L’ADN religieux des superhéros
L’article original a paru sur le site Internet du Centre de Ressources et d’Observation de l’Innovation Religieuse.
Saviez-vous que depuis l’an 2000, plus de 110 films ont été réalisés mettant en vedette les superhéros de Marvel et de DC Comics? Superman, Batman, Spiderman, Captain America, Hulk, Thor, et toutes ces autres merveilles masquées, sont maintenant omniprésents sur nos écrans. Il est évident que les superhéros incarnent notre désir inconscient de vivre dans un monde de justice et de paix. Mais croiriez-vous qu’avant toute chose, ces justiciers personnifient des valeurs issues du judaïsme?
Au début des années 1930, Joe Shushter et Jerry Siegel créent Superman. Un peu plus tard, Captain America naît sous la plume de Jacob Kurtzberg et Hymie Simon, Batman sous celle de Bob Kane et The Spirit est le fruit de l’imagination de Will Eisner. Dans les années 1960, Stan Lee, de son vrai nom Stanley Martin Lieber, crée quelques-uns des superhéros les plus connus : Hulk, X-Men, Spiderman et les Quatre Fantastiques. Curieusement, presque tous les créateurs de superhéros sont des juifs originaires d’Europe centrale. Plus encore, si vous avez déjà lu de ces bandes dessinées, vous avez peut-être remarqué que la majorité des costumes de ces superhéros sont conçus par un même tailleur juif du Lower East Side du nom de Leo Zelinsky. Faut-il en conclure que ces superhéros ont quelque chose de juif?
Au début du xxe siècle, plusieurs vagues d’immigrés juifs d’Europe centrale arrivent à Ellis Island (dans la baie de New York). La presse écrite, alors média de masse, publie des comic strips (courtes bandes dessinées). À partir des années 1930, cette industrie est dominée par les Juifs. Elle dépasse de loin le simple cadre de la presse yiddish et va jusqu’à toucher l’imaginaire populaire. Conscients que les portes d’accès de la publicité et de l’édition leur sont souvent fermées, les illustrateurs et scénaristes juifs privilégient l’industrie du comic book. Chaque génération de ces créateurs de bandes dessinées explorait la douleur de la discrimination et les ambiguïtés de l’assimilation. La double identité des superhéros était en résonnance avec le fait que les Juifs avaient alors souvent dû cacher une partie de leur identité. Comme leurs auteurs, ces héros dissimulaient ce qu’ils étaient profondément pour mieux s’intégrer à leur milieu. Le Superman, devenu si populaire à partir de 1938, allait faire d’une particularité liée à l’expérience juive un élément déterminant de son succès mondial.
De l’avis des spécialistes, le prototype du superhéros semble être le « golem », une créature légendaire du folklore juif du xvie siècle, qu’à Prague un rabbin façonnait dans l’argile pour protéger ses coreligionnaires. Les Juifs, persécutés depuis des siècles en Europe, avaient besoin d’un héros capable de les protéger des forces obscures. Hulk personnifie justement cette sorte d’être mythique. Tout comme le golem, il est un protecteur puissant, imprévisible, le résultat d’une expérience qui a avorté. Les histoires de Superman ont également quelque chose en commun avec le Moïse de la Bible. Celui-ci, à sa naissance, avait échappé à la mort en étant exposé sur le Nil. Au moment où la planète Krypton est condamnée à exploser, Superman est lui aussi déposé par ses parents, non pas comme Moïse dans un panier de roseaux, mais dans un vaisseau spatial qui finira son périple sur la planète Terre. D’ailleurs, avant d’être connu sous ce nom, Superman s’appelait Kal-El et son père Jor-El. L’élément « El » réfère dans la Bible à l’un des anciens noms de Dieu. Il figure dans les noms d’Isra-el, Samu-el, Dani-el et dans celui des anges Micha-el et Gabri-el. Selon la tradition juive, Micha-el est l’archange qui combat Satan, également un double biblique de Superman. L’explosion de Krypton évoque des images figurant dans la Kabbale (la mystique juive) : Dieu se serait retiré du monde, sa parole se serait brisée, et les Juifs réduits à effectuer le « tikkoun olam », la « réparation du monde dans le Royaume du Tout-Puissant ». Superman vise de même à réparer le monde et à éviter qu’il ne sombre dans le chaos.
Stan Lee, le créateur de Spiderman, l’homme araignée, affirmait lui-même que son héros ressemblait beaucoup à David. Est-ce une coïncidence si David, poursuivi par les soldats du roi Saül voulant le tuer, sauve sa vie en se réfugiant dans une grotte et qu’une araignée tisse immédiatement une toile autour de l’entrée? Peut-être y a-t-il un rapprochement à faire entre l’étoile de David (en hébreu « Magen David », c’est-à-dire « le bouclier de David ») et l’étoile qui figure sur le bouclier de Captain America. Au moment où Kane créait Batman, un héros qui assiste impuissant au meurtre de son père et de sa mère, peut-être pensait-il à tous ces enfants juifs, également témoins du meurtre de leurs parents dans les ghettos et les camps de concentration.
Dans les années 1940, les superhéros se présentent comme des sauveurs d’un monde menacé par des méchants, et leurs exploits ont stimulé le moral de ceux qui ont combattu les nazis et les communistes. Au cours des années 1960, les personnages de bandes dessinées sont devenus plus complexes et ambigus, des êtres parfois corrompus, inquiets… Aujourd’hui, dans notre monde post-9/11, si des films comme Batman Begins et des séries comme Spiderman et X-Men ont tellement de succès, c’est peut-être que le monde a plus que jamais besoin d’être réconforté. Lorsque le film Spiderman, attendu avec impatience, est finalement sorti en 2002, il a battu tous les précédents records du box-office. Les cinéphiles avaient manifestement besoin d’un héros à la fois puissant et aimable, qui viendrait au secours de New York, première ville juive au monde.
Pour en savoir davantage
Brod, Harry, Superman Is Jewish? : How Comic Book Superheroes Came to Serve Truth, Justice, and the Jewish-American Way, New York, Free Press, 2012.
Weinstein, Simcha. Up, Up, and Oy Vey: How Jewish History, Culture, and Values Shaped The Comic Book Superhero, Fort Lee (New Jersey), Barricade Books, 2009.
Source image 1 : superheroes.wikia.com
Source image 2 : orthodoxunion.org