L’émergence d’une sexologie québécoise – Partie 2
L’émergence d’une sexologie québécoise – Partie 2
Le Service de Préparation au Mariage (SPM), un exemple de sexologie catholique
Dans le premier article de ce dossier, il fut expliqué que les problèmes démographiques du Québec, durant le début du XXe siècle, étaient attribués aux familles. Par conséquent, les solutions envisagées pour améliorer la situation démographique de la province leur étaient aussi destinées. Pour l’élite de l’époque, la meilleure façon de solidifier les principes familiaux était de renforcer la qualité du mariage chrétien comme l’entendait la tradition catholique. Ainsi, certains laïcs tentèrent de comprendre la réalité matrimoniale des familles canadiennes-françaises pour ensuite réfléchir aux moyens d’en améliorer les attributs. Avec le support du clergé, leur initiative mena plus tard à la fondation du Service de Préparation au Mariage (SPM). Pour mieux en comprendre les fondements, nous ferons un survol de son historique et de ses enseignements. De cette façon, il nous sera possible de mettre en lumière les premiers balbutiements d’une sexologie québécoise.
Historique du Service de Préparation au Mariage (SPM)
L’origine du SPM de Montréal remonte à l’été 1938, où la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) entreprit une étude sur le mariage chrétien : thème d’étude annuelle de l’Action catholique. Leur réflexion commença par l’étude de l’encyclique Casti Connubii de Pie XI (1931) sur le mariage. Sans entrer dans les détails, Casti Connubii réaffirme la doctrine catholique du mariage tout en l’orientant vers l’interdiction de pratiques qui commencèrent à devenir de plus en plus courantes à cette époque (comme l’infidélité, l’émancipation de la femme, les divorces et les unions entre une personne catholique et une autre non catholique). D’une certaine manière, l’encyclique fut la réponse du Vatican devant les résolutions adoptées par l’Église anglicane au sujet de la contraception. L’onanisme et la cessation volontaire des naissances, par exemple, y sont aussi réitérés comme des crimes portés contre les enfants, puisqu’ils empêchent simplement la venue au monde de ces derniers. Le sacrement du mariage y est présenté toujours comme un contrat divin dont l’objectif premier est la procréation et que toute séparation menant à la création d’une seconde union est formellement interdite. La foi conjugale signifie l’abstinence sexuelle en-dehors des liens conjugaux. L’émancipation de la femme y est mentionnée comme une erreur et l’importance de la hiérarchie traditionnelle y est brièvement évoquée. Les unions mixtes et la facilité croissante des divorces étaient perçues par le pape comme « empêchant la restauration » de la perfection du mariage .
Un élément particulier de cette lettre suscite davantage notre attention : l’appel de Pie XI à la nécessité d’une préparation au mariage. Le pape souligne que le respect des préceptes du mariage est en partie possible par une préparation adéquate. Mal disposé, l’égoïsme des époux n’apporte que le malheur futur dans les foyers : « Que les fiancés s’engagent donc dans l’état conjugal bien disposés et bien préparés, afin de pouvoir s’entraider mutuellement à affronter ensemble les vicissitudes de la vie, [sic] et, bien plus encore, à se procurer le salut éternel et à former, en eux l’homme intérieur jusqu’à la perfection de maturité du Christ » . Bien préparés, les parents pourront ensuite éduquer comme il se doit les enfants issus de leur union.
En guise de réponse à Casti Connubii, mais aussi au contexte social dans lequel vivait le Québec, les membres de la JOC firent une importante enquête auprès d’ouvriers partout au Canada. Les données furent analysées à la lumière de l’encyclique. Les résultats leurs ont montré que les jeunes ouvriers arrivaient au mariage sans aucune préparation. Les jeunes couples se mariaient avec de fausses idées qui, selon la JOC, mettaient en danger leur bonheur futur. Dans le but de remédier à la situation, les jocistes organisèrent, en guise d’essai, une formation d’un an sous forme de cercles d’étude. Des aspects canoniques et religieux du mariage chrétien ainsi que quelques informations médicales constituaient les sujets abordés. Le tout étant dédié aux fiancés. Cette formation donna lieu, le 23 juillet 1939, à Montréal, à un événement historique communément appelé les « Cent Mariages ». En fait, 106 couples canadiens (certains diront 104) s’étaient réunis devant plus de 20 000 personnes pour se marier. Le résultat fut considéré comme un succès.
