Du nouveau dans le décor pèlerin au Québec
Dernièrement, l’Association Québécoise des Pèlerins et Amis du Chemin de Saint-Jacques (AQPAC) invitait ses membres à une soirée faisant état de la situation du pèlerinage de longue randonnée au Québec. Pour l’occasion, Michel O’Neill, sociologue et professeur émérite de l’Université Laval, présentait l’ouvrage de sa toute dernière enquête : Entre Saint-Jacques-de-Compostelle et Sainte-Anne-de-Beaupré. La marche pèlerine québécoise depuis les années 1990. Simon Gosselin et Alexia Oman, étudiants à la Faculté des sciences sociales, étaient également présents lors de cette soirée. Tous deux présentaient les résultats de travaux commandés par l’AQPAC et qui portaient sur les motivations des pèlerins à entreprendre une telle démarche.
Avant de présenter les résultats de ces travaux, il convient de dresser un portrait général du pèlerinage de longue randonnée. Au cours des 40 dernières années, celui-ci a connu une croissance époustouflante. D’une poignée de pèlerins au début des années 1980, nous en sommes aujourd’hui à plus de 278 000 par an, et ce, pour le seul Chemin de Compostelle. Inutile de dire qu’un tel engouement suscite beaucoup d’intérêt dans le milieu de la recherche et qu’il existe maintenant un champ d’études portant sur le sujet : Pilgrimage Studies. Présent dans les universités William & Mary (Virginie, USA) et York (Royaume-Uni), ce champ d’études regroupe des disciplines très diversifiées : sciences sociales, anthropologie, littérature, histoire, sciences religieuses, théologie et bien d’autres. Il a également donné naissance à un consortium international[1].
Le pèlerinage de longue randonnée suscite donc un intérêt majeur et le Québec n’y fait pas exception. Au contraire, il figure parmi les 10 pays les plus représentés (en matière de pèlerins-randonneurs) sur le célèbre Chemin de Compostelle[2]. Depuis la fin des années 1990, plusieurs pèlerins québécois ont eu l’occasion de réaliser ce parcours et ils en sont revenus la tête pleine de projets. Ainsi, au cours des 20 dernières années, les chemins de pèlerinage se sont multipliés partout au Québec.
Aujourd’hui, le monde du pèlerinage est en pleine effervescence et l’enquête de Michel O’Neill arrive à point pour faire état de la situation pèlerine au Québec. Lui-même pèlerin-randonneur, il s’est rendu à deux reprises sur les chemins de Compostelle et a effectué plusieurs chemins de pèlerinage québécois. Pour en parler et refléter l’esprit de cet exercice, il a créé l’expression « marche pèlerine » pour qualifier ces longues randonnées faites dans l’esprit de Compostelle. Voici la définition qu’il propose :
Un chemin de marche pèlerine est un parcours bien identifié qui s’inscrit dans la lignée des pérégrinations modernes vers Compostelle, offrant la possibilité à des personnes de développer une forme d’intériorité réflexive en marchant plusieurs jours à travers des lieux se situant davantage en milieu habité qu’en nature sauvage. (p. 32)
Une telle définition permet de bien situer l’esprit de l’expérience pèlerine actuelle, de la distinguer de la simple randonnée pédestre, et d’en cerner le contexte d’exécution. Une fois cette définition posée, l’enquête de Michel O’Neill brosse un portrait historique de la marche au Québec et des débuts du pèlerinage sur son territoire. Par la suite, l’enquête fait état de la situation actuelle et propose quelques réflexions face à l’avenir.
Par cet ouvrage, Michel O’Neill offre un portrait actuel et détaillé de la situation pèlerine au Québec, en parallèle avec celle de Compostelle. À l’aide des nombreuses statistiques auxquelles il se réfère, et portant sur la fréquentation des chemins, le pèlerinage prend soudainement un visage plus féminin dans l’environnement québécois. En fait, la tranche d’âge la plus présente sur ces chemins se situe entre 30 et 60 ans; et les femmes y sont représentées à 66,4 %. On y apprend également que seulement 7 % des pèlerins fréquentent le chemin pour des motifs qui ne sont ni religieux, ni spirituels. En se référant aux travaux de plusieurs chercheurs (Zapponi, Miaux, Frey et Morton), il demeure évident que les fondements religieux ou spirituels sont omniprésents, mais qu’ils ne sont pas les seules dimensions de cette expérience. Il y a plus.
