La Communauté de la Dame de tous les peuples
La Communauté de la Dame de tous les peuples
Dominic Larochelle | C.R.O.I.R.
On apprenait récemment que Marie-Paule Giguère, la fondatrice de la Communauté de la Dame de tous les peuples, mieux connue sous le nom d’Armée de Marie, est décédée le 25 avril 2015, à l’âge de 93 ans. Nous présentons ici quelques informations concernant ce mouvement religieux controversé établi au Lac-Etchemin, qui a perdu l’appui officiel de l’Église en 1987 et dont tous les membres se sont excommuniés en 2007. La biographie officielle de Marie-Paule Giguère est bien connue et des sources fiables en ont fait état de manière adéquate[1]. Nous nous concentrerons sur les sources des tensions qui ont mené au schisme de ce groupe marial. Il s’agit d’un dossier complexe touchant des questions de droit canonique et de théologie fondamentale au sein de l’Église catholique qui demanderait évidemment une étude plus approfondie. Nous ne pouvons ici qu’en brosser un portrait sommaire.
Les fondements de l’Armée de Marie
De prime abord, il suffit de mentionner que toute la structure de la Communauté, ainsi que la théologie que celle-ci propose, repose essentiellement sur l’expérience mystique de Marie-Paule Giguère qui affirme que la Vierge Marie lui aurait transmis plusieurs révélations depuis son enfance. Cette expérience et ces révélations ont été rendues publiques dans son ouvrage Vie d’amour, rédigé à partir de 1958 et dont le premier volume d’une série de quinze fut publié en 1979. Au cœur de la théologie de Marie-Paule Giguère décrite dans Vie d’amour se trouve l’idée de l’« immaculée ». En tant qu’exempte de tout péché, la Vierge est ainsi élevée au rang de quasi-divinité, le quatrième membre de la trinité et la mère du monde. Elle acquiert dès lors, selon Marie-Paule Giguère, un pouvoir de « co-rédemptrice ». Ce dernier point est rejeté par l’Église depuis le Concile Vatican II. Les activités des personnes fréquentant le groupe tournent donc entièrement autour de la dévotion à la Vierge Marie.
L’Armée de Marie est officiellement fondée en 1971, mais l’idée serait venue à Marie-Paule Giguère dès 1954, alors que la Vierge lui aurait insufflé les premières inspirations de ce qui devait être son armée. Dans cette perspective, la Vierge Marie prend littéralement la tête d’une armée pour combattre Satan et son œuvre. Dieu aurait décidé que le moment était venu de restaurer l’ordre dans le chaos instauré par Satan dans le monde. C’est Marie-Paule Giguère qui est chargé de mettre en œuvre ce plan divin. Dans un esprit eschatologique[2], la formation de cette armée de Marie annonce la venue prochaine de la « Vierge de la Révélation » ou de la « Vierge de l’Apocalypse », signe de la défaite de Satan et de la fin des temps.
À l’heure actuelle, le mouvement est structuré en cinq « œuvres » (ou branches) : l’Armée de Marie, fondée en 1971 et qui regroupe toute personne voulant vivre sa foi par la dévotion à la Vierge Marie; la Famille des fils et filles de Marie et la Communauté des fils et filles de Marie, deux œuvres fondées en 1981 « pour relever la famille – cellule de l’Église et de la société –, la vie religieuse et le sacerdoce »[3]; les Oblats-patriotes, fondés en 1986, et qui misent sur l’amour de la patrie; et l’Institut Marialys, fondée en 1992, et dont les membres se vouent à la défense de l’Église du Christ et au « relèvement de la jeunesse ». Ces cinq œuvres forment ce qu’il est convenu d’appeler la Communauté de la Dame de tous les peuples. Il est très difficile d’estimer le nombre de personnes qui gravitent autour du mouvement dans la mesure où même celui-ci ne semble pas garder de statistiques. Le nombre de 25 000 souvent repris dans les médias est probablement très exagéré et n’est en définitive fondé sur rien de concret.
