Entrevue avec Marion Swar, auteure du livre «Hémisphères en mouvement»
Entrevue avec Marion Swar, auteure du livre Hémisphères en mouvement. Voyage intérieur sur les îles du Pacifique, paru chez Librinova en 2016.
Réalisée par Gaëlle Brunelot, le 24 novembre 2016.
Dans ton livre Hémisphères en mouvement, tu mentionnes en conclusion avoir l’intention de poursuivre un doctorat au Québec, est-ce que ce projet est toujours d’actualité?
Lorsque j’ai publié le livre, je m’envolais pour le Canada pour m’engager sur la route fastidieuse d’un doctorat en management. Très rapidement, après avoir commencé, je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout à ma place en tant qu’individu et future professionnelle. Lorsque j’ai fait ce choix de poursuivre mes études vers la recherche, je venais de rentrer de mon voyage en Australie et je ne voulais pas retourner vers mon ancien poste (assistante qualité). Précédemment, dans mon parcours universitaire, mon directeur académique m’avait proposé de faire un doctorat, j’ai cru que c’était la meilleure voie à suivre… Je me suis trompée. Comme quoi on peut partir apprendre à se connaître, revenir avec la certitude d’être sur le bon chemin, et encore faire des erreurs! La différence, c’est que j’ai mis deux semaines à m’en rendre compte, là où avant ça m’aurait pris des mois. J’ai repris une maîtrise en développement des personnes et des organisations à l’Université Laval qui m’offre un avenir beaucoup plus tangible à courte échéance, où le contact social est davantage présent.
Après un voyage aussi stimulant, n’est-ce pas trop difficile pour toi de retourner aux études, de t’installer dans une nouvelle ville et d’accepter de retourner à un certain immobilisme ?
Au départ, j’ai cru que j’allais m’en sortir sans encombre… Que j’étais passée entre les mailles du filet de « la dépression post-voyage ». Il faut croire que non! C’était très ambitieux de ma part de me lancer corps et âme dans un nouveau défi sur un nouveau continent, un nouveau pays, une nouvelle ville, un nouveau diplôme… C’était bien trop en même temps, surtout que mon doctorat m’a énormément stressée vu que je voyais bien que ce n’était pas fait pour moi. Les deux premiers mois ont été une vraie épreuve, loin de tous mes repères, de tous ceux que j’aime, mais non pas pour voyager cette fois-ci, mais pour m’installer. Ce qui implique de tout recommencer depuis le début dans l’intention de rester – et non d’être seulement de passage pour quelques jours ou semaines comme un roadtrip. J’ai redécouvert les contraintes, les obligations, les responsabilités du quotidien dans une vie « traditionnelle ». Une liberté amoindrie dans mon emploi du temps, dans mon budget, dans ma façon d’organiser mes journées… Je me suis posée beaucoup de questions quant à mes choix universitaires, mais également géographiques, et l’idée de retourner chez moi revenait souvent. Alors que ça ne m’était jamais arrivé pendant mon voyage en Océanie!
Depuis ton arrivée à Québec, te sens-tu toujours l’âme voyageuse ou envisages-tu de rester dans cette ville quelques années encore ?
Je crois que le voyage est ancré à vie dans ceux qui ont vécu des périples comme les miens. Comme si notre ADN avait été modifié! Alors que je suis en train de dire ces mots, je repense à ces paysages, à ces sourires, à ces rencontres, à ces émotions, tant de souvenirs et d’aventures qui font battre mon cœur si fort. Alors oui, je pense encore à partir découvrir le monde et ses merveilles ! Mais une partie plus sage de moi-même rêve également de m’installer, d’avoir enfin un appartement à moi, d’évoluer dans des sphères de vie qui me permettront de m’épanouir et de projeter ce que je suis autour de moi professionnellement parlant. J’ai envie de passer à l’action, c’est difficile à décrire comme élan intérieur, mais j’ai envie de donner ce que je suis dans des actions concrètes au quotidien. Au Canada ou ailleurs! Le voyage sera donc l’apanage des vacances à présent, c’est autre chose, mais ça n’enlève rien à l’expérience. L’essentiel réside dans la façon de vivre nos périples.
Est-ce que ton expérience d’une année de voyage t’as permis d’expérimenter autrement la découverte d’un nouveau pays, en l’occurrence le Canada ?
