Le protestantisme comme religion officielle : sous le Régime britannique (1759-1840)
Le protestantisme québécois
– Partie 4 –
Le protestantisme comme religion officielle : Sous le Régime britannique (1759-1840)
Implantation de paroisses bilingues
Durant le régime militaire (1759-1764), il y eut exercice de la foi protestante. Cependant, il n’y a pas eu de formation de paroisse par l’instauration de poste de pasteur permanent. Les ministres du culte protestant y séjournaient souvent temporairement à titre d’aumôniers militaires. Il faut attendre 1768 pour que des pasteurs obtiennent la charge de paroisse. Les trois premiers pasteurs francophones ont retenu notre attention : David-François de Montmollin, Jean-Baptiste-Leger Veyssière et David Chabrand Delisle.
David-François de Montmollin obtient alors le poste à Québec. Originaire de Neufchâtel, en Suisse, il a grandi dans la foi réformée et a par la suite séjourné en Hollande où l’Église est aussi de confession reformée. Il se rendit plus tard à Londres afin d’y étudier la médecine. Au moment où il fut nommé titulaire de la paroisse de Québec, il était membre de la communauté huguenote de La Patente à Spitalfields près de Londres. Le premier pasteur de Québec avait donc toujours fréquenté les milieux réformés, malgré son ordination dans l’Église anglicane.
La même année, Jean-Baptiste-Leger Veyssière fut nommé à la tête de la paroisse de Trois-Rivières. Ce dernier avait été au service de l’Église catholique dès sont arrivée en Nouvelle-France à l’été 1750. En 1766, il avait demandé l’abjuration du catholicisme afin d’être reçu dans l’Église anglicane. Cette conversion ne fit pas l’unanimité au sein du gouvernement, le lieutenant-gouverneur Guy Carleton ayant peur que cela n’irrite la population catholique, affectant ainsi négativement leurs relations avec l’autorité britannique. Cependant, en ce qui concerne le procureur général Francis Masère, il voyait cette conversion d’un bon œil, envisageant même qu’un mouvement de conversion pourrait s’amorcer à la suite de celle de Veyssière. Cela montre bien l’attitude des autorités britanniques qui étaient partagées entre une politique d’assimilation par la conversion des fidèles et le maintien de bonnes relations avec le clergé catholique afin que ce dernier se rallie au protestantisme.
Un autre prêtre, Pierre-Joseph-Antoine Roubaud avait été découragé par le gouverneur James Murray de professer publiquement son abjuration au catholicisme. En 1764, Murray l’avait plutôt envoyé en Angleterre, évitant ainsi une éventuelle polémique sur les sujets religieux. Alors qu’il était secrétaire d’État pour le département du Sud, responsable des colonies, Roubaud écrivit un mémoire sur la religion suggérant à la couronne d’interdire la présence d’évêques catholiques et de limiter l’effectif des prêtres afin que la population se rallie à l’anglicanisme. Ses conseils ne furent pas écoutés très longtemps puisqu’en 1774, l’Acte de Québec redonna officiellement le droit de cité au catholicisme en reconnaissant son évêque.
Le troisième pasteur fut David Chabrand Delisle, un réformé français originaire des Cévennes. Il fut envoyé faire ses études à Lausanne, en Suisse, afin de devenir ministre du culte dans l’Église du désert. Renonçant à son ministère dans l’Église clandestine de France, il passa en Angleterre où il devint ministre de l’Église d’Angleterre. En 1766, deux ans après son ordination, on l’envoya comme aumônier dans la garnison de Montréal. Il occupa ce poste durant deux ans avant d’obtenir la paroisse de Montréal de façon permanente.
La présence de pasteurs de langue française pour officier dans des églises à majorité anglophone entourées par une majorité de francophones catholiques laisse assez clairement entendre une volonté de convertir les Canadiens-Français au protestantisme. Paradoxalement, le contrat des pasteurs stipulait qu’ils devaient célébrer le culte seulement pour ceux qui professaient la foi selon la réforme de l’Église d’Angleterre, ce qui semble donc restreindre les possibilités de conversion.
À la mort de ces trois pasteurs, ils furent tous remplacés par des anglophones, mettant ainsi fin à cette première tentative timide d’implantation d’un protestantisme francophone au Bas-Canada. Par la suite, la société biblique britannique continua d’acheminer au Canada des bibles, des Nouveau Testament de même que des tracts antipapistes en langue française, mais cela ne semble pas avoir engendré de mouvement de conversion. Par contre, la présence de ces bibles francophone eut un impact qui motiva l’Église catholique canadienne à se lancer dans un projet de publication d’une bible française commentée. Ayant de la difficulté à recevoir l’appui de Rome, cette bible ne vit pas le jour avant 1846.