Des tensions dès les débuts
Le 10 mars 1975, le cardinal Maurice Roy, alors archevêque de Québec, et avec l’appui de l’exécutif de l’Assemblée des évêques de Québec, approuve officiellement l’Armée de Marie et l’érige en association pieuse aux termes du Can. 708 du Code de Droit canonique. Cette reconnaissance officielle deviendra vite problématique et des tensions apparaîtront entre le groupe et le Diocèse de Québec qui voit d’un mauvais œil la théologie proposée par l’Armée de Marie ainsi que certaines de ses actions[4]. Dès 1984, à la demande du successeur de Mgr Roy, le cardinal Louis-Albert Vachon, un comité est formé au Diocèse de Québec avec le mandat de faire enquête sur les activités de l’Armée de Marie.
En 1985 et 1986, la parution de deux livres crée de profonds remous au sein des membres du mouvement et au sein du Diocèse de Québec. Son auteur Marc Bosquart est né en Belgique en 1955 et rejoint Marie-Paule Giguère et l’Armée de Marie au début des années 1980. Influencé par la lecture des écrits de la fondatrice et de ceux de l’eschatologiste Raoul Auclair (qui est lui aussi très près du groupe), Bosquart se met à son tour à rédiger les visions divines qui lui seraient révélées au sujet de Marie-Paule. Même si l’Armée de Marie renie éventuellement les livres de Bosquart, ses écrits sont tout de suite jugés irrecevables par le Diocèse de Québec et mènent à la défection de plusieurs membres du groupe. Le cardinal Vachon publiera d’ailleurs deux avis dans la revue Pastorale Québec[5] mettant en garde les catholiques contre les « graves erreurs » que contiennent ces livres par rapport à la foi et l’enseignement de l’Église. L’année suivante, le Cardinal Joseph Ratzinger informe Mgr Vachon que la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont il est alors le préfet, approuve et confirme les mises en garde de l’archevêque québécois à l’endroit des deux livres de Bosquart.
Le 23 avril 1987, Mgr Vachon convoque les dirigeants de l’Armée de Marie et leur demande de signer une déclaration de soumission à l’Archevêché de Québec. Ceux-ci retirent les livres de Bosquart des étalages, mais refusent de signer la déclaration, jugeant les accusations non fondées et parfaitement récusables. Cette position amène le cardinal à révoquer officiellement le décret de 1985 érigeant l’Armée de Marie en association pieuse. Par le fait même, il interdit toute célébration organisée par l’Armée de Marie dans les lieux de cultes du Diocèse de Québec, interdit la propagation de la prière à la « Dame de tous les peuples », et impose des sanctions aux prêtres qui ne se conforment pas à ces directives.
S’ensuit toute une série de procédures légales auprès du Vatican pour en appeler de cette décision. Dans une lettre datée du 25 mars 1988, le Conseil pontifical pour les laïcs à Rome rejette le dernier recours de l’Armée de Marie et confirme que « les fondements et les principes doctrinaux sur lesquels reposent les statuts, les enseignements et les activités de l’Armée de Marie ne sont pas conformes aux enseignements de l’Église et que les buts de l’Armée de Marie ne correspondent donc pas aux buts des associations de fidèles prévus par le code du droit canonique »[6].
Que reproche-t-on au juste aux enseignements de Marie-Paule Giguère à cette époque? Selon le Diocèse de Québec, certains points de la théologie de Marie-Paule Giguère ne concordent tout simplement pas avec les dogmes catholiques. On reproche d’abord à Marie-Paule Giguère de proposer une nouvelle Révélation de Dieu par l’entremise des messages que lui enverrait la Dame de tous les peuples. L’Église ne rejette pas systématiquement les révélations d’ordre privé; on admet l’idée que Dieu puisse entrer en communication avec les êtres humains de différentes manières ou par des intermédiaires. Elle rejette cependant toute prétention voulant que ces révélations privées, aussi authentiques qu’elles puissent être, apportent de nouvelles vérités doctrinales s’appliquant à toute l’Église. Sur ce point, « Les supposées révélations privées sur lesquelles l’Armée de Marie fonde ses enseignements ne font pas qu’inviter les catholiques à suivre plus fidèlement l’Évangile; elles renferment des éléments fallacieux qui vont l’encontre des textes sacrés et de la Tradition »[7].
Ensuite, la figure de la Vierge Marie telle que proposée par Marie-Paule Giguère se heurte à l’image qu’en donne l’Église catholique. L’élévation de la Vierge Marie au niveau de la Sainte Trinité, faisant entre autres d’elle la « mère du monde » ne concorde pas avec les dogmes de l’Église. De même, l’ambivalence qui a toujours flotté au sein de l’Armée de Marie concernant l’incarnation ou la réincarnation de la Vierge en la personne de Marie-Paule Giguère reste un point d’achoppement fondamental. On reproche finalement à l’Armée de Marie de défier publiquement l’autorité épiscopale en refusant de se soumettre à l’autorité du diocèse.