J’ai l’impression que je vis chaque pays, chaque départ, comme si c’était la première fois. Je ne me lasse pas du dépaysement, de l’aventure, de l’adrénaline, de la découverte de nouvelles façons de vivre, de saveurs, couleurs, odeurs inconnues, de paysages incroyables, de personnes différentes. Je ne m’habitue pas pour autant au revers de la médaille qui va toujours avec les côtés positifs du voyage que sont le déracinement, la perte de repères, la peur face à l’inconnu, le manque éprouvé par ces choses que j’aime et que je ne retrouve pas là où je vais, que ça soit la nourriture, les amis, la famille, l’architecture (très importante pour moi), etc. Je ne crois pas que voyager une année m’ait aidée tant que ça à m’intégrer au Canada, au contraire. Voyager est un processus d’exploration mobile où les possibilités sont infinies, alors qu’immigrer représente pour moi un processus sédentaire, avec des choix et libertés réduits. C’est un peu le jour et la nuit… Par contre, mon voyage m’a aidée à avoir davantage confiance en moi pour aller vers les autres et à affronter les situations inconnues et difficiles avec plus de sérénité.
Qu’entends-tu par aller à la rencontre de l’Autre dans ton introduction ? Tu utilises le même terme à la page suivante pour signifier que ta meilleure amie a remis son destin dans les mains d’un Autre, sous-entendu Dieu. Peut-on en conclure que tu considères l’Autre comme une altérité spirituelle? Ta conception de l’Autre a-t-elle évolué au cours de ton voyage?
La rencontre avec l’autre a commencé par celle avec les autres individus, ces personnes aux cultures, habitudes, conceptions de la vie parfois si différentes de la mienne. Ils ont changé ma façon de voir les choses et la vision que j’avais sur le monde. Comme faire de l’auto-stop alors qu’on a cessé de me répéter tout au long de ma vie que c’était dangereux, car les inconnus sont une menace. J’ai toujours rencontré des personnes très sympathiques, ou, au pire, indifférentes.
Puis, au fil du voyage, sans volonté de ma part, la rencontre avec cette force si puissante ressentie devant des paysages d’une beauté incroyable, extraordinaire, magique. Je suis une personne très émotive, j’ai eu souvent les larmes aux yeux durant ce voyage face à la nature si majestueuse. Tant au niveau de la nature que des personnes que j’ai rencontrées, j’ai été de cadeau en cadeau. Plusieurs fois, je me suis demandée si cette année n’était pas une succession de preuves tangibles, visibles, qu’une force invisible nous guide, nous inspire, nous transmet. La spiritualité s’est présentée délicatement à moi, sans même que j’en ai réellement conscience. Légère, insouciante, chaleureuse, émouvante, comme si un voile paisible s’était ajouté sur mon chemin.
Par le passé, ma vision de la spiritualité avait toujours été reliée aux différentes religions dans lesquelles je ne me reconnaissais pas, et c’est toujours le cas. Mais à présent, je comprends ce qui anime les croyants. Lorsque mon amie musulmane lit mon livre, elle se reconnaît dans sa propre foi, car en réalité, nous parlons de la même chose, avec des mots et des concepts différents.
Je crois que partir à la rencontre du monde, des autres cultures et personnes, de soi, c’est également partir à la rencontre de ce qu’on ne peut pas expliquer, mais que l’on vit parfois. Cette présence intime avec l’univers, avec le divin, le tout.
Dans ton livre, tu emploies le mot « spiritualité » à plusieurs reprises afin de qualifier ton expérience du sacré au cours de ton voyage. Peux-tu nous dire quelle est ta définition de la spiritualité et ce qu’elle représente pour toi aujourd’hui ?
Quelle question difficile! J’ai lu une interview d’Elizabeth Gilbert (qui a écrit Mange, prie, aime puis Comme par magie) qui disait que l’être humain est un être spirituel par nature. L’être humain a toujours, dans toutes les civilisations, de tous les temps, fait le lien entre lui et le monde en créant des univers et coutumes spirituels. Je n’ai pas métamorphosé ma vie et mon quotidien suite à mon voyage et à ma prise de conscience. Je m’émeus toujours devant les couleurs, les atmosphères, les paysages de la nature, des liens entre chaque chose, d’un sourire, d’un regard, en pensant que la vie est un cadeau, que quelqu’un veille sur moi d’une manière ou d’une autre, que des forces invisibles agissent. « Ce n’est pas parce que tu ne vois pas le vent, qu’il n’existe pas », j’avais entendu cette phrase un jour, et ça m’a fait prendre conscience qu’il y a tellement de choses que nous avons autour de nous qui ne se voient pas, et pourtant tout le monde trouve ça normal : les ondes électromagnétiques, la force de la gravité, les bactéries…
Pour moi la spiritualité fait partie de chacun de nous. Ceux qui en ont conscience portent simplement un regard plus conscient sur leur vie, ce qui les entoure, sur le monde et le cours des choses. C’est d’accepter qu’on ne peut pas tout expliquer, accepter qu’il y ait des choses hors de notre contrôle, accepter l’invisible, l’inaudible, l’indicible. Faire confiance à l’univers, à la vie, à cette force intérieure qui nous appelle. C’est une relation intime, comme une communication silencieuse, entre des élans profonds provenant de mon for intérieur et des énergies extérieures provenant de je-ne-sais-où, et je ne suis pas certaine de vouloir mettre un nom dessus. Je sais que c’est là, ça me suffit.
