Le pastafarisme : la religion et l’athéisme dans un même bol
À l’origine, il y avait le Monstre en Spaghettis Volant (MSV). Voilà, en peu de mots, la doctrine d’une religion née par contestation aux États-Unis en 2005. Ajoutez les pâtes, puis les pirates, et vous avez une Église de l’absurde devenue institution.
Dix ans plus tard, le « pastafarisme » est un phénomène international. La religion, qui possède sa branche québécoise, compterait plusieurs milliers d’adeptes à travers le monde. Le 10 décembre dernier, le New Zealand Gazette, journal gouvernemental et journal des dossiers constitutionnels, annonçait sur son site Internet que la demande de l’Église du Monstre en Spaghettis Volant de pouvoir célébrer légalement des mariages a été acceptée. C’est que, un peu plus tôt en décembre, le gouvernement néozélandais a octroyé à l’organisation religieuse le droit de célébrer des mariages, une première pour un mouvement jusqu’alors considéré comme satirique. À la même demande, la Cour suprême autrichienne avait tranché en faveur du non.
Qu’est-ce qui explique l’essor phénoménal d’une organisation qui est avant tout satirique, et surtout le dévouement singulier de membres prêts à prêcher son discours? Qu’est-ce qui pousse ses adhérents, en grande partie des étudiants d’Amérique du Nord et d’Europe, à prêcher l’évangile de l’égouttoir à pâte, voire à devenir membre de son « clergé »?
Pasta quoi?
Le pastafarisme est un amalgame du mot pâte et de rastafarisme. Le rastafarisme est un mouvement développé en Jamaïque dans les années 30 aux suites du couronnement d’Haïlé Selassié comme empereur d’Éthiopie, ce mouvement étant lui-même un assortiment moderne plutôt éclectique.
Mouvement teinté de rêve impérialiste, le rastafarisme prend néanmoins sa base dans la King James Bible, la version anglicane de la Bible. L’Église du Monstre de Spaghettis Volant, elle, vénère un égouttoir à pâtes. Car l’Église du Monstre de Spaghettis Volant a également ses symboles. L’égouttoir à pâtes est l’incarnation de la présence infinie, mais invisible du monstre à pâtes. L’une des plus grandes icônes du mouvement parodique est une reprise de la Création d’Adam de Michel‑Ange par le designer suédois Niklas Jansson.
Mythes et textes fondateurs
À l’image du christianisme qu’elle déplore, l’Église du Monstre en Spaghettis naît d’une protestation contre un désordre.
En 2005, alors qu’il était étudiant, Bobby Henderson fonde le pastafarisme. Cette année-là, l’État du Kansas autorise l’enseignement du créationnisme à temps égal avec le darwinisme. Pour préciser, le créationnisme est une doctrine fondée sur l’acceptation de la création du monde par un être divin. Pour protester contre cette mesure, Bobby Henderson envoie une lettre ouverte au Comité d’État de l’Éducation du Texas :
Nous avons des preuves qu’un Monstre en Spaghettis Volant a créé l’univers.
C’est pour cette raison que je vous écris aujourd’hui afin de demander officiellement que cette théorie alternative soit enseignée dans vos écoles au même titre que les deux autres théories.
Cette profession de foi du Monstre en Spaghettis Volant sera suivie d’un autre texte fondateur, L’Évangile du Monstre de Spaghettis Volant[1], aussi écrit par Bobby Henderson, paru aux éditions Villard en 2006.
La mythologie du pastafarisme est elle-même une « rebutade » du créationnisme – qui constitue, si on veut, son Antéchrist. Le MSV aurait créé le monde en une seule journée, il y a 5 004 ans, et aurait commencé par une montagne et un nain. Sans oublier qu’au tout début, il y eut les pirates, desquels sont descendus les hommes. Plus précisément, des poissons seraient venus des pirates, et des pirates seraient enfin nés les hommes.
Pour ce qui est des ossements de dinosaures, on reconnaît la stratégie de la moquerie. Bobby Henderson commente ainsi les datations au carbone 14 « […] ce dont notre scientifique ne se rend pas compte c’est qu’à chaque fois qui [sic] fait une datation, le MSV est là et change les résultats avec Son Appendice Nouillique ». Car c’est par ses nombreuses nouilles cosmiques que le monstre en Spaghettis Volant touche ses créatures.
La branche québécoise n’est pas moins candide. Leur site Internet conjugue sans problème la lutte pour l’indépendance du Québec et la quête de saveur éternelle.
Fondée en 1542, l’Église québécoise du Monstre de Spaghetti Volant lutte pour la reconnaissance officielle de sa théorie sur la création de l’univers et pour son enseignement à temps égal aux côtés des autres hypothèses moins crédibles.
L’humour comme dogme et foi
Le pastafarisme passe par l’absurde pour faire entendre une raison épurée, d’où l’idée (peut-être) de l’égouttoir sacré. Obi Canuel, un membre de l’Église du Monstre en Spaghettis Volant en Colombie-Britannique, a reçu l’attention médiatique dès 2013 en refusant d’enlever son égouttoir à pâtes pour une photo de permis de conduire. En entrevue avec le magazine Vice, monsieur Canuel a expliqué la valeur de l’objet culinaire en disant : « l’eau passe à travers, mais les nouilles restent. » L’histoire n’est d’ailleurs pas isolée; en août 2014, une montréalaise, Isabelle Narayana, fait appel à la Cour supérieure du Québec pour obtenir le droit de porter un fichu de pirate.
En prenant comme référence une absurdité trop choquante pour être assimilée, le pastafarisme met en évidence l’absurdité du concept de « religion » et, par là même, consacre un peu la satire en religion.
Et pourtant, un nombre grandissant d’adeptes pratiquent le pastafarisme comme on pratique les autres grandes religions : le pastafarisme a ses rites, ses ministres, ses lieux de culte, son histoire et avant tout, sa foi en l’humour. L’organisation émet d’ailleurs des certificats d’ordination.
L’Église du Monstre en Spaghettis Volant est aussi une plateforme sociale pour activistes qui, particulièrement aux États-Unis, dénoncent les intrusions du fait religieux dans l’enseignement. Cette activité est le cœur de cette Église à pâtes. On peut se demander si la célébration du spaghetti n’est pas un clin d’œil philosophique à une société dévorée par la consommation. Dans tous les cas, il s’agit aussi d’un exercice de philosophie. La prédication du MSV consiste à utiliser les arguments obscurantistes du créationnisme en les exagérant à outrance.
Une Église de son temps
L’autre question que pose la naissance de ce Monstre est la limite entre religion et fabulation, à une époque qui doute de tout, qui est en manque de référence. Si le monstre en nouilles surpuissant n’offre aucune réponse aux questions existentielles, il claque du moins la porte à l’obscurantisme. Mieux, le MSV célèbre l’humour comme mode de vie, de même que la culture d’un esprit critique.
Le pastafarisme sacralise aussi un objet – un plat – d’une mondanité notoire. Faut-il y voir le rejet systématique du sacré ? Peut-être pas. Si le pastafarisme a une seule leçon à nous donner, c’est qu’il faut tout prendre avec un grain de sel, même l’absolu.
[1] Titre original : The Gospel of the Flying Spaghetti Monster