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L’État islamique et la Révolution française

Il est peut-être temps de voir la guerre civile syrienne comme étant plus qu’un affrontement religieux ou ethnique. Deux idées, le romantisme occidental et la fièvre révolutionnaire, expliquent la capacité phénoménale de recrutement de Daesh, de même que son incroyable résilience devant les bombardements atlantistes.

Max Abrahms, professeur à la Northeastern University à Boston, explique dans une entrevue donnée à l’International Business Times que la grande majorité des Occidentaux qui ont rallié les rangs de Daesh en Syrie sont extrêmement ignorants en matière de religion. Un sondage britannique a révélé que plus de 33 % de non-musulmans supportaient l’envol de leurs concitoyens pour rejoindre les combats en Syrie, toutes bannières confondues.

La sympathie pour le combat, en Europe tout comme en Amérique, s’avère étrangement bien réelle. Elle explique peut-être bien plus le succès de l’État islamique que ses arguments religieux.

William McCants, de la Brookings Institution à Washington, est l’auteur de L’apocalypse de l’État islamique : l’histoire, la stratégie et la vision du jour dernier de l’État islamique (2015). La vision apocalyptique de Daesh, dit-il au quotidien Laliberté, est « un élément très vendeur pour les combattants étrangers, qui veulent voyager dans les pays où les batailles finales de l’apocalypse auront lieu ». Il poursuit en soulignant que « la guerre civile qui a actuellement lieu dans ces pays crédibilise les prophéties. »

Isis Apocalypse

Jurgen Todenhofer, l’un des rares journalistes occidentaux à avoir visité les territoires tenus par Daesh, s’est fait donner un sauf-conduit pour Raqqa, principal fief de l’État islamique en Syrie. Il dresse, dans un article diffusé par RT France, un portrait de Raqqa comme une ville en pleine révolution où l’orgueil est à l’honneur. Le pire cauchemar de l’État islamique, raconte Aljazeera, plus grande chaîne de médias arabes basée au Qatar, est d’être fusillé par l’une des combattantes kurdes. Pourquoi ? Parce que les membres de l’État islamique croient que s’ils sont tués par une femme, ils n’entreront jamais au paradis. C’est du moins ce que dit Telhelden, une combattante kurde de 21 ans engagée dans l’Unité de Protection des femmes. Cette citation, qui a fait le tour du monde, est peut-être exagérée, mais reflète encore l’importance de l’ego dans les troupes impressionnables de l’État islamique.

En catimini, certains expriment leur désillusion, réalisant qu’ils tirent malgré tout sur des musulmans innocents. Le journaliste allemand Jurgen Todenhofer ajoute : « ces jeunes gens qui étaient totalement ignorés dans leur pays se sentent très important ici. Pour la première fois de leur vie, quelqu’un leur dit qu’ils sont importants ».

Jurgen Todenhofer | Photo : via juergentodenhoefer.de

Jurgen Todenhofer | Photo : via juergentodenhoefer.de


Daesh a beaucoup à offrir à ses recrues ; femmes, pouvoir et allocations. On peut monter rapidement dans les rangs en montrant son audace à horrifier l’Occident. Ainsi, le mythe du héros révolutionnaire condamne implacablement à la surenchère. Dans un tel climat, la compétition pour les promesses de l’État islamique envers ses nouvelles recrues les conduit à commettre l’inexcusable. Le plus grand rêve : un affrontement direct avec les États-Unis, tenu pour « combat ultime ».

Tout l’attrait de Daesh pour les jeunesses révolutionnaires tient dans sa démonstration de force, dans sa capacité à faire trembler les puissants, dans son audace à commettre des crimes universellement honnis, qui, par la splendeur de leurs hécatombes, rappellent le fragile équilibre entre la civilisation et la barbarie. C’est lorsqu’un téléspectateur canadien dans son salon a des sueurs froides en pensant que cela pourrait arriver chez lui à Windsor que le révolutionnaire à la bannière du wahhabisme (doctrine fondamentaliste radicale) tire sa plus grande fierté.

Cette terreur n’est pas si différente de la Terreur du Directoire, deux siècles plutôt dans une France en plein éclatement révolutionnaire, où des jeunesses suréduquées et sans mobilité sociale, ont pris le meurtre à la guillotine comme ultime juge. Composante essentielle du passage au Directoire durant la Révolution française, la Terreur est passée pour rituel obligé de fondation d’un État souverain. Y voir là un cas isolé serait une erreur, car la France a ouvert la voie à des guerres sanglantes d’indépendance.

L’idée du combat pour le combat, de la quête de l’absolu, de la valeur de l’engagement pour l’engagement, est une nouveauté du romantisme occidental, écrivait l’historien des idées russo-britannique Isaha Berlin. La fièvre révolutionnaire qui attise le feu de Daesh a bien d’autres racines que celles de l’islam, et elle bourgeonne bien en dehors des pays musulmans.

Si les atrocités en Syrie et en Irak ne viennent probablement pas d’une (re)lecture illuminée de la Révolution française, la destruction de l’Ancien Régime par le Nouveau offre des parallèles frappants avec l’instauration de l’État islamique. La création de l’Émirat islamique entre l’Iraq et la Syrie, tout comme la création de la France révolutionnaire, a provoqué une guerre totale et a révélé toutes les contradictions du système européen. Par exemple, le principal allié des pays occidentaux dans la région, l’Arabie Saoudite, est aussi le plus grand exportateur de fondamentalisme, un autre paradoxe de la croisade occidentale contre le terrorisme.

Entre les tenants de l’islamophobie qui voient dans le Coran la source de l’inspiration à la violence et les défenseurs de l’anticolonialisme prompts à tout excuser au nom des conditions socio-économiques, l’un des piliers de la question radicale est pourtant trop souvent délaissé. Il s’agit du rejet pur et simple de l’héritage des Lumières. Le romantisme, disait Isaiah Berlin, était exactement cela : l’opposition aux Lumières et à l’universalisme[1]. Nous voici devant un romantisme de la mort, qui nie la vie et l’État de droit. Pas trop étonnant que les jeunesses américaines, canadiennes ou françaises, à l’heure de l’aliénation numérique, y voient un paradis, où l’action, la plus spectaculaire possible, sert de remède à l’impuissance.

Daesh fait peur, car il bouleverse un concept « civilisationnel » tenu en paradigme. Pis encore, son modèle de développement vise à détruire l’État et à le supplanter en le copiant grotesquement – Daesh mise sur un système de taxes exorbitantes basées sur la rareté. L’augmentation de jeunes désaffectés, déroutés de l’Ouest, malgré leur faible nombre, illustre son appel révolutionnaire extraordinaire. Les succès horriblement publicisés de Daesh fournissent quotidiennement la preuve que l’action individuelle est capable de faire frissonner la planète. Preuve dont la vanité personnelle en explique peut-être beaucoup plus sur Daesh, finalement, que l’islam.

Daesh

 

[1] The Roots of Romanticism, 1965, Chatto & Windus, 1999. Pimlico.

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