéaire, sera présentée comme étant une étape importante et cruciale pour l’avenir de l’âme humaine, puisque la mort, point de non-retour pour l’âme, viendra clore cette période et empêchera le défunt de pouvoir vivre à nouveau dans le but de tenter une meilleure vie. Il sera aussi question de ce qu’advient l’âme une fois le décès du corps – comme le « temps de la tombe », le Jour de la Résurrection et le Jour du Jugement –, mais aussi des rituels que doivent réaliser les musulmans du monde entier, lors de la mort d’une personne de même confession religieuse.

Origine et nature de la mort

Les explications au sujet de la conception de la mort en islam se trouvent de manière disparate dans le Coran et dans les hadiths, un corpus regroupant la tradition relative aux actes et aux paroles du prophète Muhammad (c’est-à-dire la sunna).

Dans le Coran, l’origine de la mortalité humaine remonte à la faute d’Adam et Ève, les deux premiers humains créés par Dieu[1], lorsqu’ils furent incités par le murmure d’Iblis (Satan) à manger du fruit de l’arbre interdit au Paradis (l’unique règle qui devait être respectée). Dieu les prit sur le fait et devint en colère : « Dieu dit : “Descendez! Vous serez ennemis les uns des autres. Vous trouverez sur la terre un séjour et une jouissance pour un temps limité”. Il dit encore : “Vous y vivrez, vous y mourrez et on vous en fera sortir” […] » (VII, 24-25). La punition que Dieu a donnée à Adam et Ève, c’est-à-dire la mort, ne fut donc pas immédiate. Dieu leur a plutôt accordé une période de répit, de probation : la vie sur terre. La mort vient mettre un terme à cette période de probation. Ainsi, la vie humaine sur terre n’était pas prévue dès la création par Allah. Avant qu’Adam et Ève soient tentés de goûter au fruit de l’arbre interdit, l’être humain était destiné à l’immortalité au Paradis.

Représentation d’Adam et Ève. Miniature safavide du XVIe siècle, tiré d’un ouvrage de Ja´far al-Sādiq | Photo appartenant au domaine public

Depuis l’incident de l’arbre interdit, chaque humain doit subir le même sort qu’Adam et Ève. La désobéissance des deux premiers humains oblige chaque être humain à expérimenter la mort. Le Coran enseigne que l’immortalité sur terre n’est accessible à personne : « nous n’avons donné l’immortalité à nul autre homme avant toi. Seraient-ils immortels, alors que tu mourras ? Tout homme goûtera la mort. Nous vous éprouvons par le mal et par le bien, en manière de tentation, et vous serez ramenés vers nous » (XXI, 34-35). Ainsi, la mort est inévitable. De plus, la mort appartient à la volonté de Dieu seule. Dieu est son unique garant et nul ne peut mourir sans son accord : « il n’appartient à personne de mourir, si ce n’est avec la permission de Dieu et d’après ce qui est irrévocablement fixé par écrit » (III, 135).

L’importance de la vie

Dans l’islam, la vie prend tout son sens avec la mort. Le séjour sur terre représente un moment important et décisif pour l’âme humaine. Elle représente l’unique temps où les humains ont l’occasion de se prouver à Dieu. En tant que période de probation, la vie et les actions commises sur terre déterminent l’avenir des êtres humains. Considérant que l’existence de l’âme se veut éternelle, il est nécessaire pour tous les musulmans de bien agir en respectant les préceptes divins. Une bonne conduite permettra d’être préservé du Feu de l’enfer (la Géhenne), où brûleront les damnés, et d’être introduit au Paradis, où le véritable bonheur se trouvera.

D’après le Coran, la vie sur terre n’est que transitoire, temporaire : « la vie de ce monde n’est qu’une jouissance éphémère et trompeuse » (III, 185). La mort vient mettre un terme à ce temps intérimaire de plaisir. Toutefois, la mort n’est pas une finalité ultime, mais un moment de transition entre deux états. L’âme poursuivra son existence en attente d’être ultimement jugée pour ses actions commises sur terre.