En ce qui a trait à la question des motivations à entreprendre un pèlerinage, la réponse reste floue. Trop peu de recherches empiriques ont été effectuées pour permettre une réponse sans ambiguïté, souligne l’auteur. Pour tenter d’en dire un peu plus, il mentionne les résultats d’une enquête menée par Alexia Oman et Simon Gosselin[3] pour aborder la question (p. 118). Ces derniers ont formulé une typologie des pèlerins et de leur rapport au religieux : 1) le type « Touriste non croyant et non pratiquant »; 2) le type « Touriste croyant et pratiquant »; 3) le type « Religieux timide »; 4) le type « Religieux affirmé ». Ces quatre types, conjugués aux dimensions de réalisation qu’ils ont ciblées (rupture avec le quotidien, approche touristique, héritage religieux et démarche introspective), forment une base minimale à ce qui pourrait introduire davantage aux motivations des pèlerins. L’échantillonnage de leur enquête est cependant trop modeste, à notre avis, pour en tirer une solide nomenclature. Il a cependant l’avantage d’offrir un début de réflexion et une certaine orientation pour la recherche ultérieure. Enfin et malgré le manque de données empiriques, Michel O’Neill rappelle que : « la tension et les interactions entre les motivations spirituelles, religieuses ou pas, et les autres demeurera sans doute encore longtemps au cœur du phénomène (sic) » (p. 125). Par cette affirmation, l’auteur met en évidence que le pèlerinage contemporain n’est pas seulement une expérience religieuse ou spirituelle. L’expérience concrète s’avère plus complète en matière d’interaction et d’accessibilité aux différentes facettes de notre humanité.
L’enquête de Michel O’Neill offre également une compilation détaillée des 18 chemins de pèlerinage au Québec (lors de la conférence, l’auteur informait qu’un dix-neuvième s’apprêtait à voir le jour). Ces derniers offrent une grande diversité, tant dans la distance que dans le relief, et vont de quelques jours de marche à plusieurs mois. Sur le plan historique (au détour des années 2000), il rapporte que les premiers chemins ont pu voir le jour grâce à des associations bénévoles et que ceux-ci se sont construits dans cet esprit de gratuité. Toutefois, depuis 2010, la scène pèlerine a subi un virage important et a vu apparaître bon nombre d’entreprises offrant différents services et circuits de pèlerinage. Avec les années, ce virage s’est raffiné et, à l’aube des années 2020, Michel O’Neill observe, en s’appuyant sur différentes études, que le tourisme religieux se démarque comme niche de choix dans l’industrie touristique en multipliant les offres de services, ici comme à Compostelle. Cette situation interpelle le chercheur et l’incite à faire une distinction entre « esprit du chemin » et « esprit d’entreprise ». Deux orientations qui rendent bien les tendances actuelles à penser le pèlerinage. Toutefois, et en conclusion, l’auteur reconnaît l’impact positif de l’aspect « libre-entreprise » de l’expérience en mentionnant que celle-ci contribuera certainement à son essor au cours des 10 prochaines années. Néanmoins, l’esprit du chemin demeurera toujours bien présent et continuera d’alimenter le désir croissant d’introspection, de se situer spirituellement, dans un monde où les références de sens sont éclatées : « il y a bien des manières de combiner esprit de chemin et esprit d’entreprise. Finalement, c’est à chaque personne de trouver la combinaison qui lui convient » (p. 146).
Le livre de Michel O’Neill dresse ainsi un excellent panorama de la situation pèlerine au Québec. Bien structurée et documentée, cette enquête permet de situer le Québec dans le paysage pèlerin actuel et d’en saisir les enjeux.
Michel O’Neill (2017). Entre Saint-Jacques-de-Compostelle et Sainte-Anne-de-Beaupré. La marche pèlerine québécoise depuis les années 1990. Québec, Presses de l’Université Laval, 253 pages.
Simon Gosselin et Alexia Oman (2016). Le pèlerinage de Compostelle : entre catholicisme et pratiques touristiques. Rapport de laboratoire de recherche. Faculté de sciences sociales, Université Laval. Sous la direction de : Louis-Simon Corriveau et Marie-Hélène Deshaies. (Pour obtenir une copie de ce rapport, contactez : Alexia Oman : alexia.oman.1@ulaval.ca ou Simon Gosselin : simon.gosselin.10@ulaval.ca )
[1] Consortium on Pilgrimage Studies : http://www.wm.edu/sites/pilgrimage/consortium/index.php
[2] Il existe plusieurs sites portant sur le Chemin de Compostelle. En voici quelques-uns : https://oficinadelperegrino.com/en/ ; http://www.chemindecompostelle.com/; http://www.chemin-compostelle.info/
[3] Cette enquête était une commande de l’AQPAC auprès de la Faculté de sciences sociales de l’Université Laval. L’objet de cette commande était d’en apprendre davantage sur les motivations des pèlerins-randonneurs. Il est possible de se procurer le rapport, par courriel, auprès de Simon Gosselin et Alexia Oman.