La mort chez les Augustines de la miséricorde de Jésus
La version originale de ce texte a été publiée initialement sur le site Internet du Monastère des Augustines. Il s’agit ici d’une version modifiée et augmentée.*
Le 1er août 1639, trois jeunes augustines originaires de France – Marie Guenet, Marie Forestier et Anne Le Cointre – débarquèrent à Québec pour fonder le premier hôpital au nord du Mexique. Leur mission : soigner et convertir les Amérindiens. Dès leur arrivée dans la colonie française, la mort fut très présente. Cet article propose de survoler quelques-unes des manifestations à la fois rituelles et symboliques de la mort chez les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, pour qui la mort a toujours été une réalité bien présente, à l’hôpital comme au monastère. Il sera question de la première année que les trois religieuses auront vécue sous l’aura de la mort, de certains rituels funéraires (célébration eucharistique, sacrement du malade, inhumation), de reliques et de mort symbolique.
La Maison de Mort[1]
Les mères fondatrices passeront près d’un an dans une maison prêtée par la Compagnie des Cent-Associés, près de ce qui deviendra la place d’Armes. Entre l’automne 1639 et l’hiver 1640, les sœurs y accueillirent des Amérindiens atteints par la petite vérole, c’est-à-dire la variole. Le bâtiment aurait fait office de monastère et d’hôpital. Afin de recevoir plus facilement les malades, un enclos de pieux fut bâti autour de la maison afin d’y construire des cabanes d’écorces. Dans son Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, l’abbé Casgrain mentionne que d’autres malades ont ensuite été reçus à même la cuisine, convertie en salle de soins. Malheureusement, ces pauvres âmes furent plusieurs à subir la fatalité de leurs maux, c’est-à-dire mourir. N’appréciant guère ces conditions, les Amérindiens surnommeront même l’hôpital la « Maison de Mort ».
Toujours selon l’abbé Casgrain, la consolation des fondatrices tenait dans le fait que les Amérindiens ne mouraient qu’après avoir été baptisés. Rappelons que la mission initiale de la communauté était de les convertir à la foi catholique, et ce, au moyen des soins prodigués. S’agissant principalement de « baptêmes de lit de mort », il est toutefois difficile de juger de la réelle ferveur des convertis. Comme le dit François Rousseau dans son livre La croix et le scalpel, « […] on sait bien qu’une conversion désintéressée et en l’absence de la perspective de la fin prochaine est plus sincère et plus fructueuse » (Tome 1, p. 50). Sommes-nous en présence du bon vieux « pari pascalien »?
Honorer les défunts
Depuis l’arrivée des fondatrices augustines en Nouvelle-France, les rituels liés à la mort sont manifestes au sein de la communauté. Par exemple, en l’année 1647, Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec rapportent que le pape Innocent X (1574-1655) accorda une indulgence à l’église des hospitalières de Québec pour le jour de la « Commemoration des fideles trepassez » – c’est-à-dire le jour des Morts – ainsi que tous les lundis de l’année où était offerte la célébration eucharistique pour les religieuses de l’Hôtel-Dieu qui étaient décédées (p. 86).
Dans les Constitutions de la communauté (édition de 1923), textes qui établissent l’organisation temporelle et spirituelle de la communauté, une section est dédiée au « devoir envers les sœurs décédées ». Y sont prescrits les rites et pratiques à réaliser dans un tel contexte : « on fera, pour chaque Professe défunte, quatre grands Services solennels outre l’enterrement, avec trente basses Messes, et, au bout de l’an, encore un grand Service; et chaque Sœur de chœur récitera en particulier trois Chapelets et trois Offices des Morts de neuf leçons, avec Vêpres et Laudes […] » (p. 68). Mentionnons toutefois que les pratiques rituelles entourant le décès des religieuses se sont transformées au fil du temps. Aujourd’hui, les prescriptions sont quelque peu différentes. Lors du décès d’une sœur, trois messes basses sont célébrées, et chaque religieuse de chaque monastère doit dire un chapelet à son intention.