Un point de non-retour

La mort agit comme un point de non-retour; il est impossible pour l’âme de retourner en arrière, de réintégrer le corps une fois qu’elle l’a quitté. On ne peut vivre une deuxième fois afin de tenter à nouveau sa chance. La vie est unique, ce pourquoi il est recommandé aux musulmans de l’utiliser à bon escient en suivant les préceptes de Dieu. La notion de point de non-retour est clairement exprimée dans le Coran :

Lorsque la mort approche de l’un d’eux, il dit : « Mon seigneur ! Qu’on me renvoie sur la terre, peut-être, alors, accomplirais-je une œuvre bonne parmi les choses que j’ai délaissées »; Non !… C’est là, seulement, une parole qu’il a prononcée; une barrière se trouve derrière les hommes jusqu’au Jour où ils seront ressuscités. Quand on soufflera dans la trompette, ce Jour-là, il ne sera plus question, pour eux, de généalogies et ils ne s’interrogeront plus. (XXIII, 99-101)

Ainsi, aucune seconde chance ne sera permise pour tenter d’accomplir de bonnes œuvres, car une barrière se dessine dès le décès de l’individu. L’âme ne retrouvera son corps qu’au Jour de la Résurrection, et ce, dans le but d’être jugé devant Dieu. La mort accomplit donc un but bien précis dans l’existence, celle de limite. Elle est le terme naturel d’une période.

Bien que les hommes puissent la considérer comme d’un grand mal, la mort n’est pourtant pas conçue comme mauvaise en soi dans l’islam, ni comme une pénitence directement infligée aux hommes. Elle n’est que la première étape, un premier pas sur le chemin d’un retour à Dieu. Ce retour à Dieu sera d’ailleurs précédé par une période d’attente, où le temps semble suspendu.

Le temps de la tombe

Une fois décédé, le retour à Dieu n’est pas immédiat pour l’âme. Cette dernière entrera dans une période que l’on peut appeler le « temps de la tombe ». Ce moment se situe entre celui de la mort et le Jour de la Résurrection, qui précèdera le Jour du Jugement. Après le décès, l’âme est détachée de son corps et ne peut plus agir comme elle le faisait sur terre. Le Coran parle peu de cette période, contrairement aux hadiths qui semblent aborder davantage la question. Par exemple, il est dit que l’âme peut prendre la forme d’un oiseau perché sur un arbre du paradis. Il s’agirait d’un état de suspension en attente de la Résurrection des morts. L’âme humaine entre ainsi dans un état intérimaire et doit patienter pour une durée indéterminée. Au jour fixé par Allah, toutes les âmes retrouveront leur propre corps et seront ensuite jugées devant Dieu. Il est également dit que dès que l’individu décède, ce dernier reçoit la visite de deux anges. Il s’agit de Munkar et Nakir, dont la tâche consiste à interroger le mort. Ils demandent à ce dernier qui il vénère et qui est son prophète. Si ses réponses sont exactes – Dieu et Muhammad –, il pourra attendre le Jour de la Résurrection en toute quiétude. Dans le cas contraire, il pourra recevoir une pénitence. Dans le pire des cas, ce qui l’attend dans la Géhenne lui sera présenté durant ce temps de la tombe.

Lors du temps de la tombe, il est dit que l’âme du musulman peut prendre la forme d’un oiseau perché sur un arbre du paradis | Image tirée du livre Le cantique des oiseaux de Farîd od-dîn ‘Attâr, aux Éditions Diane de Selliers

La finalité de l’existence

Viendra ultimement le Jour de la Résurrection. À ce moment, les morts retrouveront leur corps et sortiront de leur tombe pour ensuite être jugés devant Dieu et être récompensés pour les bonnes actions réalisées dans le cadre de leur vie sur terre. D’après le Coran, toute action réalisée durant la vie sur terre est inscrite dans un livre qui servira de preuve lors du Jour du Jugement : « nous attachons son destin au cou de chaque homme. Le Jour de la Résurrection, nous lui présenterons un livre qu’il trouvera ouvert : “Lis ton livre ! Il suffit aujourd’hui pour rendre compte de toi-même.” » (XVII, 13-14). Les réalisations de la vie – concrétisées grâce au libre arbitre – sont donc lourdes de conséquences, car elles influeront sur l’avenir éternel de l’âme. Au moment du décès, le livre du défunt se ferme et ne sera ouvert à nouveau que lors du Jugement devant Dieu. Il faut donc craindre les mauvaises actions et le retour à Dieu : « redoutez un Jour durant lequel vous reviendrez à Dieu; un jour où chaque homme recevra le prix de ses actes; un Jour où personne ne sera lésé » (II, 281)[2].