Malheureusement, j’ai l’impression que lorsqu’on essaie de mettre des mots ou d’expliquer, un sentiment, une sensation comme la spiritualité, ça lui enlève toute sa puissance, et aussi souvent sa crédibilité aux yeux de la société. Beaucoup de personnes agissent souvent de manière qu’on pourra qualifier de spirituelle, mais dès qu’on leur fait remarquer, ils sont très surpris et parfois ils le nient totalement!
Est-ce que ta nouvelle vision de la spiritualité t’a suivi jusqu’au Canada ? Si oui, comment intègres-tu le sens du sacré dans ta vie quotidienne à Québec ?
Bien sûr que ma spiritualité m’a suivi et m’accompagne chaque jour de manière consciente aujourd’hui. J’étais déjà spirituelle avant, je ne m’en rendais pas compte, comme beaucoup de gens qui, sans le savoir, ont des pratiques ou des pensées spirituelles chaque jour. Mon regard a changé, mes pensées, ma façon de connecter ce qu’il se passe autour ou en moi avec cette puissance, cet élan que je ressens et qui m’apporte de l’espoir. Cette prise de conscience que j’ai eue en Nouvelle-Zélande a changé ma vision de la vie, sans que ça révolutionne mon quotidien pour autant. Je médite, je fais du Qi Gong (approche corps-esprit chinoise, NDLR), j’écoute des chants de mantra, je vais à des ateliers et des événements spirituels, je fais appel à l’univers au travers quelques rituels réalisés seule ou avec des amis, de manière occasionnelle. La spiritualité ce n’est pas une bulle à part, comme je dirais « je vais à la danse ou je dessine parfois ». La spiritualité est parsemée dans toutes les sphères de ma vie, c’est un tout à chaque instant.
Est-ce que tu cherches à rencontrer et à te familiariser avec les croyances et le mode de vie des Premières Nations au Québec, de la même façon qu’avec les aborigènes d’Australie ?
Je crois que je n’ai pas été attirée par le Canada pour rien… Et ce, bien avant l’Australie à vrai dire. Sans savoir pourquoi, je sentais depuis longtemps que quelque chose m’attendait ici. Personnellement, professionnellement, spirituellement, je ne saurais le dire. J’ai beaucoup appris au contact des aborigènes d’Australie, des Maoris de Nouvelle-Zélande et des Kanaks de Nouvelle-Calédonie. Nos rencontres ont toujours été brèves, mais sincères et intenses. Je cherche discrètement et timidement à apprendre des Premières Nations canadiennes. Je sens que ce n’est pas encore le temps pour moi présentement, mais ça viendra.
Comment perçois-tu les échanges entre les Québécois et les autochtones?
Question délicate! Un peu comme les Aborigènes d’Australie et les Australiens, je dirais avec ce que j’ai vu et entendu jusqu’ici. J’ai l’impression que les gouvernements actuels ont de la difficulté à trouver un équilibre et des solutions adéquates pour respecter chaque population. Je ressens de la compassion de la plupart des personnes québécoises que j’ai rencontrées envers les peuples autochtones, mais je sens bien que le climat est tendu, en silence. C’est d’ailleurs en ce point que je trouve la spiritualité intéressante. Elle nous relie à ces peuples natifs qui ont beaucoup à nous apprendre sur ce lien entre l’homme et l’univers. J’ai été surprise d’avoir appris tant de réalités et de connaissances en étant au contact de leurs cultures si similaires bien que des continents les séparent! Notre société savante, nos pays développés, nos systèmes modernes auraient beaucoup à apprendre des sagesses ancestrales, criantes de vérité et de pragmatisme.
