L’été 1967: des slogans anarchistes aux mantras consuméristes!
L’article original a paru sur le site Internet du Centre de Ressources et d’Observation de l’Innovation Religieuse.
Qu’avez-vous fait cet été? Vous avez suivi des cours de yoga, pratiqué la méditation « pleine conscience », expérimenté une médecine douce? Vous avez répondu « oui » à l’une ou l’autre de ces questions et vous vous définissez comme « spirituel, mais pas religieux »? Croiriez-vous alors être redevable au premier hippie de soixante-dix ans que vous allez croiser dans la rue? Ne l’oublions pas, il y a cinquante ans, des milliers de jeunes se réunissaient à San Francisco pour l’« Été de l’amour » et depuis, le fait religieux en a été considérablement modifié.
« En 67 tout était beau… » et la planète vivait en état d’effervescence. Montréal s’ouvrait sur le monde avec l’Exposition universelle. La frénésie s’emparait de l’industrie de la musique avec la sortie de l’album « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » des Beatles qui, grâce à la BBC, chantaient en direct All You Need is Love dans le cadre d’une émission de radio diffusée de par le monde. À San Francisco, la jeunesse se promenait avec des fleurs dans les cheveux, se prétendant capable de changer le monde. Même si des millions de Nord-Américains d’aujourd’hui ne consomment plus de LSD, ne portent plus la barbe, ne brûlent plus leur soutien-gorge ou n’ont jamais mis les pieds dans une commune hippie, le vent de révolution qui soufflait alors dans les rues de San Francisco fut l’amorce d’un nouveau mouvement religieux qui a profondément changé leur vie et leur façon d’être religieux.
Tout a vraiment démarré le 14 janvier 1967 au Golden Gate Park, lors du premier Be-In, qui vit vingt mille personnes déferler à Haight-Ashbury pour écouter les groupes hippies de l’heure : Grateful Dead, Jefferson Airplane, etc. Pour inaugurer ce rassemblement, le poète Gary Snyder souffle dans un coquillage et proclame : « Nous sommes les primitifs d’une culture inconnue », tandis que le psychologue Timothy Leary déclame son fameux « Turn on, tune in and drop out ». La religion s’immisce à sa façon dans ces rencontres. Augustus Owsley Stanley III distribue le LSD du jour, tandis qu’en arrière-plan, l’emblématique figure de la « Beat Generation », Allen Ginsberg, récite des mantras bouddhiques. La rumeur finit par se répandre : il se passe quelque chose d’inouï dans ce district de San Francisco. L’« Été de l’amour » débutait. La religion devenait une expérience induite par les drogues, surtout le LSD, les jeunes découvraient un accès inédit à la spiritualité. Une rapide mutation dont rend compte la comédie musicale Hair, créée off-Broadway en octobre 1967.
Hair proclame qu’à l’ère du Verseau « la paix guidera les planètes et l’amour dirigera les étoiles ». On y parle de non-violence, d’individualisme et de matérialisme honni, on y rejette la religion institutionnalisée, on y vise un niveau de conscience plus pur et plus élevé grâce au LSD. La consommation de drogue y devient le moyen de reconquérir une spiritualité que l’hypocrisie insignifiante de la religion organisée a subtilisée à la génération précédente. C’est cette culture qui, curieusement, allie religion et individualisme, et finit par déboucher sur le paradoxe « spirituel, mais pas religieux ». Mais l’« Été de l’amour », c’est aussi le début de l’ère du consumérisme en matière de religion.
Très rapidement, les hippies idéalistes déchantent devant la culture en train d’émerger. Le Beatles George Harrison débarque le 7 août à Haight-Ashbury à la recherche d’artistes mystiques : il ne trouve que « d’horribles adolescents fugueurs boutonneux et défoncés ». Bill Ham, un artiste visuel de la contreculture de l’époque, dénonce le fait que seul l’argent motive l’industrie du Rock and roll en délogeant la créativité suscitée par le psychédélisme. La majorité de ces jeunes plongent dans la société de consommation, se délectent de la nouvelle prospérité économique issue d’un accès facile au crédit et d’un rapide développement technologique. La consommation de masse finit par s’imposer même dans le champ religieux. Ce que plusieurs ont nommé le « Nouvel Âge » est aussi l’expression de la consommation de masse en matière de religion. Pour combler ces nouveaux consommateurs en quête de produits qui répondent à leurs besoins de chasseurs-cueilleurs de l’ère du Verseau, de nouveaux marchés spirituels se développent, riches en biens symboliques comme les cristaux, les anges, les images, les encens.
Encore aujourd’hui, bien des hippies condamnent la récupération de leur culture par la société de consommation. Le yoga visait jadis le détachement du monde matériel; il est devenu une industrie commanditée par des entreprises comme Lululemon et Lolë. Ce qui semble désoler les hippies de 1967, c’est que leur spiritualité se retrouve désormais sur l’autel de la performance. En cinquante années, nous serions passés du « I wish we were all hippies and did yoga […] I just wish we could redo society » de Bob Marley au « #yogaeverydamnday, #beagoddess » de Twitter. Ou pour terminer comme « Le blues d’la métropole » de Beau Dommage cité plus haut : « … j’avais des fleurs d’in cheveux fallait tu être niaiseux ».
Pour en savoir plus :
Horn, Barbara Lee, The Age of Hair: Evolution and Impact of Broadway’s First Rock Musical, New York, Greenwood Press, 1991.
Lattin, Don, « How San Francisco’s Summer of Love Sparked Today’s Religious Movements », Religion News Service, July 21, 2017 (consulté le 21 juillet 2017).
Williams, Holly, « The Great Hippie Hijack: 2015 Was the Year that Consumerism Finally Devoured the Counterculture Dream », Independent, Sunday 29 November 2015 (consulté le 21 juillet 2017).
Source de la photo: Detroit Artists Workshop