Ainsi, l’existence de chaque âme suit une série d’étapes obligatoires ainsi qu’une orientation bien précise. La vie et la mort ne sont que les deux premières à franchir. Le temps de la tombe représente une période où l’âme est mise en attente de la résurrection de tous les corps pour le Jour du Jugement. La vie doit être vécue en prévision de ce retour à Dieu. Allah évaluera le livre de chaque âme et déterminera si la vie éternelle pourra se faire au Paradis ou en Enfer. Dans l’islam, il est généralement admis que le Paradis serait réservé aux croyants dont les actes ont respecté la tradition prophétique (sunna) et que l’Enfer (Géhenne) serait réservé aux non-croyants qui ont refusé de croire au vrai Dieu et au prophète, de même que de respecter les règles de conduite codifiées par le Coran et les hadiths. Ainsi, la finalité de l’existence éternelle se justifie par le passage sur terre ainsi que par la foi en Dieu. Durant le passage sur terre, il est d’ailleurs nécessaire, pour les survivants, de procéder à un ensemble de rituels funéraires spécifiques.

Rituels funéraires et deuil en islam

Chez les musulmans croyants et pratiquants, les rites funéraires sont extrêmement importants. Pour eux, la séparation de l’âme du corps ne diminue pas pour autant la sainteté du corps humain. L’islam interdit d’ailleurs certaines pratiques, comme la momification, l’incinération, l’abandon des cadavres et les autres pratiques qui altèreraient volontairement le corps. « Le prophète a dit : le péché de casser les os d’un homme qui est mort équivaut au péché de casser les os d’un homme qui est vivant » (Albar 1991 : 281 cité par Larocque 2002 : 22). Dans le Coran, il est d’ailleurs dit qu’il ne faut pas procéder à des changements à la création d’Allah, ce qui inclut le corps. Cette prescription semble concerner à la fois l’attitude que doivent prendre les musulmans dans la vie (soit celle de diriger son être vers la religion pour Dieu et de respecter le corps par de saines pratiques), mais aussi l’ensemble de la vie sur terre, ce qui concerne aussi la dimension funéraire. Les rituels funéraires musulmans se conforment à cette idée et sont habituellement très similaires d’une culture à l’autre, sauf en ce qui concerne l’inhumation. Voyons d’abord les gestes normalement réalisés au décès.

Vidéo expliquant la préparation du défunt

Dès qu’une personne décède, les yeux et la bouche sont fermés. On procède à ses ablutions et le corps est entièrement lavé en suivant une succession d’étapes bien précises. En arabe, les grandes ablutions se disent al-ghusl. Cette obligation est prescrite par le Coran et doit être réalisée dans différentes circonstances, par exemple après une relation sexuelle, les menstruations d’une femme ou le décès de tout musulman, homme ou femme. Par ailleurs, un homme doit normalement être lavé que par un homme et une femme que par une femme. Cependant, un homme peut laver le corps de sa femme décédée et la femme celui de son mari. Dans tous les cas, seul un musulman peut laver un autre musulman. Par la suite, le corps est enveloppé dans un linceul. La préparation du corps et les funérailles sont toujours entrecoupées de prières et de lectures du Coran. Le corps peut être amené au cimetière musulman dans un cercueil, mais il sera enterré sans. La tête du mort doit être orientée en direction de la Kaaba, une construction de forme cubique située au cœur de la Mosquée sacrée, située dans la ville de La Mecque, en Arabie saoudite. Parfois, les musulmans « soufflerons » la shahâdah (ou chahada) au mort, c’est-à-dire la profession de foi que Jacques Jomier traduit de la façon suivante : « j’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est l’envoyé de Dieu ». Cependant, cette action n’est pas admise par tous les musulmans (à ce sujet, voir par exemple la fatwa de Sheikh Ahmad Ash-Sharabâsî).

Stèle d’un soldat musulman, originaire de l’Afrique du Nord, dans un cimetière militaire dans la ville d’Albert (Somme), en France | Photo: CRDP de l’académie d’Amiens

En général, les femmes ne sont pas présentes lors du cortège et de l’enterrement du défunt. Les rites d’enterrement peuvent changer d’une culture musulmane à l’autre, notamment en ce qui concerne les tombes. Par exemple, en Égypte, on trouve des tombes pyramidales. Dans tous les cas, les pierres tombales doivent rester simples.

