Nouveaux mouvements religieux, chercheurs et médias : un dialogue difficile
L’intérêt dans les nouveaux mouvements religieux (NMR) existait depuis longtemps. Ils me fascinaient. J’avais pour leurs élans de créativité et leur ferveur à l’épreuve de tout un grand respect mi-amusé, mi-solennel. Puis au cours de mes études universitaires, j’ai été emmenée naturellement à les étudier en profondeur, découvrant un univers tout aussi fascinant, mais, cette fois, d’un angle totalement opposé. J’ai cependant su très rapidement que ces études étaient controversées. Les NMR dérangent, tant dans le milieu académique que populaire. Citations faussées, accusations de partisanerie ou guerres d’opinion, ceux qui se sont penchés objectivement sur les NMR, avec tout le respect qu’un chercheur doit à son sujet, ont parfois été mis à rude épreuve. Au cours de la dernière semaine, j’ai pu constater les effets navrants de la rupture du dialogue entre ces mouvements, ceux qui les étudient et les journalistes. À très petite échelle bien entendu, et j’en suis fort aise ; n’empêche que la controverse autour des Esséniens de Cookshire1 qui fut montée en épingle cette semaine m’a laissé un goût amer, et il est facile de s’imaginer comment les membres de ce groupe doivent eux-mêmes se sentir.
Il s’agit d’un phénomène relativement récent au Québec de voir un corps journalistique incapable de dialoguer avec la religion. L’Église avait autrefois des canaux bien ficelés pour faire entendre sa voix dans les médias. De nos jours, comme le disait Yves Boisvert, le religieux n’est tout simplement plus dans le « radar médiatique2», son apparition dans le fil des nouvelles relève maintenant de l’anecdotique, au fil des scandales et d’évènements majeurs tel que l’élection d’un nouveau pape. Le phénomène est encore plus frappant en ce qui concerne les innovations religieuses, mouton noir du religieux. Le désintéressement du lectorat a produit par la bande une génération de journalistes très peu outillés pour informer leur lectorat sur ce thème, recourant de plus en plus aux « spécialistes » pour les éclairer sur le sujet. Or, le problème principal qui mine la chaîne de communication journaliste-spécialiste-mouvement religieux-lecteur est l’absence d’un vocabulaire commun. Les personnes qui fréquentent les NMR sont rarement des porte-paroles exemplaires et manquent trop souvent de vocabulaire pour transmettre leur expérience personnelle3 de manière objective. Dans le cas précis des NMR, le problème de langage se voit bien, par exemple, en ce qui concerne l’utilisation de termes péjoratifs tels que « secte » ou « gourou », qui stigmatisent les groupes en question. L’évaluation de la « dangerosité » d’un groupe, la question sur toutes les bouches de journalistes, ne peut pas non plus relever d’une enquête « neutre » : elle ramasse une foule d’individus et d’actes diversifiés en un monolithe illusoire pour les juger de manière uniforme. Sur leur site Internet4, InfoSecte mentionne sans gêne qu’il est inutile de leur demander si tel mouvement est une secte : la situation est toujours plus complexe et ne sera jamais répondue par un oui ou un non. Le souci de la nuance et de la contextualisation passe encore trop souvent pour de la partisanerie et la prudence envers les jugements accusateurs irrite les amateurs d’opinions tranchées. Cette manière simpliste de faire n’est pas sans conséquence : elle stimule l’imaginaire populaire dans ses formes les plus sombres et affecte réellement les groupes concernés. Dans une entrevue récente radiophonique5, la sociologue Marie-Andrée Pelland faisait remarquer avec justesse que les autorités policières, dans les années 1993, avaient contribué par leurs enquêtes au développement de la paranoïa chez les membres de l’Ordre du Temple Solaire (OTS), les suspectant à tort de terrorisme, ce qui aurait eu un certain impact sur le déroulement de la suite des événements menant à la malheureuse transition. Nous avons tôt fait d’oublier que les relations avec les NMR doivent être soignées, ne serait-ce qu’afin d’éviter certaines dérives « sectaires ». Le meilleur outil pour éviter les dérapages est le maintien d’un dialogue respectueux.
La rupture de ce dialogue entraîne inévitablement le repli sur soi des communautés visées et isole les individus, les rendant encore plus vulnérables si les évènements tournent au vinaigre. Des pratiques journalistiques telles que l’infiltration à la caméra cachée brisent le lien de confiance avec les médias et stimulent la paranoïa au sein des mouvements. La rupture de ce lien de confiance déteint également sur les informations diffusées à l’endroit des chercheurs, ce qui a pour effet d’entretenir un climat d’ignorance propice à l’émergence des pires préjugés. Un cercle vicieux qui serait pourtant facile à briser si l’on s’en donnait la peine.
Notre société peut être fière de la manière dont elle respecte la liberté de religion, quoi qu’en pensent certains mouvements français de lutte contre les sectes6. Le vrai danger n’est pas l’existence de ces nouveaux mouvements religieux autour de nous (éliminez-en un et il en poussera trois autres), mais plutôt de ne pas être capable socialement de maintenir un dialogue avec eux. Inutile de se cacher le potentiel destructeur de certains de ces mouvements, ni l’attitude foncièrement antisociale de certains autres, mais de grâce, parlons-nous au lieu de nous taper sur la tête!
1 Voir la série de reportages de LaPresse sur les Esséniens de Cookshire.
2 « Le radar médiatique », Médias et religion. Sur la même longueur d’onde?, Dir. Mathieu Lavigne, Conférences du Centre culturel chrétien de Montréal, Montréal, Fides, 2011, p.13-25.
3 Dans l’affaire Essénienne, Radio-Canada décernait récemment une poutine d’or à un membre du groupe pour un sophisme maladroit sorti en entrevue.