Laïcité commerciale?
Le 19 janvier dernier, l’agence de presse Présence : information religieuse annonçait que l’arrondissement montréalais d’Outremont avait décidé d’aller de l’avant avec son projet de limiter le zonage des lieux de culte sur les avenues commerciales Bernard et Laurier, ainsi que de limiter la zone où les groupes religieux souhaiteraient implanter leur local.
L’arrondissement a dernièrement diffusé dans des journaux locaux un avis public invitant les habitants à se prononcer sur un éventuel référendum sur la question. Seulement 12 signatures sont nécessaires afin que la consultation référendaire puisse être tenue. « Si le nombre de personnes requises pour la tenue d’un référendum n’est pas atteint, dit le journaliste Yves Casgrain, les élus de l’arrondissement se prononceront alors pour une troisième fois sur le projet de loi. Dans le cas où le nombre de signatures est atteint, le référendum pourra avoir lieu. L’avenir du projet de changement de zonage dépendra alors des résultats de cette consultation publique. »
Pourquoi un tel projet de loi? Un des arguments justifiant l’interdiction localisée de lieux de culte serait que la présence de ces derniers sur les artères commerciales nuirait aux commerces à proximité.
Le clash des cultes
Ma lecture d’un tel projet de loi tient dans l’idée que nous avons affaire à un clash, à un affrontement entre deux types cultures du culte. D’un côté, nous avons le culte religieux et de l’autre, le culte mercantile.
« Dieux vs Huard, le combat de l’ère postmoderne! » Cela ferait un beau titre pour un combat de lutte, par un beau vendredi soir, dans une salle obscure montréalaise, non? Pourtant, cet affrontement m’apparaît pourtant être complètement absurde. Pourquoi? Pour la simple raison que les élus ont laissé échapper un fait élémentaire : les membres de communautés religieuses ne consomment pas uniquement du religieux, ils sont des consommateurs à part entière. Les croyants pratiquants doivent, comme n’importe qui, se nourrir, s’habiller, se divertir, etc. Bref, ils finissent un jour ou l’autre par devoir se rendre dans l’un ou l’autre des milliers de commerces existants et y dépenser leur argent.
Qu’on soit religieux ou non, tout individu de notre société fait partie intégrante de la communauté de l’homo economicus. Le culte de la consommation est conciliable avec le culte religieux, surtout si on croit, et c’est mon cas, que le culte religieux s’inscrit en soi dans la logique de la consommation.
Une erreur stratégique importante
D’un point de vue strictement économique, refuser l’établissement de lieux de culte est une mauvaise idée pour au moins deux raisons. (Notez toutefois que je ne suis pas économiste.)
Premièrement, les lieux de culte sont des lieux de rassemblement. Les commerces peuvent en tirer facilement avantage pour la simple raison que les clients potentiels sont déjà à proximité. Il ne reste plus qu’à les attirer dans leur commerce. Aucunement besoin de les appâter dans la zone commerciale, ils y sont déjà. Une petite famille peut aller au restaurant une fois par semaine, après la messe du dimanche. Un couple peut décider de faire son épicerie le même jour que la réunion hebdomadaire ou encore d’aller flâner dans la librairie du quartier. Un(e) célibataire endurci(e) peut organiser un rancard dans un café du coin, après sa séance de zazen ou de yoga. Les exemples sont infinis.
Deuxièmement, la présence de lieux de culte à proximité de commerces représente, selon mon humble avis, un marché intéressant à développer pour ces derniers. Une entreprise peut profiter de la présence d’une communauté religieuse pour développer une niche supplémentaire, spécialisée en accord avec les principes ou les intérêts spécifiques d’un groupe religieux. Une boucherie peut offrir des viandes halal, une librairie peut offrir des livres spécialisés sur le nouvel âge, une boutique de décoration peut offrir des babioles à connotations religieuses, etc.
À ces deux raisons, je dois ajouter qu’une interdiction d’implantation de lieux de culte à proximité de commerces risquerait de faire fuir les membres des communautés religieuses. Personnellement, si j’étais l’un d’eux, je n’aurais pas vraiment envie de visiter et de consommer là où on a refusé l’accès à mon groupe. Je ne me sentirais aucunement le bienvenu. J’éviterais tout endroit qui pue l’ostracisme et j’irais là où on m’accueille ou me tolère.
Laïcité commerciale ou laïcité frustrée?
Je crois que les élus d’Outremont devraient réfléchir autrement. À mon avis, un tel projet de loi doit être davantage biaisé par une volonté personnelle des élus à ne pas avoir de groupes religieux dans le paysage que par des raisons strictement commerciales. L’argument selon lequel la présence de synagogues, de mosquées ou d’églises nuit aux commerces ne peut cacher qu’une frustration qui instrumentalise maladroitement les principes de laïcité. Ce qui est triste, c’est qu’Outremont n’est pas seul dans un tel combat des lieux de culte. D’autres arrondissements de la Ville de Montréal et des municipalités du Québec ont présenté des changements à leur zonage…