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La rengaine du dialogue

Parler de vivre-ensemble et de dialogue me semble un peu délicat en ces jours sombres, pourtant, il s’agit en fait du seul message que j’aie envie d’écrire. Déjà lassée des analyses qui cherchent à comprendre ce qui s’est réellement passé sous nos yeux ébahis, je m’accroche à la belle solidarité qui en émerge et aux conditions à construire ensemble afin que cela ne se reproduise plus. Question de tempérament peut-être, aussi de champ d’intérêt. J’ai entendu Michel Mafessoli dire, il n’y a pas si longtemps, qu’au cours d’une vie un chercheur avait peut-être deux ou trois idées seulement à développer…  Je suis habitée par l’idée du dialogue et des espaces sociaux qu’il nécessite, voilà ma rengaine.

Il aurait été tellement plus simple que ce type soit membre militant d’un parti d’extrême droite, néo-nazi, ou encore qu’il fut un islamiste radical outré par le comportement pacifiste de nos musulmans, que la source de ses idées soit identifiable en quelque sorte, afin de pouvoir lui aliéner un peu de responsabilité. La radicalisation est un problème très complexe et difficile à aborder. J’apprécie la sortie de M. Fiset dans les médias, cet ex-radical repenti qui œuvre aujourd’hui à déficeler les rouages de ce trouble de l’esprit.  Déjà, ce type de témoignage nous confronte dans l’image que nous nous faisons de la radicalisation. Elle est peut-être plus banale que nous le pensons, plus proche aussi, moins facile à identifier. La figure du Hitler d’Éric-Emmanuel Schmitt me hante toujours dans ces moments d’incertitude, et je me souviens de l’horreur qui m’avait envahie lorsque je me suis prise de sympathie pour ce pauvre personnage. J’aurais eu le même remord, si dans mes contacts Facebook s’était retrouvé Alexandre Bissonnette, et que lassée de voir ses propos haineux j’avais simplement choisi de ne pas afficher ses interventions. Pour dormir la conscience complètement tranquille, il me faudrait discuter avec ces gens, intervenir, apporter des arguments, des contre-exemples. Or voilà, ces médiums s’harmonisent aisément avec l’opinion facile, l’émotivité et la perte de conscience de l’influence des idées. Le fait est qu’il faut déployer beaucoup plus de ressources aujourd’hui pour amener des résultats de recherches sur la place publique qu’il n’en faut pour exprimer sa peur. Comme plusieurs je suis souvent atteinte d’un « à quoi bon? » un peu lâche; cette arène n’est pas équitable après tout.

Je reste pourtant hantée par la recherche de solutions pour renverser la vapeur chez ceux qui ont franchi la frontière de la haine, et ceux qui y glissent lentement sans s’en rendre compte, ni même rencontrer de résistance. Les voies d’issue me semblent toujours pointer vers le contact humain, loin des foules influentes, loin des caméras. Il y a des moments où une rencontre entre deux individus ne résiste plus aux projections des conceptions de l’autre et où tombent soudainement ces voiles qui nous cachaient cet humain placé devant nous. « Restituer l’humanité », comme le dit si bien Yves Boisvert. Ces jugements qui nous servent à « classer le monde » et à le comprendre servent aussi à le masquer, il faut se rencontrer d’humains à humains pour le réaliser.

Un espace de dialogue est un espace protégé d’expression et d’écoute. Un espace où l’on peut exprimer ses craintes sans être taxé de phobique quelconque, un espace où l’on peut exprimer son incompréhension ou sa désolation devant un phénomène sans avoir à attaquer ou crier pour être entendu. Un espace où on prend le temps de voir où vont les idées et ce qu’elles font aux gens. Parce que dialoguer, ça prend du temps, beaucoup même. C’est aussi un espace où il faut faire l’effort de se rendre, convaincu que cela en vaut la peine. Nous manquons cruellement d’espaces où ces rencontres sont possibles. Le dialogue est rompu dans les médias sociaux parce que nous avons un écran sur mesure, façonné pour nous plaire; il est rompu sur la place publique, parce que les attaques personnelles font office d’arguments et que ces idées masquent l’humain; il est rompu aussi dans nos institutions, parfois même au nom de la liberté d’expression et de la préservation du vivre-ensemble. Nous avons besoin de ces espaces si nous tenons à vivre ensemble. Des espaces d’humains à humains. Voilà ma rengaine.

Des milliers de personnes ont participé à la veillée de Québec, en soutien aux familles des défunts et aux québécois et québécoises de confessions musulmanes touchés directement ou indirectement par l’attaque terroriste du 29 janvier 2016, au Centre culturel islamique de Québec | Photo : Olivier Jean (La Presse)

A propos de l'auteur

Collaboratrice

Frédérique Bonenfant est diplômée en philosophie, avec une spécialisation en philosophie pour enfant. Après plusieurs années en tant que coordonnatrice de projets communautaires, elle fait un retour aux études afin d'approfondir ses connaissances et ses aptitudes en matière d’organisation communautaire d’activités religieuses ou spirituelles. Ses recherches actuelles portent sur la pratique du dialogue interreligieux au niveau local, mais ses intérêts s’étendent à l’événementiel, aux nouvelles spiritualités et nouveaux mouvements religieux. Sa perspective socio-anthropologique la maintient très près du « terrain », là où les nouveaux paysages religieux s’expriment en premier lieu.

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