Controverse du burkini : vêtement religieux ou stupidité collective?
Des villes de France sont en pleine croisade contre des bouts de tissus. Certaines autorités municipales interdisent le port du burkini, vêtement de baignade qui couvre tout le corps (cheveux inclus) et qui est principalement associé aux femmes musulmanes. Cannes, Corse, Pas-de-Calais, Cap d’Ail font partie de ces mairies qui interdisent le port de ce vêtement sur ses plages. Et voilà que le monde entier réagit à une controverse qui, on ne se cachera pas la tête dans le sable, vise les personnes de confession musulmane. L’Occident s’excite les jambes, parce qu’on ne voit plus les jambes (et tout le reste). Même la Coalition Avenir Québec s’en mêle! (La ministre de la Justice du gouvernement libéral aura au moins, à ma grande surprise, invité ses adversaires à laisser les femmes se vêtir comme elles veulent.)
La parade virtuelle de pseudo-spécialistes de l’islam
Plusieurs articles journalistiques sont consacrés à l’affaire. Évidemment, j’ai fait preuve de candide naïveté et je suis allé lire les commentaires des gens sous les articles, diffusés sur les réseaux sociaux. Comme toutes controverses bidon qui accusent l’Autre pour une raison tout aussi bidon, on peut sentir l’ignorance du commun des mortels qui suinte de mépris à travers les commentaires. Les gens affirment des âneries comme s’il s’agissait de vérité pure; ils « savent » de quoi ils parlent. Voici quelques paraphrases issues de commentaires courants : « Dehors les signes religieux! », « Dehors les islamistes! », « On n’a pas fait ce chemin-là pour retourner en arrière! ». Nous sommes à deux doigts d’avoir un « Gloire aux totons libres! », puisqu’après tout, il semblerait être question de progrès lorsqu’on parle de réduction vestimentaire. On s’est « dénué » de la pudeur et du contrôle du corps [féminin], il ne faudrait surtout pas revenir en arrière avec des « signes religieux » sur la plage qui nous empêcheraient d’être littéralement à poil à la plage. Le problème, à mon humble avis, est qu’on pointe du doigt un élément religieux qui, dans les faits, n’en est pas un. Le burkini ne constitue pas signe religieux et encore moins un vêtement religieux.
L’art de la confusion sémiotique
Actuellement, le problème qui me chicote dans cette chasse aux sorcières musulmanes (on accuse toujours les méchants et méchantes musulmanes pour des raisons imaginaires), c’est qu’on vise une communauté par les vêtements qu’elle porte. Ce vêtement est accusé d’être un symbole religieux, pire d’un vêtement religieux ostentatoire. Cependant, le burkini n’est rien d’autre qu’un simple vêtement de bain.
Un
vêtement
de
bain.
Le burkini n’est ni un signe, ni un symbole, ni un vêtement religieux. Il est destiné aux femmes musulmanes pour des motifs d’origine religieuse, mais il n’en est rien comparable à l’image du Sacré-Cœur, de la croix chrétienne, du saint habit d’une moniale d’une quelconque communauté catholique, d’une kippa juive et encore moins d’un vêtement liturgique d’un prêtre catholique. Ces éléments portent en eux une connotation religieuse. Ils ont une fonction symbolique, voire une vocation religieuse. Le burkini, je me répète, est un vêtement de bain. Du tissu qui permet de se tremper les fesses à la plage comme à la piscine municipale.
Distinguer la religion de l’objet
Je ne dis pas que l’islam n’a rien à voir là-dedans. Au contraire, au fondement même du port de ce vêtement, il y a une foi religieuse de laquelle découlent des préceptes moraux et, ensuite, des pratiques, comme celle de la pudeur, qui entraîne à son tour le port d’un vêtement qui cache le corps. Toutefois, à mon avis, la raison religieuse est ici trop loin pour connoter le burkini de vêtement ou de symbole religieux (prière de ne pas confondre un symbole avec un signe!). Je tiens à mentionner que le burkini est avant tout un produit de consommation qui répond à des besoins : la pudeur et la volonté de se baigner en public. C’est un produit qui s’inscrit dans un marché où une clientèle cible possède des besoins spécifiques, des besoins qui d’ailleurs s’inscrivent dans la même logique de marché qu’un bikini (sexy ou pas). Les deux produits possèdent une finalité commune : se tremper le corps dans une étendue d’eau publique. Sans oublier qu’il y a tout un univers de la mode musulmane. On peut être humble en termes d’exposition de sa propre chair tout en souhaitant être belle, coquette et attirante.
Mon point est le suivant. Nous sommes en présence d’une valeur de pudeur et d’une solution qui tente d’adapter cette valeur de pudeur et le désir de se baigner. On s’habille donc en conséquence pour combler ces deux désirs, ces deux intentions.
Il est sidérant de voir les pseudo-moralistes qui, de leurs commentaires disgracieux, admettent que la seule et meilleure morale est celle d’être à moitié toute nue. L’Occident se dit être un pays libre et l’avantage est, en théorie, que si je veux porter un kit de motoneige pour me baigner, je vais le faire. Si j’ai envie de me baigner avec tous mes atouts au grand air, je vais aussi le faire. Le hic? Se baigner nu est généralement illégal, surtout dans un lieu public. Est-ce illégal de se baigner habillé de la tête aux pieds? Surtout si le vêtement porté est conçu pour cette pratique? À ma connaissance, non. Bref, qu’on laisse ces femmes tranquilles comme on laisse tranquilles celles qui sont à moitié nues le ¾ du temps de leur vie, et ce, parce qu’elles suivent d’autres préceptes moraux ou immoraux. On va à la plage pour se baigner, non pas pour se chicaner, n’est-ce pas?
À lire sur Le Monde, « Petite histoire du « burkini », des origines aux polémiques » d’Adrien Sénécat;
Sur le Huffington Post Québec, « Kit de détection de l’islamophobie » de Xavier Camus.