L’aumônier de la JOC nationale, Albert Sanschagrin, qui participa à la préparation des Cent Mariages, eut le souhait que cette initiative soit perpétuée par la mise en place d’un service permanent de Préparation au Mariage. C’est donc en 1941 que le père Sanschagrin, aidé par deux jocistes, Ernest Legault et Simone Comeau, officialisa les activités du SPM. Après quelques essais, un plan final de quinze cours oraux fut élaboré. En 1947, le service est décrit comme suit : le SPM est « un organisme qui donne aux fiancés des deux sexes une préparation immédiate au mariage. Il se rattache directement au comité diocésain d’Action Catholique pour la coordination et relève des comités diocésains des mouvements spécialisés de jeunes pour la conquête ». La place que tient la doctrine catholique dans les enseignements est notable. Les valeurs de l’Église y sont bien présentes; l’enseignement est orienté vers la réussite du mariage chrétien. Son succès sera notable, puisque le SPM de Montréal deviendra une source d’inspiration pour l’organisation de services similaires ailleurs dans le monde. En effet, les États-Unis, la France, l’Angleterre, l’Italie et certains pays d’Amérique du Sud inaugurèrent, à leur tour, des cours de préparation au mariage basés sur ceux de Montréal. Voyons maintenant le type d’enseignement qu’on y transmettait
Enseignements
De manière générale, le SPM avait pour but de pallier le manque flagrant de connaissances élémentaires en psychologie et en économie familiale. Toutefois, la sexualité était la question abordée la plus importante : « l’éthique sexuelle est le point de départ de la réflexion sur le mariage chrétien […]. Tant et si bien que, lu à partir du SPM, le mariage chrétien, considéré sous l’angle de la foi, apparaît comme la résolution du problème sexuel. La question se présente ainsi : comment les chrétiens doivent-ils user de la sexualité ? ». De plus, l’ensemble des leçons était grandement inspiré par l’encyclique papale Casti Connubii. Les cours des années quarante abordaient la question des fréquentations et de l’idéal chrétien de mariage (leçon no 1 et no 4), des aspects physiques, intellectuels, moraux et religieux (leçon no 2 et no 5), de l’amour et du bonheur (leçon no 3), des finances et d’économie (leçon no 6), de fidélité (leçon no 7) et de mariage en soi (leçons no 8 et 9). Quelques leçons portaient aussi sur des notions d’anatomie (leçon no 10), de relations entre les époux (leçons no 11, 14 et 15) et d’hygiène générale et sexuelle (leçon no 12).
Dans l’ensemble, tout est constamment interprété et appliqué à la lumière du modèle familial chrétien traditionnel. L’introduction de la leçon no 1 des cours par correspondance, diffusés par le Centre catholique de l’Université d’Ottawa (1946), est sans ambiguïté à ce sujet :
Nous ne voulons, dans ce cours, que mieux mettre en lumière la nécessité d’étudier consciencieusement la doctrine chrétienne du mariage et de préparer son âme à recevoir, dans toute son abondance, la grâce du sacrement. Pour cela, nous verrons ensemble quelles sont les idées courantes sur le mariage. Nous les examinerons soigneusement à la lumière des principes chrétiens, pour savoir si nous devons les accepter telles quelles ou les rejeter. Enfin, nous chercherons quelle est la meilleure préparation au mariage.
Dès lors, nous pouvons anticiper la suite : les enseignements porteront sur le savoir et les attitudes nécessaires pour vivre pleinement et correctement un mariage chrétien, mais porteront aussi sur les attitudes et les comportements à éviter. La leçon no 13 est un bon exemple en ce qui concerne ce qui est prescrit ou interdit. Tout d’abord, elle précise que le but premier du mariage est de procréer et d’éduquer les enfants issus de l’union. Le but second est, quant à lui, de moindre importance, voire négligeable : le couple doit entretenir l’entraide mutuelle naturelle et surnaturelle, si cela s’avère uniquement possible. « Ces deux fins primaire et secondaire, nous dit la leçon, sont légitimes et autorisent les époux à poser certains actes; ces actes seront bons dans la mesure où ils seront conformes à ces deux buts du mariage et ces actes seront méritoires pour le ciel s’ils sont posés par des chrétiens en état de grâce ». Sont donc prescrits les principes du devoir conjugal (ce qui peut être fait et comment) et les principes moraux de ce qui précèdent, qui accompagnent et suivent l’acte du mariage (par exemple, il est permis d’utiliser l’imagination ou les caresses pour l’acte du mariage). Ensuite, nous trouvons ce qui est proscrit : l’adultère, les empêchements de naissance, les sexualités solitaires, les refus des relations. L’interdiction de l’utilisation de la méthode de régulation des naissances Ogino-Knaus dans certaines situations y est même expliquée.
Les enseignements propres à une sexologie se trouvent dans pratiquement toutes les leçons. Parfois, les notions relatives à la sexualité sont subtiles, mais bien présentes. Prenons l’exemple de la leçon no 6 consacrée à la préparation économique du mariage. Dans celle-ci, ce que le couple doit envisager et respecter en matière de finance et d’économie est spécifiquement présenté pour l’ensemble du jeune ménage. Toutefois, des informations sont aussi destinées pour chaque genre inclusivement. En fait, l’homme et la femme ont chacun leur propre feuillet de la leçon. Chaque sexe a son rôle et une connaissance précise à respecter en matière d’économie. En fait, chaque thématique aborde distinctement ce qui concerne les femmes et les hommes, puis ce qui concerne le couple dans son ensemble. Le plan de la quinzième et dernière leçon est explicite à ce sujet. Le premier point, « ce que le service de préparation au mariage vous a donné », se sépare en trois sous-sections : « pour les jeunes gens », « pour les jeunes filles » et « pour les deux ».
