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Petit plaidoyer pour la prise en charge communautaire de la diversité religieuse

fruitSous un titre un peu pompeux se cache une préoccupation grandissante dans mon propre parcours, à la fois académique et identitaire : celle de donner crédit à ce que d’aucuns se plaisent à nommer le « piège » de l’individualisation du croire. C’est en lisant le remarquable essai de Jean-Claude Guillebaud, Comment je suis redevenu chrétien[1], que m’est venu à l’esprit l’urgence de porter un message contraire à cette aversion de « bon ton » envers les religiosités modernes qui se réclament d’un bricolage identitaire, d’un pèlerinage sans attaches, d’un croire sans appartenir. Guillebaud n’y va pas de main morte envers le bricolage : « en réalité, cette croyance solitaire et ce bricolage individuel de la croyance débouchent le plus souvent sur des engouements sans profondeur ni maturité. Ils nous exposent à tous les vertiges, aux dérapages, comme on dit aujourd’hui, et donc à ces pathologies du croire que sont les intégrismes… Les diverses pathologies de la croyance semblent avoir accompagné l’individualisation  de celle-ci.[2] » La solution miracle à cette crise passerait-elle, comme le suggère le parcours de Guillebaud, par la réappropriation d’une ou de plusieurs des grandes traditions?

Plusieurs faits sociaux doivent d’abord être regardés de front, sans gêne, avant d’envisager une quelconque solution. Premièrement, l’individualisation du croire est un processus de plus en plus marqué, qui ne semble pas vouloir s’estomper de sitôt. Il est le fruit de la montée de l’individualisme moderne – où l’individu prend la pleine responsabilité de ses choix et de ses aspirations, même si cela reste souvent à l’état d’un idéal – et aussi de l’agonie du pouvoir de régulation des croyances par les grandes institutions religieuses. Établir l’antériorité de l’un sur l’autre de ces aspects relève, à mon avis, à savoir si l’œuf est venu avant la poule. Or, l’individuation du croire apparaît comme un fait, une tendance irréversible. Il me semble préférable dès lors de s’interroger sur la manière de minimiser les dégâts et de réfléchir sur le potentiel de la situation, dans un optimisme qui pourrait sembler déroutant.

Un autre fait ne peut être écarté du raisonnement : celui de l’avènement d’une société plurielle. Le bricolage des croyances n’est rendu possible que par la récente accessibilité et démocratisation des connaissances propres aux diverses traditions religieuses.  Nous côtoyons l’altérité dans notre quotidien et nous avons accès à beaucoup d’information sur elle. Or, nous prenons maintenant conscience qu’un fossé monumental existe entre l’accès à l’information et le savoir en tant que tel. Loin d’être confiné au papillonnage superficiel décrit par différents  sociologues et théologiens, le bricolage peut devenir un germe de rencontres véritables de l’altérité, en ce sens où il intègre en soi des éléments qui, au départ, étaient étrangers les uns aux autres. Il est l’incarnation d’une pluralité sociale à l’intérieur d’un individu autonome. Nous pouvons alors parler, comme le théologien Raimond Panikkar, d’un véritable dialogue intra-religieux.

Le résultat peut sembler un peu trop idéaliste. La critique de Guillebaud n’est pas sans fondement. Il est vrai qu’un croire privé de ses ou de toutes racines reste souvent ballotant et fragile. Que cette fragilité conduit parfois, voire même trop souvent, au repli identitaire et à certaines formes d’extrémismes. En bref, il est vrai que le croire a besoin d’une certaine régulation. Comme le dit Guillebaud : « pour échapper à ses propres folies, toute croyance réclame d’être passée et repassée au tamis de la critique raisonnable, de la libre discussion, de la patiente purification, autant de choses qui impliquent une relation organisée et suivie dans le temps.[3] » Rien ne saurait être plus exact, mais le pouvoir de régulation ne revient pas nécessairement aux grandes traditions ou institutions religieuses qui proposent à l’exclusivité, comme le dirait la sociologue Danièle Hervieux-Léger,  une « lignée croyante » apte à jouer le rôle de patient tamis.

À l’image d’un anarchisme politique qui renonce aux principes d’autorité dans l’organisation sociale et qui fait confiance à une dynamique d’autogestion participative, il est possible d’imaginer une certaine autorégulation du croire fondée sur la coopération et le dialogue. En dehors de tout cadre institutionnel religieux, un espace pour la libre expression des croyances et pour leurs confrontations respectueuses permet en effet d’approfondir les démarches spirituelles individuelles, créant ainsi un réseau racinaire, qu’elles soient nourries d’une seule ou de plusieurs traditions, et contribuer alors à restreindre les effets dévastateurs des différentes dérives dénoncées : la crédulité et le triomphe de l’affectivité sur la raison, les extrémismes, les syncrétismes et la soupe aux pois de tout acabit.

Comment peut-on en arriver à fonder tant d’espoir sur la pratique du dialogue interreligieux en milieu communautaire ? Cela tient à deux présupposés que j’avoue sans aucune gêne, l’un métaphysique et l’autre plutôt social. Premièrement, je crois en la nature dialogale de la vérité, et donc du savoir. Ce dialogue constructif qui se déroulait autrefois en vase clos, à l’intérieur de chacune des traditions religieuses, se doit aujourd’hui d’être élaboré avec un monde pluriel, mobile et beaucoup plus dynamique. Le second présupposé concerne la possibilité même d’obtenir un certain équilibre social dans le croire, sans faire appel à une quelconque forme d’autorité régulatrice, ce que j’appellerais, avec un peu d’ironie, mon « anarchisme spirituel ». Une société peut arriver à un certain équilibre dans la pluralité religieuse lorsque les relations de pouvoir s’estompent au profit d’une réelle collaboration interreligieuse axée sur la recherche de la vérité et/ou le vivre ensemble harmonieux. Bref, par la pratique des rencontres interreligieuses en dehors des cadres institutionnels, dans le réseau communautaire.

L’individualisation du croire n’est pas une maladie, sauf pour une société qui ne sait pas comment gérer la diversité des individus qui la composent autrement qu’en imposant des standards restrictifs, ce qui revient en soi à nier sa propre réalité sociale. Il suffit d’avoir un peu foi en la bonne volonté des gens de vivre harmonieusement ensemble, mais surtout de créer et définir des espaces sécuritaires pour l’expression et la négociation des croyances (une gestation en quelque sorte) à l’intérieur de cette merveilleuse diversité religieuse.

[1] J.C.Guillebaud, Comment je suis redevenu chrétien, Paris, Albin Michel, 2007.

[2] Idem, p.142.

[3] J.C. Guillebaud…, p.142.

A propos de l'auteur

Collaboratrice

Frédérique Bonenfant est diplômée en philosophie, avec une spécialisation en philosophie pour enfant. Après plusieurs années en tant que coordonnatrice de projets communautaires, elle fait un retour aux études afin d'approfondir ses connaissances et ses aptitudes en matière d’organisation communautaire d’activités religieuses ou spirituelles. Ses recherches actuelles portent sur la pratique du dialogue interreligieux au niveau local, mais ses intérêts s’étendent à l’événementiel, aux nouvelles spiritualités et nouveaux mouvements religieux. Sa perspective socio-anthropologique la maintient très près du « terrain », là où les nouveaux paysages religieux s’expriment en premier lieu.

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