Lorsque le défunt musulman est inhumé, sa tête doit être orientée en direction de la Kaaba, située dans la mosquée Masjid el Haram à La Mecque, en Arabie Saoudite | Photo : Tab59 Licence CC BY-SA

Quant au deuil, il dure habituellement trois jours. Les amis et les proches du mort doivent supporter la famille et leur offrir de la nourriture. Les femmes doivent respecter un deuil de quatre mois et dix jours. Après cette période, elles sont normalement libres de leurs actions. Par exemple, elles peuvent se marier à nouveau. Dans certaines cultures, comme en Égypte, le quarantième jour de la mort est célébré par la famille, les amis et les connaissances du défunt. Il y a alors récitation du Coran et remémoration du décédé.

Synthèse

La mort pour les musulmans marque un moment crucial dans le cheminement de l’âme humaine. L’existence de la mort comme point de non-retour augmente l’importance que prend le passage de l’âme sur terre. Il est important de bien profiter de la vie afin de se prouver à Dieu. Dans l’islam, l’être humain ne possède qu’une seule vie, une seule chance, et ce, dans le but de réaliser des actes concordant avec la volonté divine. Il est crucial d’agir correctement, puisqu’il est conçu qu’aucun retour sur terre ne sera possible. Ainsi, personne ne peut profiter d’une seconde chance. La mort vient fermer le livre de l’âme, dans lequel toutes les actions réalisées sont circonscrites. Le livre ne sera ouvert à nouveau qu’après le Jour de la Résurrection en prévision du retour à Dieu, où toutes personnes seront jugées devant Dieu. Conçue de manière linéaire, la vie humaine débute avec la vie sur terre pour poursuivre ultimement son cheminement éternel au Paradis ou en Enfer.

Synthèse de la mort en islamRéférences

Mahmoud Azab, « La mort en islam », dans Philippe Gaudin, La mort, ce qu’en disent les religions, Paris (?), Les éditions de l’atelier, 2001.

Bowker, John, The Meaning of Death, New York, Camdbridge University Press, 1993 (1991).

Angelo Brelich, « Introduction., dans Angelo Brelich. Histoire des religions, Vol. 1, Paris, Gallimard 1999.

Coran, traduction de D. Masson, Paris, Gallimard, 1967.

John D. Morgan, « Islam », dans John D. Morgan et Pittu Laungani (dir.), Death and bereavement around the world, Amityville, Baywood Publishing Company, 2002.

GORDON, Matthew S., « L’islam », dans Micheal D. Coogan, Les religions du monde, Evergreen (Allemagne), Maison d’édition, 2008.

JOMIER, Jacques, « Islam (La religion musulmane) – Les fondements », dans Encyclopædia Universalis [en ligne], Encyclopædia Universalis, consulté le 16 novembre 2016.

LAROCQUE, Marie Lyne, La mort, les rites funéraires, le deuil et l’autopsie chez les juifs et les musulmans, Québec, Sécurité publique du Québec, 2001
[en ligne].

[1] Précisons que le récit d’Adam et Ève du Coran prend son origine dans le mythe juif de la Genèse. Il est important de mentionner que le judaïsme, le christianisme et l’islam partagent ainsi plusieurs mythes. L’islam reprend, voire actualise, certaines des histoires bibliques.

[2] Voir aussi la sourate XVII, verset 71, où il est écrit que ceux qui recevront leur livre de la main droite ne subiront aucune injustice.

A propos de l'auteur

Cofondateur

Hugues St-Pierre est diplômé en philosophie ainsi qu’en sciences des religions, programme dans lequel il poursuit aujourd'hui à la maîtrise. Ses intérêts sont principalement orientés vers les analyses discursives, la sexualité et les phénomènes religieux contemporains. Un faible penchant pour la philosophie et l'anthropologie des religions se fait aussi sentir. En tant qu'homme d'idée, Hugues St-Pierre est toujours sur la route de l'univers des possibles à la recherche de projets ambitieux. Il est, entre autres, l'instigateur et l'un des quatre cofondateurs du site Internet de LMD.

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