Outre ces quelques franco-protestants établis, il y eut un certain nombre de protestants de langue française qui firent un séjour au Bas-Canada. Deux régiments suisses furent de passage à Montréal : les régiments de Watteville et de Meuron, respectivement présents à Montréal de 1813 à 1816 et de 1781 à 1816, qui comptaient un certain nombre de soldats francophones et réformés. La majorité des soldats allemands présents durant ces mêmes années préféraient aussi assister au culte en français, cette langue leur étant plus familière que l’anglais. Bien que les marchands huguenots français ne fussent plus les bienvenus durant le régime britannique, certains marchands suisses et des huguenots réfugiés en Angleterre participèrent néanmoins au commerce du Bas-Canada. Par contre, étant seulement de passage, ces nombreux protestants de langue française ne participaient en rien à l’établissement d’une Église protestante francophone
Le ministère des pasteurs francophones ne semble pas avoir eu de grande influence sur la population catholique, puisqu’au terme de leur carrière, l’évêque catholique ne relève que cinq conversions au protestantisme parmi ses ouailles.[1] Bien que d’autres protestants que ceux recensés par Murray[2] soient venus au Bas-Canada, il n’y eut jamais une présence très importante puisqu’un des premiers missionnaires protestants francophones du XIXe siècle dit se souvenir d’une « époque où il n’y avait pas un protestant canadien-français connu dans tout le pays[3]. »
Une vie paroissiale difficile à connaître
Les archives anglicanes de l’époque ne nous permettent pas d’avoir une très bonne connaissance des activités des premières Églises bilingues. Avec des archives essentiellement constituées d’actes de baptême et de mariage, il est difficile de connaître la vie des paroisses, d’autant plus que les Églises dissidentes[4] n’étaient pas toujours habilitées à inscrire au registre de l’État civil. Les dissidents avaient donc souvent recours à l’Église anglicane sans y être véritablement attachés. Entre 1800 et 1804, on construisit la cathédrale Holy Trinity de Québec sur l’ancien site de la chapelle des récollets, qui avait été détruite par les flammes en 1796 alors qu’elle servait au culte anglican. On commença ainsi à mettre fin à l’utilisation des lieux de culte catholique par des protestants.
Il semble toutefois que cette période soit marquée par une certaine indifférence face à l’institution religieuse. En effet, les correspondances des pasteurs soulignent la faible participation aux cultes, le très petit nombre de participants à la cène et l’absence au catéchisme. Certains reprochèrent aux pasteurs de langue maternelle française leur incapacité à célébrer dignement un culte en anglais causant ainsi une perte d’intérêt chez les paroissiens. Il nous est difficile d’évaluer les capacités langagières de ces pasteurs envers qui les opinions ont été partagées.
Peu importe les causes de cette indifférence en matière de religion, il semble que cette époque fut traversée par une baisse des pratiques religieuses assez généralisée, ce qui ne diffère pas beaucoup de la situation dans le reste de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Ce fut pour raviver cette foi devenue tiède aux yeux de plusieurs que les différents mouvements de réveil virent le jour un peu partout au courant du XVIIIe siècle. C’est d’ailleurs ces mouvements revivalistes venus d’Europe qui permettront qu’une Église franco-protestante s’établisse définitivement au Bas-Canada dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Malgré la reconnaissance légale du protestantisme, 80 ans après la Conquête, il semble toujours n’y avoir qu’une seule religion possible pour les Canadiens-Français : le catholicisme.
À lire aussi: Les débuts d’un protestantisme durable au Québec
Pour aller plus loin…
Hawkins, Ernest, Annals of the Diocese of Quebec, London, The Society for Promoting Christian Knowledge, 1849, en ligne, http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=nyp.33433070793587;view=1up;seq=7.
Reisner, Mary Ellen, Strangers and pilgrims: A History of the Anglican Diocese of Quebec, Toronto, Anglican Book Centre, 1995.
[1] Rapport de Mgr Jean-François Hubert cité dans Lionel Groulx, Lendemains de Conquête, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1920, p.235.
[2] Historical Records of the Church of England in the Diocese of Québec, Series D, Q2, p.332-335.
[3] John Mockett Cramp, Les mémoires de madame Feller, Trois-Rivières : Publications chrétiennes, 2012 [1876], p.273.
[4] L’appellation « dissident » regroupe les différentes confessions protestantes non rattachées à l’Église d’Angleterre. Parmi eux, comptons les presbytériens, les congrégationalistes, les méthodistes, les baptistes.