Dans d’autres leçons, comme c’est le cas de la no 13, les questions sexuelles sont explicites, voire volontairement mises au premier plan du cours. Le cas échéant, la notice suivante est inscrite sous le titre de la leçon : « Vous ne devez, en conscience, communiquer cette leçon à d’autres. Serrez-en le texte soigneusement ». Le contenu des leçons no 10 et no 12 exprime bien l’idée. Dans la première, l’anatomie masculine et féminine y est décrite, accompagnée d’éléments sur le « rôle personnel et social de la pureté », où la chasteté, la virginité, la continence et l’innocence sont sérieusement abordées dans le sens d’un ascétisme chrétien. Quant à la seconde, il y est question d’hygiène corporelle et d’hygiène sexuelle. Soins du corps et soins des organes génitaux pour une santé maximale des époux et une meilleure atteinte de la finalité du mariage : avoir des enfants.
Fait pertinent : chaque leçon est suivie d’un questionnaire. Chaque étudiant devait répondre à vingt questions à court développement. Dans l’édition par correspondance du cours consultée pour le présent article, les réponses devaient être envoyées par la poste pour être dûment corrigées. Chaque question valant cinq points. Un minimum de 60 % devait être atteint pour poursuite le cours. L’apprentissage était ainsi supervisé.
Pour terminer, glissons un mot au sujet des intervenants au SPM. Plusieurs individus de milieux différents furent impliqués dans l’élaboration et l’enseignement des cours dont la plupart comme bénévoles. On y retrouvait des prêtres, des avocats, des notaires, des médecins, mais aussi des conférenciers. Ces derniers étaient d’anciens utilisateurs du SPM. Le témoignage de ces couples mariés permettait de partager leur expérience vécue aux futurs mariés. Cette pratique avait principalement pour but de satisfaire la soif de preuves qu’avaient les fiancés quant à la possibilité de réaliser réellement une vie heureuse et chrétienne comme le prétendait le SPM.
Conclusion
À travers ces deux articles, il fut montré que l’étude socio-historique de la sexologie québécoise doit davantage prendre en considération, dans sa réflexion, l’apport des organismes et des associations religieuses québécoises. Autrement dit, le développement d’une sexologie québécoise doit être compris en intégrant l’influence du milieu religieux québécois et canadien du XXe siècle. En abordant la question du « problème national » de la baisse du taux de natalité, il fut possible d’associer une série d’évènements sociétaux avec des conséquences d’apparences éloignées. Cette entreprise a permis de mettre en lumière l’idée selon laquelle l’émergence d’une nouvelle norme sexuelle n’est pas étrangère à une influence positive du milieu religieux québécois, et ce, dans un processus de réponse, de réaction, à un contexte social complexe de crise, et que cette émergence n’est pas un phénomène de simple contestation pure à l’égard d’une norme religieuse stricte. Au contraire, une volonté de faire progresser la société et une affirmation identitaire chrétienne – à même cette volonté d’évolution éthique – ont permis de mettre en place les premières bases d’une sexologie québécoise. Avec l’exemple du Service de préparation au mariage, il fut expliqué que la tentative de plusieurs laïcs à comprendre la réalité matrimoniale des familles canadiennes-françaises a donné lieu à la mise sur pied d’un discours et d’un savoir sur la sexualité.
Il est réaliste d’affirmer qu’une initiative telle le SPM a ouvert la porte à d’autres initiatives du même genre. D’autres facteurs seraient aussi à étudier pour enrichir cette réflexion. Par exemple, il serait fautif de ne pas mentionner, au passage, que le SPM s’inscrit historiquement dans un mouvement familial en plein essor, ou mieux encore, dans les débuts brouillons de ce qui deviendra la Révolution tranquille dans les années 1960. Déjà, dans les années 1930, les laïcs québécois et québécoises souhaitaient déjà une plus grande autonomie d’action, tant dans la vie en société que dans la vie privée. Une étude plus approfondie de la chose pourrait, très certainement, faire ressortir des liens encore plus grands et, surtout, plus surprenants.
Références
Larouche, Jean-Marc, Éros et Thanatos sous l’œil des nouveaux clercs, Montréal : Vlb éditeur, 1991.
Lemieux, Denise et Michelle Comeau, Le mouvement familial au Québec 1960-1990, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2002.
Pelletier, Anne, « 1944-1972 : le Service de préparation au mariage de Montréal », dans Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, no 55, 1998, p. 38-41. [http://id.erudit.org/iderudit/7912ac]
Pie XI, Encyclique Casti Connubii, 1931, [http:\\vatican.va] (consulté le 21 janvier 2015).
Sans auteur, La préparation au mariage à Montréal : expérience auprès de plus de 100.000 fiancés, Montréal Service de Préparation au Mariage de Montréal, 1966.
Thibeault, Denis, L’égalité femme-homme dans le cours du Service de Préparation au Mariage, 1944-1975, mémoire de maîtrise non publié, Faculté de théologie, Université Laval, no 6331.