Le sacrement des malades
Autrefois, l’extrême-onction représentait dans l’Église catholique (et chez les Augustines) le rituel d’accompagnement à la mort. Ce rituel a laissé sa place au sacrement des malades (aussi appelé onction des malades), qui est toujours pratiqué pour les religieuses en voie de décéder et pour les catholiques dans la même situation qui en font la demande. L’onction est appliquée avec une huile bénite par un prêtre et peut être précédée de la confession et de la communion.
L’inhumation des malades et des religieuses
Encore aujourd’hui, à l’image des autres communautés augustines de la province, les religieuses de l’Hôtel-Dieu de Québec ont leur propre cimetière sur leur terrain; cimetière qui a déménagé à quelques reprises au fil des siècles, selon l’évolution des bâtiments. Vers les années 1930, les corps des religieuses inhumées ont été déménagés à l’emplacement actuel, où des pierres tombales communes rappellent leur passage dans le monde des vivants. D’après l’archéologue Nathalie Gaudreau, qui a dirigé les fouilles dans le monastère et ses environs, le cimetière des religieuses se trouvait jadis dans la cour carrée, derrière l’église.
Autrefois, le cimetière des Picotés, ouvert en 1703, empiétait à même le jardin de l’Hôtel-Dieu de Québec. Le nom de ce lieu d’inhumation fait suite à une épidémie de petite vérole, aussi appelée la « picote », alors que les victimes y étaient enterrées. L’hôpital avait aussi son propre cimetière, destiné à recevoir ses malades décédés. Il est connu sous le nom du cimetière des Pauvres. En 1855, une loi interdisant les inhumations dans les limites de la ville de Québec fut décrétée. Ainsi, les deux cimetières sont vidés de leur contenu au début des années 1860. Les corps contenus dans ces deux cimetières ont été déménagés au Cimetière Belmont, dans le quartier Sainte-Foy, à Québec. Toutefois, il y a toujours des corps ensevelis sous l’église – on dénombre 80 noms –, mais cette pratique n’a plus cours aujourd’hui. Les très rares personnes qui auront la chance de s’aventurer sous le plancher de l’église pourront découvrir des sacs de chaux – produit utilisé jadis notamment pour éviter la propagation de maladies – ou même les restes de Michel Guillaume Baby, homme d’affaire et ancien politicien québécois décédé en 1911, en France, et inhumé à l’Hôtel-Dieu de Québec au côté d’individus fortunés ou d’anciens chapelains de la communauté augustine. Une partie vitrée de son tombeau permettrait d’ailleurs de voir le défunt momifié, arborant une moustache. (Mentionnons qu’autrefois, il fallait être relativement fortuné pour payer sa place sous une église.)
Reliques saintes et relation au sacré : l’exemple de Marie-Catherine de Saint-Augustin
La présence de la mort s’articule aussi de bien d’autres façons dans un monastère catholique. Par exemple, des reliques sont accessibles au public dans une petite salle du Chœur des religieuses du monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec. Cela peut étonner, mais en réalité le culte des reliques est ancien dans le christianisme et les Augustines n’en sont pas étrangères. Généralement, les reliques proviennent du corps d’un saint ou d’un bienheureux, d’un objet qui lui a appartenu ou encore d’un objet qu’il a touché de son vivant. Les reliques permettent d’établir une relation avec le sacré. Leur présence crée parfois un espace sacral, pouvant devenir lieu de pèlerinage.
Les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec comptent une collection impressionnante de reliques, mais la plupart, contenues dans des reliquaires de style et de forme divers, sont inaccessibles au public. En fait, leur utilisation est toujours d’actualité, et ce, dans l’intimité de la communauté.