Qu’est-ce que t’a apporté l’écriture de tes récits de voyage sur le plan personnel?
L’écriture… encore une fois, ce n’est pas un élément de ma vie que je peux dissocier des autres. Souvent, j’ai le sentiment que je suis écriture, et non que j’écris. Comme si l’écriture passait à travers moi pour s’exprimer. Pour raconter des émotions, des pensées, des sensations, des histoires. Je me relis quelque temps après, et je suis étonnée d’avoir été la personne qui a écrit ces lignes. Je ne me reconnais pas. J’ai l’impression d’être un canal d’expression, de diffusion, de partage, plus que la créatrice originelle de ce que j’écris. En ça également, l’écriture a une dimension spirituelle. Je suis parfois émue et rassurée de voir que je ne suis pas la seule auteure à tenir ces propos! L’écriture est plus qu’une activité, bien sûr. Elle représente un processus d’évolution, d’épanouissement. Plus que des pensées couchées sur le papier, tel un exutoire comme j’ai pu souvent l’utiliser par le passé, l’écriture peut être un cheminement créatif qui mène l’écrivain autant que le lecteur vers une rencontre révélant la lumière de chacun.
Considères-tu que ce voyage en Océanie représente un rite de passage, suivant la séquence ternaire d’Arnold Van Gennep : préliminaire (séparation avec sa communauté d’origine et sa vie quotidienne), liminaire (l’expérience du sacré et de la transformation en tant que telle) et postliminaire (retour dans sa communauté avec des nouvelles acquisitions, parfois un nouveau rôle social) ?
Je suis heureuse que cette question me soit posée. C’est tout à fait ça! Je me doutais lors de mon départ pour l’Australie que ce voyage allait changer ma vie et me faire grandir, révéler la femme en moi. Je ne savais pas à quel point ce souhait allait devenir réalité, à quel point il allait changer les aspects de ma vie mes aspirations, mes ambitions, ma vision de l’inconnu, ma perception du monde. Il est vrai que ce sont des pratiques initiatiques que les jeunes gens faisaient auparavant qui se sont perdues, et c’est regrettable.
Aucune autre expérience ne m’a autant appris à devenir autonome, à avoir confiance en moi, à me projeter dans le monde, à découvrir celle que je suis, à me prendre en main, à faire face aux imprévus et aux difficultés. La dimension spirituelle est venue s’ajouter petit à petit au cours de mes explorations, de mes étapes, de mes rencontres, de mon parcours. Des éléments isolés qui me touchaient, mais qui portaient peu de sens. Puis, un jour en Nouvelle-Zélande, ça me tombe dessus. L’alignement parfait, je vis un phénomène d’hyperconscience, d’hyperconnexion avec mon environnement naturel (difficile de faire mieux que les paysages de Nouvelle-Zélande), avec mes propres émotions et états intérieurs. « Et la Lumière fut ». C’est un jour dont je me rappellerai toute ma vie et dont je ne parle quasiment jamais… par manque de mots pour pouvoir exprimer ceci, puis par pudeur quant aux regards des autres.
Je n’ai pas grandi dans un milieu religieux ou spirituel, bien au contraire. C’est difficile d’assumer un tel événement, de telles sensations avec ceux qui n’ont pas cette fibre de conscience. J’ai eu de la chance de rencontrer des personnes avec cette ouverture d’esprit à mon retour en France, après une année de voyages. Le processus initiatique ne s’arrête pas au retour, bien loin de là! La troisième étape, postliminaire, joue un rôle essentiel d’ailleurs. J’ai continué de grandir à une vitesse folle à mon retour, pendant 9 mois, jusqu’à mon départ pour le Canada. J’étais accompagnée de personnes merveilleuses et j’ai continué à explorer mes états intérieurs et à m’épanouir. J’ai l’impression d’avoir récolté en 9 mois le double de ce que m’a apporté une année de voyages.
Il reste des embuches sur le chemin, les obstacles et épreuves font partie du cheminement de chacun. Cependant, j’ai le sentiment que tout ira pour le mieux. Tout cela m’a apporté une foi indescriptible en l’avenir. Je n’ai jamais été aussi forte que depuis que je suis partie.
Finalement, as-tu d’autres projets d’écriture en tête?
Je suis encouragée par mes lecteurs, mes proches, mes éditeurs à écrire une suite en effet. En réalité, ceci ressemblera davantage à un roman, tout en conservant ma plume et les dimensions qui me sont propres de spiritualité et de quête initiatique.
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