Spectacle de sel et de lumière
Nichée au cœur de la petite ville de Zipaquirá, à une petite heure seulement de Bogota, la merveille numéro 1 de la Colombie dévoile ses secrets aux milliers de touristes et pèlerins assez braves pour explorer les profondeurs de la terre. Au cœur de la colline du Zipa (le plus haut dignitaire indigène), quelques kilomètres de tunnels sont consacrés à l’exploitation minière du sel. Dans les entrailles de cette mine se retrouve l’un des plus étranges et des plus magnifiques sanctuaires catholiques : la cathédrale de sel. Pour être exactes, nous devrions plutôt parler d’une église de sel, puisque l’ouvrage ne possède aucun statut spécifique du point de vue de l’Église catholique, mais le visiteur aventureux sera d’avis que la magnificence de l’œuvre mérite amplement un titre plus éloquent.
La mine d’halite
Les salines de Zipaquirá font partie de l’économie de la région depuis le Ve siècle, bien avant l’arrivée des conquistadors, alors que les Muiscas, les autochtones locaux, en exploitaient déjà les filons. Au fil des siècles, le système d’exploitation prit la forme des nombreuses galeries qui composent aujourd’hui l’imposant labyrinthe de la mine de sel de Zipaquirá. La mine s’insère dans un complexe économique et touristique appelé le « Parc du sel », comprenant de nombreux sentiers à travers les grands eucalyptus, un musée et les installations minières. Toujours en exploitation, la mine reste plutôt célèbre en raison de la curieuse merveille qu’elle abrite.
La première cathédrale
Bien avant la construction du premier sanctuaire dans les années 1950, les mineurs avaient creusé une petite chapelle et décoré les parois de la mine d’images pieuses destinées à leur assurer la bénédiction et la protection des saints au cours de leur travail d’excavation. Une première église fut inaugurée en 1954. Elle se situait un étage au-dessus de l’actuelle cathédrale et pouvait contenir près de 8 000 personnes. Elle fut fermée en 1990 en raison de failles dans la structure qui mettaient en danger les nombreux visiteurs et fidèles.
La cathédrale actuelle
Conscients de l’attrait touristique que suscitait l’ancien monument, plusieurs sociétés locales proposèrent un concours d’architecture afin de reconstruire un nouveau sanctuaire à l’intérieur de la mine. Le projet de l’architecte Roswell Gravito Pearl fut retenu et la nouvelle cathédrale fut inaugurée en décembre 1995, après quatre ans de travail. L’église fut placée sous la protection de Notre Dame du Rosaire, la patronne des mineurs. Le sanctuaire actuel se situe à 60 mètres sous l’ancien et comporte trois principales parties : le chemin de croix, la section des balcons et du labyrinthe, puis les trois grandes nefs.
Le chemin de croix est l’un des plus célèbres au monde, principalement en raison de l’originalité de son emplacement, mais aussi pour la qualité de l’expérience spirituelle qu’il offre au pèlerin. Les quatorze étapes sculptées dans la pierre offrent au méditant un lent cheminement vers sa propre intériorité, symbolisée par la pente douce qui le mène au cœur du sanctuaire à travers les galeries tapissées de fleurs de sel. Les jeux de lumière, les illusions d’optique soigneusement taillées dans la pierre et l’atmosphère mystérieuse propre aux cavernes font rapidement oublier au visiteur le monde de lumière et de bruit d’où il provient.
Au-delà du Chemin du calvaire, commence le sanctuaire comme tel et sa magnifique coupole de pierre lisse surplombant le passage vers les balcons supérieurs. Du haut du balcon principal, le visiteur se laisse aspirer par l’espace gigantesque de la nef principale qui s’étend sous ses pieds. À ses côtés, un ange sonne sa trompette pour annoncer la gloire du Christ. Au fond de la nef se profile l’imposante croix de seize mètres, qui, à l’aide de quelques jeux de lumière, semble sortir de sa paroi alors qu’elle y est en fait creusée profondément.
Le visiteur est alors conduit lentement par les escaliers vers le labyrinthe du narthex, alors qu’un ange de marbre supervise le choix des chemins qu’il empruntera. Au bout du labyrinthe se déploient les trois nefs de la cathédrale dont les thèmes rappellent la naissance, la vie et la mort de Jésus. Une petite faille à travers les parois permet symboliquement de relier les trois évènements. Au fond de la nef de gauche se retrouve le baptistère, surplombé d’une haute cascade de fleur de sel symbolisant le baptême de Jésus. La nef centrale abrite l’autel principal et La Creation del Hombre, œuvre de l’artiste Carlos Enrique Rodriguez Arango en hommage à Michel-Ange. Quatre piliers gigantesques entourent la nef centrale, symboles des quatre principaux évangélistes. Dans la nef de droite se trouve une statue où l’on peut voir une représentation de la Vierge aux traits autochtones, petit clin d’œil des mineurs en respect pour les Muiscas qui exploitaient le sel il y a plusieurs siècles. Une autre magnifique statue d’une galerie inférieure leur rend hommage également en dépeignant une scène d’offrande traditionnelle à la Terre Mère sous un arbre majestueux.
Du sel sur les plaies
L’ensemble de l’œuvre architecturale est à couper le souffle, et certainement digne du déplacement. Le charme de l’endroit est cependant à peine suffisant pour faire oublier les controverses écologiques, économiques et culturelles qui entourent la cathédrale de sel. Pour ne nommer que cet aspect, c’est avec un certain malaise que l’on réalise l’immense écart entre les traditions autochtones qui vouent un respect profond à la montagne et ses ressources alors que l’exploitation minière et le tourisme transforment le cœur de la montagne en un marché couvert où l’on achète des babioles de sel entre deux visites guidées. La présence silencieuse d’un joyau sacré au cœur de la colline du Zipa permet heureusement de suspendre, l’espace de quelques instants d’émerveillement, notre jugement sur l’exploitation du milieu.
Photos et texte par Fédérique Bonnenfant