Dans l’église du monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, construite en 1803, on trouve une châsse qui contient les restes de Marie-Catherine de Saint-Augustin (1638-1668), religieuse très importante pour les Augustines, notamment pour son œuvre de charité reconnue par l’Église catholique, ainsi que son mysticisme. Ses reliques font l’objet d’un culte très actif autant chez les religieuses que chez de fervents catholiques de partout dans le monde. La châsse a été réalisée en 1717 par l’artiste Noël Levasseur. Marie-Catherine de Saint-Augustin est d’ailleurs considérée comme l’une des fondatrices de l’Église canadienne. De plus, le pape Jean-Paul II l’a déclarée bienheureuse en 1989. Chaque année, le 8 mai, jour d’anniversaire de sa mort, il y solennité pour les Augustines et l’Église canadienne. Un centre a été érigé en l’honneur de la bienheureuse. Tel un pèlerinage, le parcours débute dans le corridor du chœur pour accéder à l’église historique où s’y trouve la châsse. Un buste reliquaire du père Jean de Brébeuf (1593-1649) est aussi exposé à l’église. Brébeuf était le père spirituel de Catherine ainsi que l’un des martyrs canadiens.
Mort symbolique
Pour terminer, mentionnons que la mort était autrefois aussi présente chez les Augustines sous des manifestations symboliques. Avant les conclusions du Concile Vatican II en 1965, lors de la profession perpétuelle, c’est-à-dire le rituel qui marquait l’entrée officielle de la religieuse en communauté, un drap mortuaire était utilisé. Ce rituel représentait ainsi le dernier passage entre une possibilité de vie laïque et une entrée officielle dans la vie de communauté cloîtrée. Lors de ce rituel, les religieuses disaient leurs adieux officiels au monde. Il devenait alors impossible de renoncer à la vie cloîtrée pour retourner dans le monde « ordinaire ». Il s’agissait d’une mort au monde symbolique pour ces femmes qui décidaient de se vouer corps et âme à Dieu et aux malades. Cette mort se vivait au moment où les femmes se couchaient sur un drap de profession et qu’un drap mortuaire était tenu au-dessus d’elles. Les litanies des saints y étaient aussi chantées.
De nos jours, bien que la profession existe toujours, l’utilisation du drap mortuaire ne fait plus partie du cérémonial. Par ailleurs, le Concile Vatican II a aussi abolie l’obligation du cloître. Dès lors, les Augustines avaient décidé de ne plus se soumettre à cette règle, car dans les faits, compte-tenu de leur mission hospitalière, elles étaient semi-cloîtrées.
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Qu’il s’agisse du décès des malades (amérindiens ou autres), des religieuses, des « picotés » ou encore de rituels funéraires et de rituels de passages, la présence de la mort est quasi omniprésente dans un monastère d’augustine. Le culte des reliques, et dans ce cas-ci plus spécifiquement celui de Marie-Catherine de Saint-Augustin, prouve toutefois que cette fatalité du corps n’est pas nécessairement une source que de souffrance ou de tristesse chez les Augustines. Au contraire, la mort de certaines personnalités peut offrir une opportunité d’entrer en relation avec le sacré.
* L’auteur souhaite remercier le Centre d’archives du Monastère des Augustines pour et plus spécifiquement Mme Geneviève Piché pour l’édition de la version originale du texte, ainsi que Mme Chantal Lacombe pour son aide dans la recherche et la rédaction de ce texte. Il remercie aussi les religieuses du Centre Marie-Catherine-de-Saint-Augustin pour leur temps et les réflexions partagées ensemble.
Références
Abbé H.R. Casgrain, Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec : Léger Brousseau, Imprimeur-libraire, 1878, p. 80-93.
François Rousseau, La croix et le scalpel. Histoire des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec I : 1639-1892, Québec : Éditions du Septentrion, 1989.
Maude Redmond Morissette et Alina Nogradi, « Les étapes de l’entrée en communauté chez les Augustines de Chicoutimi » [En ligne] (consulté le 1 avril 2017).
Mères Juchereau et Duplessis, Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec : 1636-1716, Québec : Monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1989 [1939], p. 21-26.
Pour aller plus loin
Alina Nogradi et Maude Redmond Morissette, « Le cimetière des Augustines de Roberval : lieu de mémoire communautaire » [En ligne] (consulté le 24 avril 2017)
[1] Cette section est adaptée de l’article « Le premier hiver des mères fondatrice », publié pour la première fois sur le site Internet du Monastère des Augustines.