Le schisme et l’excommunication
À partir de l’an 2000, une série d’évènements vont accélérer un schisme officiel entre l’Armée de Marie et l’Église catholique, en particulier l’inauguration d’un centre eucharistique et marial (le centre Spiri-Maria) et l’ordination de plusieurs prêtres et de diacres. N’étant plus reconnus par l’Église depuis 1987, l’Armée de Marie et ses dirigeants n’avaient en effet pas les autorisations nécessaires pour procéder à ce genre d’activités.
Une note doctrinale des évêques catholiques du Canada rendue publique le 15 août 2001 réitérait les doléances émises en 1987 et rappelait que « jusqu’à présent, les dirigeants de l’Armée de Marie n’ont pas tenu compte des nombreuses interventions de l’Archevêque de Québec et ont continué leurs activités ». La note exhortait « les membres et les sympathisants de l’Armée de Marie à cesser leurs activités, quelles qu’elles soient : publications, participation aux rencontres de prières et aux célébrations liturgique »[8].
Le 26 mars 2007, le cardinal Marc Ouellet, Archevêque de Québec déclare officiellement « que les responsables de l’Armée de Marie se sont exclus de la communion de l’Église catholique… L’Armée de Marie est devenue clairement et publiquement un mouvement schismatique et donc une association non-catholique. Ses doctrines particulières sont fausses et ses activités ne peuvent être fréquentées ni soutenues par des catholiques ». Cette déclaration sera suivie, le 11 juillet de la même année, par une déclaration officielle de la Congrégation pour la doctrine de la foi, confirmant le caractère schismatique et hérétique de l’Armée de Marie et, de fait, excommuniant toute personne qui adhère sciemment et délibérément à la doctrine et aux activités du mouvement[9].
À ce jour, les membres de l’Armée de Marie ne semblent toujours pas accepter les décisions de l’Église catholique et se disent toujours inclus dans celle-ci. Il est encore mentionné sur le site Web de la Communauté que « L’Armée de Marie se veut […] au service de l’Église pour le règne et la gloire de Dieu, par Marie, dans une entière fidélité au Pape, au Magistère de l’Église »[10]. Néanmoins, la santé précaire de Marie-Paule Giguère dans les dernières années a fait en sorte qu’une relève dirigeante s’est formée, en particulier autour du Père Jean-Pierre Mastropietro, intronisé en 2006 (donc avant le schisme officiel) comme « père de l’Église de Jean », une Église qui prétend éventuellement succéder à l’« Église de Pierre », représentée par l’Église catholique de Rome.
[1] On pense en particulier au petit livre de Lucie L. Sanfaçon, L’Armée de Marie, publié par le Centre d’information sur les nouvelles religions (Collection Rencontre d’aujourd’hui 7, Fides, 1989).
[2] Relatif à l’eschatologie, l’ensemble des doctrines et des croyances qui s’intéressent au sort ultime de l’homme et du monde; le discours sur la fin du monde, les derniers temps.
[3] http://www.communaute-dame.qc.ca/oeuvres/OE_offm_FR.htm.
[4] Certains ont émis l’hypothèse que Mgr Vachon et les membres du diocèse ne connaissaient pas la teneur des enseignements de Marie-Paule Giguère à cette époque, l’ouvrage Vie d’amour n’étant publié que quelques années plus tard.
[5] Vol. 98, no. 11 (4 juillet 1986); vol. 98, no. 16 (15 novembre 1986).
[6] Cité dans Sanfaçon : 33
[7] http://www.cccb.ca/site/Files/NoteArDeMarie.html.
[8] http://www.cccb.ca/site/Files/NoteArDeMarie.html.
[9] http://www.cccb.ca/site/images/stories/pdf/decl_excomm_franc.pdf.
[10] http://www.communaute-dame.qc.ca/oeuvres/OE_armee_FR.htm.
*Dominic LaRochelle est agent de recherche et d’information ainsi que responsable de stagiaires au Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse de l’Université Laval. Il agit à titre de collaborateur spécial à la Montagne des dieux.